Unilever, Ben & Jerry’s, maintenant Coca-Cola… Plusieurs grandes marques annoncent un boycott des réseaux sociaux : pendant plusieurs semaines, elles suspendent leurs publicités. Un manque à gagner qui se compte, pour l’instant, en dizaines de millions de dollars pour les groupes comme Facebook, Twitter, YouTube ou encore Instagram.
L’objectif affiché de ces annonceurs, c’est de faire pression pour que les médias sociaux fassent preuve de plus de transparence et de responsabilité, notamment vis-à-vis du racisme. Une tendance qui répond à la vague de contestations qui dénoncent le racisme et les violences policières, en Europe comme sur le continent américain. Mais pour Bruno Liesse, spécialiste des médias publicitaires, il s’agit aussi d’un retour de flammes qui menaçait les réseaux sociaux depuis longtemps. « Ce qui se révèle, c’est la difficulté que les intelligences artificielle et humaine peuvent avoir à contrôler tous les flux des réseaux sociaux. En fait, ce sont des plateformes qui agrègent les contenus des consommateurs, des citoyens, des audiences. La difficulté qui se révèle de façon violente à cause de contenus illégaux et inacceptables pour le sens commun, c’est qu’on ne peut pas contrôler 3 milliards de consommateurs. Ces plateformes sociales paient donc aujourd’hui une forme de retour de flammes par rapport à leur propre gratuité et par rapport au fait qu’on laisse les citoyens raconter n’importe quoi et parfois, ce n’est pas joli. »
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Un boycott pour mener où ?
Parmi les réseaux sociaux concernés par ce boycott publicitaire, les plus gros font partie des fameux GAFAM, qui se targuent d’accumuler des richesses de plusieurs centaines de milliards de dollars. Alors concrètement, le retrait de certains gros annonceurs peut-il avoir un réel impact sur les caisses des plateformes concernées ? À termes, oui, selon Bruno Liesse. « Le business model des réseaux sociaux se fonde sur les recettes publicitaires ! Les réseaux sociaux représentent pratiquement 10% des dépenses publicitaires aujourd’hui en Belgique. » Et la situation deviendra critique si trop d’annonceurs se joignent au boycott. « Quand certains du top 10 des annonceurs commencent, les autres suivent et ça deviendra un problème structurel et pas ponctuel. Là, je dirais que les annonceurs et les marques qui ne suivent pas vont être décalés par rapport à la norme qui va devenir attentiste. Un boycott est un recours ultime pour demander à une instance de réagir. »
Les limites éthiques et technologiques
Alors, réagir, oui, mais comment ? Les limites pour gérer tous les contenus partagés existent et sont solides. « Si on veut contrôler tout ce qui se dit sur Facebook, où est la ligne rouge ? Comment définir les limites ? C’est assez subjectif et j’ai peur des exagérations. Et sur la forme, c’est-à-dire de la technique, comment va-t-on faire pour auditer et tracer toutes les conversations et tout ce que vous publiez en respectant la loi de la vie privée ? Déjà qu’on surveille vos déplacements, on surveille les conversations sonores et écrites … La Commission européenne peut essayer d’imposer de nouveaux outils de mesure et de surveillance qui vont rapidement être bloqués par une minorité bien pensante de respect de la vie privée. Alors comment est-ce qu’on va faire ? C’est très compliqué. Le tout serait au moins que les opérateurs eux-mêmes appliquent des règles beaucoup plus strictes à la source, en éjectant les personnes qui tiennent des propos déviants, racistes, discriminatoires ou de harcèlement. Ce qui est important c’est que, après la régulation, des mesures judiciaires soient prises, des pénalités et des condamnations en proportions aux propos. C’est à ce titre-là que ça fonctionnera. »