Une commission électorale russe reconnait le trucage des élections et estime ne pas avoir été assez payée pour ça

Dans une petite république de Sibérie orientale, un document a fait l’effet d’une trainée de poudre : celui-ci contient des preuves du trucage des élections législatives nationales – remportées par Russie unie – et donne des détails sur les mécanismes de corruption. Or, il semble avoir été écrit par les corrompus eux-mêmes.

C’est une histoire complètement surréaliste qui secoue la République de Touva, un des territoires constituant la Fédération de Russie qui se situe en Sibérie orientale, juste au nord de la frontière avec la Mongolie, que relate l’édition russophone de The Insider. Une lettre ouverte, signée par les membres de la commission électorale locale, a été adressée aux forces de l’ordre comme à différents médias de la région. Elle décrit avec force détail comment les résultats des législatives de septembre dernier ont été falsifiés. Et pour cause : ce sont les faussaires eux-mêmes qui ont écrit ce document.

Victoire prévisible pour Vladimir Poutine

Ces membres de la commission électorale du territoire de Touva avaient pour mission de compter les résultats locaux aux élections législatives des 17 et 19 septembre derniers, durant lesquels ont été renouvelés les 450 sièges de la Douma, chambre basse de l’Assemblée fédérale de la Russie. De nombreux scrutins régionaux ont lieu simultanément, comme d’ailleurs dans la République de Touva, où le vote fédéral coïncidait avec l’élection du président local. Le parti au pouvoir Russie unie a, sans grande surprise, conservé la majorité absolue des sièges avec 49,82 % des voix, malgré un léger recul.

Il faut dire qu’en Russie, toutes les voix attribuées à des partis qui n’atteignent pas le seuil électoral de 5% sont reversées aux formations qui l’ont atteint, et ce, sans calcul de proportionnalité. Ce qui avantage énormément le parti au pouvoir, les partisans de l’opposition devant se concerter pour rassembler leurs bulletins derrière un vote « utile ».

Des chiffres venus d’en haut

Quant aux Touvains, ils ont – officiellement – élu comme président le candidat de Russie unie, Vladislav Khovalyg, avec 86,81% des voix. Sauf que, comme un peu partout dans le pays, les suspicions de fraude allaient bon train, et elles viennent ici d’être confirmées par des aveux : dans leur lettre, les fonctionnaires assurent qu’ils sont eux-mêmes des partisans d’un suffrage honnête, mais qu’on ne leur a pas laissé le choix: « Nous espérions qu’avec les nouvelles autorités, le trucage des votes cesserait, mais « on nous a communiqué certains chiffres qui devaient sortir à la fin du décompte. Si nous n’avions pas fait ce qu’on nous a dit d’en haut, tout le monde aurait perdu son emploi. C’est cette crainte qui nous a poussés à prendre cette mesure. »

De bien médiocres pots-de-vin

Une mesure de fraude pour laquelle ils ont quand même touché des pots-de-vin. Mais pas assez élevés à leur goût, ce qui les a motivés à dénoncer la situation, quatre mois après les faits : « Après avoir effectué un travail important à nos risques et périls, après avoir exécuté toutes les instructions légales et illégales des grands patrons, nous avons reçu une rémunération, à notre avis, indigne et disproportionnée par rapport à la gestion de la Commission électorale de Touva. Pour faire apparaitre certains pourcentages, les membres de la commission ont reçu environ 20 à 40 000 roubles [NDLR : 240 à 480€], les membres du CET de 60 à 100 000 [720 à 1 200], et les présidents de la CET ont reçu des primes. Tout le travail minutieux a été fait par nous, par ceux qui travaillent sur le terrain », dit la lettre.

Apparemment, tout travail y compris malhonnête mérite salaire, dans l’esprit de ces assesseurs russes. L’affaire en tout cas apporte du grain à moudre aux – nombreux – Russes qui n’ont plus grande confiance en leur appareil politique ni en leurs élections, ce qui a d’ailleurs des conséquences graves sur la situation sanitaire du pays. Mais à 3 700 kilomètres de Moscou, il reste fort improbable que vienne de la République de Touva la vague qui ébranlera l’inamovible président Vladimir Poutine.

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