Trudeau se retrouve avec un nouveau gouvernement minoritaire après des élections où il n’y a que des perdants

Les résultats des élections, encore incomplets, montrent que si Justin Trudeau restera premier ministre au Canada, il devra le faire à nouveau avec un gouvernement minoritaire. Le pari politique de Trudeau d’organiser des élections anticipées afin d’étendre son influence au sein du Parlement canadien n’a pas été payant. Pour personne, d’ailleurs : son grand challenger O’Toole n’a pas non plus réussi à convaincre suffisamment d’électeurs pour évincer les libéraux après six ans au pouvoir. Et le parti des Verts a été pratiquement anéanti, même après un été marqué par des problèmes climatiques.

Pourquoi est-ce important ?

À l'extérieur du Canada, M. Trudeau reste l'un des dirigeants mondiaux les plus populaires, mais au pays, l'amour s'est violemment refroidi. Le pari de M. Trudeau pourrait donc s'avérer très mauvais pour lui : il risque également de perdre toute la bonne volonté qu'il avait acquise en dirigeant son pays pendant la crise du coronavirus.

En août, alors que les sondages indiquaient qu’il jouissait d’une grande popularité, Trudeau a provoqué des élections anticipées – deux ans avant la date prévue. L’objectif, a-t-il dit, était d’obtenir un mandat fort pour son parti libéral afin de sortir le pays de la pandémie et de le mettre sur le chemin de la reprise. Mais de nombreux Canadiens y ont vu un simple opportunisme politique : une tentative de Trudeau de retrouver la majorité parlementaire dont disposaient les libéraux jusqu’à ce qu’ils perdent des sièges aux élections de 2019.

Quel que soit le motif de Trudeau, ça n’a pas marché. Les résultats préliminaires indiquent que le Parti libéral a remporté 156 sièges – un de moins qu’en 2019 – tandis que son principal rival, le Parti conservateur, a obtenu 123 sièges, soit un gain de deux. Ce résultat place Trudeau dans une situation familière : pour faire passer des lois, il devra à nouveau gagner les membres de l’opposition à son côté. Il devra à nouveau gouverner avec un gouvernement minoritaire et restera vulnérable.

L’élection dont les Canadiens ne voulaient pas

En demandant des élections anticipées, M. Trudeau a fait valoir que, comme ses prédécesseurs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il avait besoin d’un mandat fort de la part des électeurs pour vaincre le coronavirus et reconstruire l’économie nationale, gravement endommagée par la pandémie.

Mais ce message n’a pas vraiment été pris en compte par de nombreux Canadiens. La perception dominante était que le gouvernement organisait des élections alors qu’il n’était pas obligé de le faire, à un moment, qui plus est, où la variante Delta mettait la pression sur les hôpitaux dans certaines régions. Les opposants de M. Trudeau n’ont pas tardé à qualifier sa démarche de prise de pouvoir inconsidérée. Erin O’Toole, le leader conservateur, est même allé jusqu’à la qualifier de  » non canadienne « .

Le pari de M. Trudeau pourrait donc s’avérer très mauvais pour lui : non seulement il n’a pas réussi à obtenir une majorité au Parlement, mais il risque également de perdre tout le capital sympathie qu’il avait acquis en dirigeant son pays pendant la crise du coronavirus. On ne sait pas combien de temps un gouvernement libéral minoritaire pourra tenir le coup et ce que tout cela signifiera pour Trudeau lui-même.

Pas de vision de l’avenir, juste des avertissements

Trudeau est arrivé au pouvoir en 2015 en se présentant comme une nouvelle voix en politique avec une approche différente et des idées associées. Mais il ne semble pas rester grand-chose de ce jeune politicien frais dans cette campagne. M. Trudeau, 49 ans, n’a pas vraiment offert aux électeurs une vision de l’avenir, mais surtout des avertissements, parfois explicites : un retour au gouvernement conservateur de son rival, M. O’Toole, anéantirait les réalisations de son gouvernement dans plusieurs domaines, notamment des règles plus strictes en matière de possession d’armes à feu, l’égalité des sexes, le changement climatique, la garde d’enfants, la réduction de la pauvreté et surtout la lutte contre la pandémie et la vaccination des Canadiens.

