Impensable, une nationalisation des deux réacteurs nucléaires ? Les partis de la Vivaldi sont plus divisés qu’on ne le pense

Après le coup de pression de la numéro 1 d’Engie, Catherine MacGregor, sur le Premier ministre, de plus en plus de partis au sein de la Vivaldi ouvrent la porte à une nationalisation des deux réacteurs qui seront prolongés – Doel 4 et Tihange 3. Voilà qui va à l’encontre de ce qui a été décidé en mars dernier et qui est totalement impensable pour les Verts. D’aucune manière, la Belgique ne doit participer au financement du démantèlement et des déchets nucléaires, soutiennent les Verts. Les libéraux lorgnent eux sur les profits.

Dans l’actu : un courrier d’Engie bouscule la Vivaldi.

Le détail : la volonté de l’énergéticien français va à l’encontre de l’accord sur la prolongation du nucléaire tel que défini par la Vivaldi.

  • Hier, révélait la VRT, le Premier ministre a reçu une lettre amicale de deux pages, au moins sur la forme, de Catherine MacGregor, la grande patronne d’Engie. Sur le fond, par contre, la missive comportait un tas de conditions pour rempiler sur le nucléaire.
  • Après tout, Engie répète depuis 2020 que la décision de prolonger le parc nucléaire belge aurait dû être prise plus tôt. Le géant français estime que les risques financiers sont désormais trop importants.
  • Retour en arrière : après une intense pression du MR, la guerre en Ukraine fait basculer le dossier en mars dernier. Alors que les Verts en faisaient une question de principe, voire même de gouvernement, ils ont changé leur fusil d’épaule, la mort dans l’âme.
  • Du plan A (la sortie), on est passé au plan B (la prolongation). Pour aboutir quelque part entre les plans A et B: la prolongation de Doel 4 et Tihange 3 était actée, mais aussi la construction de deux centrales au gaz qui sont encore à définir.
  • Mais les Verts ont conditionné leur accord: pas question que la Belgique s’engage explicitement dans l’exploitation de l’énergie atomique. En d’autres mots, pas de nationalisation ou même de participation.
  • De plus, la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire n’était pas abrogée: il s’agit donc plus d’un sursis de dix ans pour le nucléaire que d’une réelle prolongation ad vitam.
  • L’énergéticien français arrive aujourd’hui avec sa solution: que la Belgique devienne cogestionnaire de deux réacteurs prolongés, ce qui permettrait à notre pays de profiter des bénéfices (les prix de l’énergie sont hauts). Mais il y a un loup: cela ferait aussi porter les risques en partie sur la Belgique (si les prix redescendent), en plus d’une coresponsabilité pour la gestion des déchets nucléaires supplémentaires. En gros, il est demandé à la Belgique de participer à l’effort de guerre. Elle a trop traîné.
  • Engie a plus d’une idée derrière la tête: en faisant de la Belgique un actionnaire des deux réacteurs nucléaires prolongés, le géant français fait redescendre la pression sur une éventuelle taxe sur les surprofits. En effet, si la Belgique est partie prenante, il sera plus difficile pour elle de se taxer elle-même. Le même raisonnement peut être fait sur tous les autres volets du dossier. La Belgique à bord, elle pourra plus difficilement mettre des bâtons dans les roues d’Engie. En termes de sûreté par exemple. Les déboires actuels du nucléaire français, gérés par EDF, font peur à Engie.

Entre les lignes : Le coût du démantèlement et de l’élimination des déchets est l’élément le plus crucial de toute la négociation.

  • En 1991, la centrale nucléaire A de Chooz a été fermée : un projet commun franco-belge, à la frontière entre les deux pays, le long de la Meuse. Ce réacteur de 300 mégawatts a fourni de l’électricité aux deux pays de 1967 à 1991, puis a été fermé. Pendant ce temps, le démantèlement, sous l’autorité d’EDF, l’autre géant français de l’énergie, est toujours en cours, plus de 30 ans après. Et on n’en voit pas la fin. La cuve du réacteur de Chooz n’a été complètement déclassée qu’en 2016. Pour dire les choses crûment : le démantèlement et le déclassement, sans parler de l’élimination des déchets, sont des processus qui s’étalent sur des décennies. Les coûts sont donc très élevés.
  • Ils seront tout aussi élevés pour la démolition des trois centrales à Tihange et des quatre à Doel : les sept centrales nucléaires appartenant à Engie. Selon les estimations, le coût du démantèlement et de l’élimination des déchets s’élèvera à environ 41 milliards d’euros, en tenant compte de l’inflation future. C’est un boulet au pied d’Engie, le grand concurrent d’EDF en France, qui n’est en fait pas du tout une entreprise « nucléaire » : elle est issue de la fusion de GDF (gaz) et de Suez, et les sept réacteurs nucléaires belges ne s’inscrivent pas du tout dans la stratégie globale de l’entreprise.
  • Cela explique pourquoi MacGregor mais aussi le patron belge, Thierry Saegeman, jouent le jeu si durement avec le gouvernement belge : ils veulent alléger le plus possible ce boulet qui pend à leur pied.
  • En même temps, le projet de loi de Vivaldi visant à règlementer définitivement le Synatom, le fonds qui doit payer le démantèlement et la gestion des déchets, est à l’agenda de la Chambre. Jusqu’à présent, ce dossier n’avait été réglé que de manière approximative. Le fonds a été créé il y a plusieurs décennies et a été actualisé au début de l’année 2000. Rien depuis.
  • Avec le fonds Synatom, Engie a bien constitué une provision, qui sur le papier s’élève à quelque 14 milliards d’euros, mais dans le même temps, la société mère française a été autorisée à prêter 75 % de cet argent. Il n’y avait donc aucune garantie de remboursement.
  • La nouvelle loi resserre la ceinture de Synatom : le directeur financier d’Engie Electrabel ne présidera plus le comité d’audit. A la place, trois administrateurs indépendants et un organisme de surveillance : la Commission des provisions nucléaires ou CPN.
  • La facture finale sera évidemment déterminée par la façon dont les déchets seront stockés, à une profondeur de 200 ou 400 mètres, ou dans un bâtiment qui sera démoli et reconstruit tous les 100 ans (comme le souhaite maintenant Engie). L’élimination souterraine est beaucoup plus coûteuse. À la fin de cette année, l’estimation des coûts sera revue pour la première fois depuis longtemps
  • Et ce n’est pas tout : dans le cadre de la nouvelle loi, Engie Electrabel ne sera pas en mesure de continuer à verser librement des dividendes dans les années à venir. Aucun dividende ne sera versé sans l’approbation de la CPN.

