Pression maximale du MR sur la ministre de l’énergie, Tinne Van Der Straeten: la division au sein de la Vivaldi est du pain bénit pour Engie

Le dossier nucléaire faisait partie des 7 chantiers pour lesquels le Premier ministre a promis une avancée d’ici l’été. Mais ce week-end, la ministre de l’Énergie, qui négocie avec Engie en compagnie d’Alexander De Croo, a laissé un doute s’installer: elle ne parle plus de l’été mais du mois de septembre comme échéance. Certainement un signal qui montre que les négociations avec le géant français de l’énergie s’enlisent. Une négociation qui n’est pas facilitée par les positions diverses des partenaires de la Vivaldi dans ce dossier. La division au sein du gouvernement est certainement bien accueillie à Paris. Pour le MR, c’en est assez, si la ministre ne parvient pas à obtenir des résultats tangibles d’ici l’été, elle doit être déchargée des négociations.

Dans l’actu: « Si Tinne Van der Straeten n’a pas achevé les négociations avec Engie d’ici les vacances parlementaires, nous considérerons qu’elle n’est plus en charge du dossier », menace Georges-Louis Bouchez, dans La Libre ce mardi soir.

Le détail: le MR, mais aussi la N-VA, depuis l’opposition, laisse entendre que la ministre Groen négocie pour échouer.

  • Trop, c’est trop. Face à la rumeur qui indique que les négociations seraient reportées au mois de septembre, le président du MR ressort de sa boîte: il adresse un ultimatum à la ministre de l’Énergie. Elle doit obtenir des résultats face à Engie, sans quoi la Belgique court un risque pour sa sécurité d’approvisionnement. Il n’est en effet pas du tout certain que les deux réacteurs qui seront prolongés – Doel 4 et Tihange 3 -, selon l’accord conclu par la Vivaldi en mars, seront prêts à temps.
  • « Voilà ce qu’il risque de se passer si on traîne jusqu’à septembre : soit on se retrouvera avec un problème de sécurité d’approvisionnement en 2025 et 2026, soit on construira plein de centrales au gaz et on nous dira que la prolongation du nucléaire n’est plus nécessaire », lance Bouchez dans La Libre.
  • Pour le président libéral, c’est clair, « perdre du temps est dans l’intérêt de ceux qui ne veulent pas du nucléaire. La preuve est qu’on ne négocie plus avec Engie ». Il est vrai que la semaine dernière, la ministre de l’Énergie était en Jordanie pour discuter hydrogène. Le Premier ministre Alexander De Croo, qui est aussi en charge des négociations, était lui au Congo en compagnie du roi et de la reine, pour une visite d’État qui a été maintes fois reportée.
  • Mais cette semaine, au sein du Kern, c’est le budget de la défense et le jobs deal qui sont discutés en priorité, reléguant le dossier du nucléaire à des travaux futurs. Problème : cet agenda nous fait perdre un temps précieux et laisse vivre l’idée qu’Engie est en position de force.
  • Rappelons qu’Engie a posé plusieurs conditions à la prolongation du nucléaire en Belgique. Selon une lettre adressée au Premier ministre, et révélée par la VRT, l’énergéticien français veut que l’État belge partage les bénéfices et les risques de la prolongation des deux réacteurs via une participation. Des bénéfices qui montent en flèche suite à la hausse des prix de l’électricité, mais cela voudrait dire aussi une coresponsabilité de la gestion des déchets nucléaires et du démantèlement des centrales.
  • En fait Engie, dont le core business n’est pas le nucléaire, veut des garanties sur la rentabilité de ses investissements. C’est pourquoi l’énergéticien français demande une participation de l’État belge, qui sera alors moins susceptible de lui mettre des bâtons dans les roues.
  • Mais les écologistes s’en tiennent à l’accord sur l’énergie de mars dernier et qui empêche l’État belge à prendre part au nucléaire, quelle qu’en soit sa forme.
  • Mais pour le MR, il faut que les choses bougent: pas question de repousser à septembre les négociations, sans quoi le président du MR demandera à ce qu’une initiative parlementaire soit prise: « Une délégation du Parlement n’est pas plus bête qu’une délégation du gouvernement. Si la ministre fait tout pour planter la négociation, le Parlement peut reprendre les choses en main. »
  • Comment ? « Le panel des possibilités est immense. Nous sommes dans une démocratie parlementaire, il faut arrêter de croire que le gouvernement est tout-puissant. La première chose à faire serait de convoquer Engie en audition, notamment la direction parisienne », argumente Bouchez. Tout peut aller très vite: « Il y a des procédures accélérées. Techniquement, une loi peut être votée en deux semaines. »

Le contexte: la division règne au sein des partenaires de la Vivaldi, ce qui ne facilite pas du tout les négociations.

