Pourquoi les travailleurs français sont plus productifs que leurs homologues britanniques

En France, les travailleurs travaillent moins d’heures et prennent plus de vacances que leurs homologues britannique et pourtant, ils sont plus productifs, écrit The Guardian. Le plus surprenant n’est pas la joie de vivre reflétée dans cette culture du travail mais bien le fait que la productivité globale du pays est plus élevée que celle du Royaume-Uni, où les travailleurs ont plus d’heures de travail et touchent des salaires inférieurs, explique le quotidien.

Selon l’Office for National Statistics, l’agence nationale britannique chargé de la collecte et de la publication des statistiques économiques, démographiques et sociales, en 2013, les travailleurs britanniques produisaient entre 27% et 31% de moins que leurs homologues français et allemands et ce, alors même que la France a un taux de chômage plus élevé que le Royaume-Uni. Le chômage en France était de 9,9% en 2014, contre 6,1% au Royaume-Uni.

Selon l’entrepreneur français Thibault Fulchiron, il ne s’agit pas de travailler moins mais plutôt d’être plus efficace lors de la gestion de son temps de travail. Fulchiron a fondé avec son ami Valentin Goux, une société de mode masculine dans la capitale anglaise il y a trois ans. Selon lui, l’habitude qu’ont les Britanniques de mélanger travail et plaisir constitue un obstacle pour la productivité du pays.

Alors qu’au Royaume-Uni, la socialisation au sein de la sphère professionnelle est considérée comme saine, en France, les employés préfèrent garder une certaine distance sur le lieu de travail. « En France, vous avez l’espace professionnel et l’espace social », souligne Fulchiron. « Au Royaume-Uni, on attend de vous que vous participiez à des « pots », ou que vous vous chargiez d’autres tâches pour votre employeur. Vous perdez donc un temps pendant lequel vous pourriez être plus productif au bureau », souligne l’entrepreneur français. Selon celui-ci, la qualité prime sur la quantité.

The Guardian se demande comment font les travailleurs français pour achever tout ce qu’ils doivent faire dans le délai réglementaire de travail de 35 heures par semaine. En réalité, les 35 heures de travail par semaine, introduites en 2000, sont dans une certaine mesure un mythe, explique le journal. La loi a été assouplie et de nombreuses entreprises ont maintenant une approche plus souple, comme le paiement des heures supplémentaires à des taux plus élevés. La moyenne d’heures travaillées en France se rapproche davantage des 40 heures par semaine. Malgré l’écart entre les heures de travail contractuelles et réelles en France, toute adaptation majeure de la loi sur les heures de travail suscite de vives protestations et la colère des travailleurs. La nature rigide et protectrice des lois françaises sur le travail est l’une des clés de la meilleure productivité de la main d’œuvre française. Une meilleure sécurité de l’emploi en France signifie que les personnes ont davantage tendance à rester plus longtemps avec le même employeur, ce qui débouche sur une meilleure compréhension des besoins de l’entreprise et une confiance plus grande dans leur rôle.

« Il n’est pas nécessairement vrai que la stabilité va de pair avec la fidélité mais contrairement au Royaume-Uni, où le renouvellement du personnel est beaucoup plus rapide, et où il existe une industrie agressive du recrutement, les travailleurs français ont une mentalité moins opportuniste lorsqu’il s’agit de leur carrière », ajoute Fulchiron. 

Par contre, pour Julian Kabab, PDG de Flashgap, une application de partage de photos, le modèle de travail français ne devrait pas être utilisé comme canevas pour la productivité. Pour le patron de la petite entreprise française, le pointage pour un certain nombre d’heures prestées n’est pas la meilleure façon de stimuler la croissance dans une entreprise.

« Sur le long terme, je ne pense pas que l’argent représente la meilleure motivation. Voilà pourquoi chez Flashgap, près de 10% de nos actions sont détenues par nos employés. Ils travaillent pour leur propre compagnie qui est maintenant l’affaire de tous », explique Kabab.

Kabab est sceptique quant à l’exactitude des statistiques concernant la productivité française. Ce scepticisme est partagé par le Dr Steve Priddy, directeur de recherche à la London School of Business and Finance, et doyen de l’école de commerce de Grenoble. Priddy met en garde contre toute comparaison entre la France et le Royaume-Uni sur base des données existantes.

Pour Priddy, ces statistiques ne tiennent pas compte de la législation qui a réduit la semaine de travail légal en France. « Votre dénominateur est beaucoup plus faible et par conséquent, la productivité apparaîtra comme plus élevée. Les heures contractuelles ne reflètent pas la quantité réelle d’heures travaillées par une personne », estime l’expert.

Par ailleurs, selon John Van Reenen, directeur du Centre for Economic Performance de la London School of Economics and Political Science, les statistiques de productivité sont affectées par le fait que le chômage est beaucoup plus élevé en France. Cela signifie que les personnes les moins productives ne sont pas reprises dans ces statistiques, ce qui flatte les chiffres de la productivité française, explique Van Reenen.

Mais les causes d’une productivité élevée en France et en Allemagne vont bien au-delà d’une discussion en ce qui concerne la semaine de travail et les jours fériés, souligne Priddy. Selon ce dernier, ces deux pays ont été moins dépendants du secteur bancaire durant la crise financière. Priddy estime que pour que le Royaume-Uni soit compétitif vis-à-vis de ses voisins continentaux, le pays doit desserrer ses liens et sa dépendance aux flux traditionnels de financement.

« La croissance des prêts aux entreprises en dehors du secteur bancaire est quelque chose que nous devons encourager. Ils représentent une très petite base pour le moment mais ils augmentent de plus en plus vite et offrent des moyens d’investissement plus souples pour les PME que nous souhaitons voir émerger », conclut Priddy.

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