Mais avec O’Toole, Trudeau a affronté un autre type d’adversaire que les chefs conservateurs des deux campagnes précédentes. O’Toole, ancien pilote d’hélicoptère dans l’armée de l’air canadienne et avocat d’affaires de l’Ontario, a produit un programme de 160 pages qui place essentiellement les conservateurs sur une voie plus modérée.

À l’extérieur du Canada, M. Trudeau demeure l’un des dirigeants mondiaux les plus populaires. Selon un récent sondage, il est le plus apprécié, avec une cote de popularité de 39 %, devançant Angela Merkel de deux pour cent. Mais si la popularité internationale de Trudeau est énorme, sa politique étrangère a été qualifiée de « chaotique » au Canada. Lorsque Trudeau a remporté les élections de 2015, de nombreux Canadiens ont espéré un retour à une forme d’internationalisme libéral qui était largement absent pendant le mandat du prédécesseur conservateur de Trudeau, Stephen Harper. Mais dans la pratique, il s’est avéré qu’il n’y avait pas beaucoup de différence entre les deux.

Une succession de scandales

De plus, Trudeau semblait être hanté par des scandales. Une commission d’éthique a découvert que Trudeau et son personnel avaient fait pression sur la ministre de la Justice, une femme autochtone, en 2018, pour proposer à une grande société d’ingénierie canadienne un accord lui permettant d’éviter une condamnation pénale pour corruption. L’année dernière, un organisme de bienfaisance ayant des liens étroits avec la famille Trudeau a obtenu un contrat sans appel d’offres pour gérer un programme d’aide financière COVID-19 destiné aux étudiants. Le groupe s’est retiré, le programme a été annulé et Trudeau a été acquitté des allégations de conflit d’intérêts. Mais le mal était fait.

Et alors que Trudeau se fait le champion de la diversité et de la justice raciale, il est apparu pendant l’élection de 2019 qu’il avait porté un blackface ou un brownface au moins trois fois dans le passé. Le blackface est la pratique consistant à noircir un visage, et qui a été utilisée dans des représentations théâtrales aux États-Unis pour présenter une caricature d’un esclave afro-américain. Cette pratique est considérée comme raciste et très controversée dans le pays.

Dans son discours de victoire, M. Trudeau a reconnu que la décision d’organiser des élections anticipées était très impopulaire. « Vous avez donné à ce gouvernement et à ce parlement une direction claire », a-t-il également affirmé.

Toujours perdants, les Verts sont les plus durement touchés

Le résultat signifie tout autant une défaite pour O’Toole. Sa campagne centriste n’a pas réussi à convaincre suffisamment d’électeurs pour évincer les libéraux après six ans au pouvoir. La dernière fois que le Parti conservateur a remporté une élection fédérale au Canada, c’était en 2011.

Les plus grands perdants de cette élection, cependant, ce sont les Verts. Ils détiennent à peine deux sièges restants au Parlement canadien. Le chef du Parti vert, Annamie Paul, a subi une lourde défaite à Toronto. Alors que des phénomènes météorologiques extrêmes faisaient rage dans tout le pays, notamment des vagues de chaleur record, des incendies de forêt et des sécheresses qui ont renforcé l’importance du changement climatique dans l’agenda national, les Verts ont mené une lutte publique pour le pouvoir embarrassante au sein de leur propre parti.

Et contrairement à Elizabeth May, qui a dirigé le parti pendant ses 15 ans, Annamie Paul n’est pas une écologiste connue. Au lieu de se concentrer sur les questions climatiques, son programme s’est focalisé sur la justice économique et sociale. Cela n’a manifestement pas marché.

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