Prolongation du nucléaire: le MR savoure, les Verts doivent convaincre, De Croo engrange

De nombreux rebondissements, mais une date butoir qui a été respectée. La prolongation du nucléaire pour dix ans de deux réacteurs est certainement une victoire pour le MR. Georges-Louis Bouchez, seul contre tous, sera parvenu à ses fins, avec l’aide d’un conflit majeur. Il espérait sans doute encore davantage, mais savoure. Les Verts devront eux convaincre leur base que le tournant sur le nucléaire est un choix raisonné et pragmatique. Mais ils sortent clairement affaiblis, d’autant que les promesses d’investissements dans le renouvelable sont passées de 8 à 1 milliard d’euros. Retour sur ce grand accord qui satisfait pleinement une personne : le patron de la Vivaldi, Alexander De Croo.

L’accord

  • Deux réacteurs, Doel 4 et Tihange 3, seront prolongés pour 10 ans, après quoi une réévaluation sera sans doute faite.
  • Des investissements à hauteur de 1,16 milliard d’euros pour accélérer la transition énergétique:
    • Tripler la capacité de l’éolien en mer du Nord: l’objectif est de parvenir à une puissance de 8 GW d’ici 2030.
    • Faciliter l’éolien terrestre: assouplissement des contraintes administratives et accélération des procédures de recours. L’objectif est de parvenir à 1,5 GW.
    • TVA à 6% sur les pompes à chaleur et sur les panneaux solaires.
    • Investir dans un réseau de transit pour l’hydrogène.
    • Une mobilisation de l’épargne des citoyens via des sortes de green bonds, des obligations vertes. On sait que 300 milliards d’euros dorment sur les comptes d’épargne des Belges.
    • Une série d’autres mesures comme du photovoltaïque sur les bâtiments publics et en mer.
  • Deux nouvelles centrales au gaz seront construites. Probablement une pour Engie aux Awirs, et l’autre pour Luminus ou Eneco, à Seraing ou Manage.
  • On comprend que la loi sur la sortie du nucléaire de 2003, sans être complètement abrogée, sera modifiée, notamment pour permettre un investissement dans le nucléaire de nouvelle génération, les fameux réacteurs modulaires, qu’on promet plus petits et plus efficaces.

Incertitudes

Il reste néanmoins des incertitudes. Les négociations avec Engie d’abord, qui pourrait gagner sur les deux tableaux: une centrale au gaz subventionnée et la prolongation de deux réacteurs. Le géant énergétique français s’est dit prêt à discuter, mais se retrouve en position de force, car il est la partie à convaincre. Engie avance déjà ses pions: « Il faudra un partage adéquat des risques et des opportunités. »

L’autre incertitude concerne l’hiver 2025-2026. Il n’est pas tout à fait clair si les deux réacteurs seront opérationnels pour cette année-là. On comprend que les cartes sont entre les mains d’Engie. En tout cas, les travaux de mise aux normes « post-Fukushima » ne seront plus légalement indispensables pour cette date butoir, mais il y a tout un processus législatif et technique qui devra faire son chemin.

C’est pourquoi le mécanisme CRM a été maintenu et que deux nouvelles centrales au gaz seront construites. Elles relègueront à terme d’anciennes centrales moins efficaces.

Mais les critiques de l’opposition fusent déjà, notamment de la N-VA et de DéFI. Pourquoi investir dans le nucléaire pour uniquement 10 ans alors qu’on pourrait doubler cette période techniquement, s’interroge le président de DéFI, François De Smet ? On se retrouvera probablement avec la même question sous les bras dans 10 ans, et un nouvel affrontement politique en perspective.

Ensuite, il y a la construction de ces centrales au gaz qui ne sont pas une bonne nouvelle pour les émissions de CO2. C’était une contrainte selon les écologistes, pour se passer du nucléaire. Mais désormais, on se retrouve avec 2 GW de nucléaire et 1,6 GW de gaz, alors que la sécurité d’approvisionnement était censée être assurée uniquement avec le gaz dans le cas du plan A. Comprenne qui pourra, les chiffres exacts ont d’ailleurs toujours été une zone d’ombre, y compris dernièrement entre Elia et la Creg.

Politique

  • Le MR

« La raison l’a emporté sur le dogme ». Georges-Louis Bouchez (MR) peut triompher. Il faut laisser au président des libéraux francophones son abnégation, seul contre tous au sein de la majorité durant des mois. Il aura fait indirectement basculer l’Open VLD, puis le CD&V, alors que les socialistes sont eux restés en retrait de cette bataille qui opposait les bleus et les Verts.

Un choix stratégique de la part du président du MR en lutte pour un électorat commun avec Ecolo. C’était déjà le cas lors de la campagne de 2019. C’est bien sûr le conflit en Ukraine qui aura fait pencher la balance, mais le libéral a gagné cette bataille, au moins symboliquement.

La victoire n’est toutefois pas totale: Georges-Louis Bouchez espérait plus de deux réacteurs et pas de centrales au gaz du tout.

  • Ecolo/Groen

En poussant l’optimisme à l’extrême, on peut analyser le choix des Verts de prolonger le nucléaire comme une preuve de pragmatisme. Ecolo/Groen n’est plus le parti de l’idéologie pure, mais celui d’administrateurs sérieux qui gèrent la chose publique. C’était une critique récurrente lors de leur première expérience fédérale il y a 20 ans.

Sauf qu’ils auront été sérieusement poussés dans le dos. Par le MR, bien sûr, mais aussi par l’opinion publique – tous les sondages montrent qu’une majorité de Belges n’était pas contre une prolongation temporaire du nucléaire. On peut y ajouter certaines figures écologistes, en Belgique et à l’étranger, qui ont revu leur position historique sur le nucléaire, les rapports successifs du Giec mettant clairement l’accent sur les émissions carbone.

En contrepartie de la prolongation, les Verts obtiennent un plan à 1 milliard d’euros. Loin des 8 milliards escomptés, même s’il s’agissait surtout d’un positionnement dans les négociations. Ils doivent abandonner tout ce qui a trait à la réduction de la consommation ou l’efficacité énergétique (dépend beaucoup des Régions) qui sont les deux grands absents de l’accord. La ministre de l’Énergie dit néanmoins vouloir ajouter 1 GW d’énergie renouvelable par an d’ici 2030, pour 30% d’électricité produite par le renouvelable et 15% d’énergie fossile en moins.

  • Alexander De Croo (Open VLD)

Le plus grand vainqueur est sans doute le Premier ministre. Après un début de législature difficile marquée par la pandémie, le report de plusieurs dossiers et des querelles incessantes (surtout du côté francophone), la Vivaldi engrange enfin: l’accord sur le marché du travail, l’accord sur la facture énergétique et désormais le nucléaire. Des compromis incomplets, mais c’est le propre d’une vie à 7. Le tout aura été réalisé sans menace d’implosion sérieuse ou sans démission de l’un ou l’autre ministre.

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