  • L’idée de participer aux bénéfices du nucléaire est plutôt bien accueillie par certains partenaires de la Vivaldi: le CD&V et l’Open VLD, le parti du Premier ministre, pensent qu’on peut au moins en discuter.
  • L’idée d’une prolongation de plus de 10 ans fait même son chemin au sein des partenaires de la coalition fédérale, mais ce serait une couleuvre sans doute trop grosse à avaler pour les Verts, et l’accord de mars dernier l’exclu également.
  • Pour le MR, c’est clair, une participation est tout sauf une mauvaise option. Et le parti libéral francophone a déjà réfléchi à cette possibilité : « L’idée n’est pas d’entrer au capital d’Electrabel, mais de créer une société commune dans laquelle seraient logés les deux réacteurs prolongés », ce qui permettrait de participer aux bénéfices, explique Bouchez.
  • Pour certains initiés, Electrabel a en effet été vidé de sa substance par Engie. De sorte que tous les bénéfices filent vers Paris sans s’attarder en Belgique. Reprendre des parts dans Electrabel serait donc un gros risque financier si on tient compte du passif nucléaire.
  • Justement, l’un des nœuds du problème, ce sont ces déchets nucléaires. Le MR ne rejette pas l’idée de participer à leur gestion s’ils se limitent aux déchets futurs, post-2025. Par contre, pas question de prendre en charge ce qui a déjà été consommé.
  • Engie réclame depuis longtemps une décision sur la gestion des déchets nucléaires. Un enfouissement dans le sol, à 200 ou 400 mètres de profondeur a été la piste la plus étudiée, mais elle est aussi la plus chère. Une autre option, privilégiée par Engie et moins chère, est le stockage des déchets dans un hangar qu’il faudrait détruire et reconstruire tous les 100 ans.
  • Les sommes en jeu sont immenses. On estime à 41 milliards le coût du passif nucléaire en tenant compte de l’inflation. C’est pourquoi une provision de 14 milliards a déjà été prévue, mais problème, c’est que 75% de cet argent a été prêté dans la foulée.
  • La stratégie de Tinne Van Der Straeten est de faire passer une loi sur le démantèlement des centrales, et qui oblige, entre autres, à rapatrier les provisions d’ici 2025 chez Synatom, une filiale d’Electrabel, qui est responsable de la gestion du passif nucléaire.
  • Ce texte stipule aussi qu’Engie ne pourra pas verser des dividendes à Paris sans l’approbation de la Commission des provisions nucléaires (CPN), un organisme de surveillance dirigé par 3 directeurs indépendants. Ce qui apportera plus de moyens de contrôle à Synatom.
  • Mais le but de la ministre de l’Énergie reste de brandir ce projet de loi comme une menace dans les négociations. « Disons qu’il vaut mieux ne pas voter la loi avant la fin des négociations avec Engie à Paris : sinon c’est une carte qu’on ne peut pas jouer à ce moment-là », nous disait une source gouvernementale en mai dernier. Une stratégie qui ne semble pas donner de résultats, si des négociations ont bien lieu en ce moment.
  • De son côté, Paul Magnette (PS), ce week-end, n’est pas vraiment venu en aide à la ministre de l’Énergie ou au Premier ministre. Sur le plateau de RTL-TVi, il a relancé l’idée d’un projet qu’il avait proposé, quand il était lui-même ministre fédéral de l’énergie. « Nous aurions pu le faire si Alexander De Croo n’avait pas débranché le gouvernement à l’époque », a insinué le président du PS, à propos de la chute de Leterme II quand De Croo était alors président de l’Open Vld. Mais désormais, le temps presse, « il faut qu’Engie arrête de jouer avec les pieds du gouvernement. La négociation, c’est fini ! », a asséné le président socialiste.
  • Sa proposition ? « Vous obligez Engie à produire une certaine quantité d’électricité d’origine nucléaire à un prix fixe. Le gouvernement achète cette électricité à un prix fixé par l’autorité de régulation, puis la revend aux ménages et aux entreprises à un prix inférieur au prix actuel. »
  • Une réponse directe à l’interview de la veille, dans De Tijd, dans laquelle la ministre Groen estimait que les partenaires de la coalition n’avaient « précisément rien fait d’autre que de faire du tam-tam. » Et d’ajouter: « Si vous prenez la situation au sérieux, vous faites en sorte que le dossier soit résolu au lieu de faire, comme les présidents de parti, des déclarations dans les médias. »
  • Toutes ces déclarations ne montrent en tout cas qu’une seule chose: les partenaires de la Vivaldi sont divisés sur la question, et cette division doit plutôt être bien accueillie à Paris, comme l’a noté le président de DeFi, François De Smet, depuis l’opposition: « Ce qui est sûr, c’est qu’Engie doit se frotter les mains d’avoir en face de lui interlocuteur, le gouvernement, qui se déchire dans la presse sur la stratégie de négociation. Bravo les gars. »
  • Encore plus frontalement, Bart De Wever, le président du principal parti d’opposition, perd patience et voit dans cette séquence un acte délibéré de la ministre de l’Énergie: « Alors que l’échéance a déjà été repoussée 4 (!) fois, Tinne Van Der Straeten annonce qu’elle n’achèvera pas les négociations sur l’extension nucléaire ‘avant septembre’. 2025 deviendra ainsi quasiment inaccessible. Exactement ce que les Verts ont toujours voulu. Il est honteux que les partenaires de la coalition permettent que cela se produise. »