Pas question de nationaliser les deux réacteurs nucléaires : en est-on si sûr ?

  • En demandant la nationalisation partielle de deux réacteurs nucléaires, Engie est allé très loin: il est rare que des acteurs privés demandent volontairement qu’une partie de leurs actions soit transférée au gouvernement.
  • Mais l’idée parcourt la Vivaldi et fait son chemin. On sait que le MR ne verrait pas d’un mauvais oeil une nationalisation. Georges-Louis Bouchez, qui garde le doux rêve de prolonger jusqu’à 5 réacteurs, a plusieurs fois mis cette idée sur la table, en coulisse. Hier sur La Première, il a rappelé combien, au prix de l’énergie actuel, le nucléaire était une activité rentable.
  • Du côté de l’Open VLD, rapporte De Tijd, on ne rejette pas non plus la proposition d’Engie d’un revers de main. « Ce n’est peut-être pas si illogique et dangereux », se demande-t-on. L’offre pourrait être alléchante: « Avec les prix de l’électricité d’aujourd’hui, vous pouvez partager les bénéfices », argumente-t-on.
  • On se retrouve quand même dans cette situation étrange où les deux partis libéraux du pays veulent le retour d’une entreprise publique de l’énergie.
  • Du côté du CD&V, également, on ne rejette pas la proposition d’Engie immédiatement. L’actuel président, Joachim Coens, et son successeur, Sammy Mahdi, ne se disent « pas réticents » à une telle participation gouvernementale si cela profite aux consommateurs belges.
  • Du côté des Verts, nul besoin de préciser que cette idée est massivement rejetée. Hier, à la Chambre, le député Samuel Cogolati (Ecolo) a mis les points sur les « i » en rappelant un principe cher aux écologistes: celui de « pollueur-payeur ». Avec une participation dans le nucléaire, la Belgique s’inscrirait de facto dans ce principe: impensable pour les Verts. « Le gouvernement fédéral a décidé de négocier avec Engie pour prolonger 2 réacteurs les plus récents sur 10 ans. Mais il n’a pas signé pour payer 40 milliards € de déchets radioactifs sur 300.000 ans! », a ajouté le député, même s’il n’est en fait question que déchets supplémentaires, pas de ceux constitués sur les dernières décennies.
  • C’est déjà de trop pour le député Gilles Vanden Burre (Ecolo): « Pas 1 euro d’argent public pour financer les déchets et les provisions nucléaires. Les exigences d’Engie ne sont pas neuves, mais le mandat du gouvernement et la position des écologistes sont clairs! »
  • Même son de cloche pour la figure de proue de Groen, Kristof Calvo: « Tout le monde devrait soutenir la décision de la Vivaldi: pas de chèque en blanc, pas de facture d’un milliard pour les contribuables. »

Et maintenant ? Une partie de poker menteur et de méfiance mutuelle.

  • D’un côté, cette lettre d’Engie, même si elle est très offensive, montre que les discussions avancent. Après tout, il y a quelques mois encore, le géant français de l’énergie disait qu’il était impossible de prolonger le nucléaire.
  • Mais une nationalisation va trop loin pour les écologistes, qui ont déjà dû avaler une couleuvre avec le principe même d’une prolongation pour dix ans. Une participation de la Belgique aux deux réacteurs prolongés mettrait sans doute à nouveau le feu aux poudres de la Vivaldi.
  • Engie, en position de force, joue logiquement le jeu très dur: commencer par une première offre justifiée, mais déraisonnable est un classique des manuels de négociation.
  • Mais l’exploitation du nucléaire reste une activité profitable pour les deux parties. Et il ne faut pas oublier qu’Engie est aussi sous pression: avec la mise en place du bouclier tarifaire qui bloque les prix en France, l’essentiel des bénéfices d’Engie se fait à l’étranger.
  • Pour pimenter le tout, il y a un certain climat de suspicion à l’égard des écologistes. En rendant les négociations difficiles, les verts pourront obtenir ce qu’ils ont toujours voulu: l’échec de la prolongation du nucléaire.

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