L’année 2024 sera celle de très nombreux scrutins de par le monde, avec des élections dans 40 pays, qui représentent ensemble 41 % de la population mondiale. Parmi ces pays, on compte les États-Unis, mais aussi l’Ukraine et la Russie. Le suspense n’est pas le même partout.
Les Russes seront appelés aux urnes en mars prochain pour élire leur président. Ce seront les premières élections après les amendements de 2020 à la Constitution du pays. Paradoxalement, ils ont renforcé la limite de deux mandats présidentiels, mais sans prendre en compte ceux d’avant la réforme. Ils offrent donc à Poutine la possibilité de se représenter. Il y a de toute façon peu de chances que l’actuel président doive faire face à un adversaire.
Poutine président jusqu’en 2036 ?
- Jusqu’en 2020, les mandats présidentiels russes étaient limités à deux consécutifs, mais sans limite explicite à leur nombre au total. C’est pour ça que de 2008 à 2012, Poutine a fait un pas de côté symbolique en occupant le poste de Premier ministre, laissant la présidence à Dmitri Medvedev. Personne n’était dupe de qui tenait le pouvoir bien sûr.
- Mais aujourd’hui, Poutine n’a même plus à se donner ce genre de peine. Il briguera un troisième mandat consécutif, et probablement un quatrième, qui sera cette fois normalement le dernier. Pour un total de six mandats présidentiels en tout. Nous serons alors en 2036, et Poutine, qui sera alors âgé de 84 ans, aura régné au Kremlin depuis l’an 2000.
Poutine n’a toujours pas confirmé officiellement sa candidature à sa réélection. Mais c’est un secret de polichinelle : six sources anonymes proches du Kremlin ont confirmé à Reuters qu’il s’y préparait.
Camps de travail et tentatives d’assassinat
- Le président chinois Xi Jinping a déjà officiellement apporté son soutien à Poutine durant sa visite d’État de mars dernier. Et le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, a déjà à moitié craché le morceau. En septembre dernier, il a dit que si Poutine se représentait bien, « alors, il est évident qu’il ne peut y avoir de réelles compétitions pour le président à ce stade actuel. »
- Quelle opposition, de toute manière ? Son principal leader, Alexeï Navalny, sera empêché de se présenter puisqu’une accusation criminelle pèse contre lui, comme en 2018.
- Cet avocat, fondateur de la Fondation anti-corruption (FBK), a survécu à une tentative d’assassinat au Novichok en 2020. Placé en détention dans un camp de travail à son retour au pays, il a été condamné en 2022 et 2023 pour des motifs obscurs, et purge une peine de 19 ans de prison. Cela donne le ton pour qui oserait véritablement défier le président.
« Il n’y a pas de politique publique ouverte, donc pas de possibilité d’indépendance, et l’activité politique et civique est immédiatement écrasée. Nous assistons actuellement à des condamnations par les tribunaux, avec des peines de prison pour ‘engagement dans des activités extrémistes’, comme la critique des politiques du gouvernement. Critiquer la politique du gouvernement est donc officiellement un crime punissable, passible d’une véritable peine de prison. Ne vous attendez donc pas à une politique normale, à l’occidentale. Oubliez cela. »
Vladimir Milov, ancien politicien russe en exil, interrogé par CNBC
Pas d’opposition réelle en vue
- Restent les partis politiques enregistrés, comme le Parti communiste, le Parti libéral-démocrate ou Une Russie juste — pour la Vérité. Mais ceux-ci sont plutôt à considérer comme une opposition systémique, dont la présence pour le moins anecdotique remet un coup de vernis sur la légitimité du pouvoir.
- Rappelons qu’en Russie, aux législatives, toutes les voix attribuées à des partis qui n’atteignent pas le seuil électoral de 5% sont reversées aux formations qui l’ont atteint, et ce, sans calcul de proportionnalité. Le vote contestataire renforce donc de facto le parti Russie unie au pouvoir.
- Quant à une opposition interne, qui grandirait au sein des proches du Kremlin pour menacer Poutine, on n’y croit plus trop. On a pensé un moment que des luttes de pouvoir réelles au sein de l’Etat pouvaient mener à ce résultat, quand l’armée russe s’est retrouvée enlisée en Ukraine.
- Mais la menace la plus sérieuse, incarnée par le mercenaire Evgueni Prigojine qui se rêvait leader populiste, s’est éteinte dans un crash aérien.
- La pression reste toutefois réelle sur Vladimir Poutine. Leader incontesté, les échecs de son armée en Ukraine ont entaché son image. Mais la société russe est fragmentée, face à un appareil répressif rôdé.
- Et les élites, desquelles auraient pu jaillir une alternative ou au moins une critique organisée, ont bien compris qu’elles y risqueraient très littéralement leur tête. « Il n’y a pas de pluralité politique en Russie, pensez à des pays comme l’Iran et la Corée du Nord », lâche ainsi à CNBC l’historien russe Sergei Medvedev.