Pourquoi De Wever veut un « mini-gouvernement » rapide avec le PS en 2024

Les partis flamands ont mené une série de meetings ce weekend. Mais c’est bien Bart De Wever, le président de la N-VA, qui a une fois de plus réussi à donner le ton, avec une proposition frappante sur la formation du gouvernement fédéral : selon lui, un « mini-gouvernement » devrait être formé immédiatement après les élections. À partir de ce gouvernement, une réforme plus large de l’Etat pourrait être préparée, avec la N-VA et le PS comme axe dominant, bien sûr. Retour à l’été 2020. Si le PS a rejeté discrètement la proposition, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) est allé beaucoup plus loin : « Combien de fois ont-ils joué ce disque ? » Cependant, ce qui semble n’être qu’une énième joute verbale à ce sujet deviendra un facteur déterminant en 2024 : celui qui dirige un gouvernement en affaires courantes dispose d’un énorme avantage stratégique, comme le PS et la N-VA l’ont appris à leurs dépens la dernière fois.

Dans l’actualité : Au cours d’un week-end riche en actualités politiques, la N-VA a fait passer un message important : elle veut négocier rapidement et ouvertement en juin 2024.

Les détails : De Wever lance une offensive de charme dans le sud du pays. Après huit ans de silence radio, il a accordé une interview à la matinale de Bel-RTL, principalement pour mettre à mal le Vlaams Belang.

  • « Once more unto the breachdear friends, once more » (une fois de plus sur la brèche, chers amis, une fois de plus). C’est ce que je vous demande. Restez à mes côtés. Restez avec moi. Restez avec nous. Aux côtés de la N-VA ». C’est avec une citation d’Henry V, acte 3, scène 1, que De Wever a donné une touche shakespearienne à la conférence de son parti.
  • Le roi et héros anglais Henry, encore sauvage et téméraire dans les pièces précédentes, est devenu mélodieux et réfléchi dans Henry V, cet épisode de la pièce en quatre actes de Shakespeare sur les rois anglais, prononçant son discours juste avant la bataille historique contre les Français à Azincourt. Comme Henry, De Wever a appelé dimanche ses partisans jaunes et noirs à se rendre une nouvelle fois sur le champ de bataille : « Personne d’autre ne le fera, pour la Flandre et pour la prospérité », a-t-il ajouté.
  • En tout état de cause, on ne peut reprocher à De Wever son manque de goût pour l’épopée. Mais ce week-end, le président de la N-VA a associé cette idée à une stratégie politique intéressante sur la manière dont il souhaite aborder les négociations fédérales en 2024.
  • Il veut ainsi procéder immédiatement à la formation de ce qu’il a appelé un « mini-gouvernement » : un gouvernement de crise qui ne compterait que des vice-premiers ministres et qui s’accorderait sur un certain nombre d’objectifs minimaux, notamment en matière budgétaire ou d’énergie. Les négociations communautaires n’interviendraient que par la suite, en cours de route : « Entre-temps, vous rafraichissez le pays en profondeur, avec un tournant confédéral », a soutenu De Wever dans Het Nieuwsblad ce week-end.
  • Le PS et la N-VA devraient former ce kern, « les deux plus grands partis des deux communautés », « ou du moins ceux qui se sont suffisamment regardés dans les yeux », a-t-il expliqué, en faisant référence à l’été 2020, lorsque cette proposition a été mise sur la table pour former un gouvernement bourguignon. À l’époque, la réforme de l’Etat n’était pas encore garantie, mais le PS avait l’intention de s’engager dans ce processus. Et cette intention était allée très loin, d’après les reconstitutions ultérieures des coulisses des négociations.

Une communication rare : De Wever est allé répéter sa proposition ce matin, sur la chaîne francophone Bel-RTL, une première en 8 ans pour une interview radio.

  • Ce n’est pas un hasard s’il a fallu attendre huit ans pour que De Wever revienne dans un studio francophone : le président de la N-VA n’avait « rien à gagner » dans le sud du pays. Mais cette fois, il voulait saisir l’occasion, avec une offensive de charme et quelques lignes claires. Il est venu préparer le terrain, pour le plan susmentionné.
  • De Wever a présenté au public francophone son offre fédérale, de former rapidement une équipe gouvernementale, et pourquoi pas d’en devenir le Premier ministre : « J’ai peu d’ambition personnelle, il ne s’agit pas de moi, mais si cela aide à transformer le pays, pourquoi pas », a-t-il déclaré.
  • Mais le message principal qui a traversé la frontière linguistique est le suivant : toute formation d’une coalition entre la N-VA et le Vlaams Belang est exclue par Bart De Wever. « Je constate que le Vlaams Belang reste le Vlaams Blok, il n’y a donc pas de coopération possible », a-t-il déclaré. Même les scénarios de soutien tacite, par exemple au gouvernement flamand, ont été fermement rejetés par De Wever. Les partis francophones, PS en tête, avaient au moins besoin de cette garantie, afin de ne pas fermer toutes les portes à De Wever, lors de la campagne électorale précédant le 24 juin. Ils l’ont obtenue ce matin. Les partis francophones n’ont plus vraiment de raison de s’opposer par principe à une alliance avec la N-VA, avec des exclusives, comme lors des précédentes négociations.

Les réactions : Évidemment, ce plan n’a pas suscité de réactions très positives au sein de la Vivaldi. Certainement pas de la part de l’Open Vld et de son acteur principal : le Premier ministre Alexander De Croo.

  • Pour commencer, il y a le PS, qui a rejeté discrètement le message du président de la N-VA. Ce n’est pas très surprenant : Paul Magnette (PS) a beaucoup fait ces dernières années pour effacer le souvenir de l’épisode de l’été 2020 avec la N-VA. Tactiquement, il n’est pas du tout opportun, avec le PTB qui lui souffle dans le cou, d’avoir un lien ou une connexion avec la N-VA avant les élections. « Former rapidement un gouvernement sans savoir pourquoi n’a aucun sens et le PS ne s’engagera pas dans un tel scénario », a réagi le PS pour Belga.
  • Ainsi, le scénario de 2019 semble se répéter : le PS détiendra la clé au niveau fédéral. Soit une sorte de Vivaldi-bis se poursuivra, soit une coalition avec la N-VA sera choisie. Dans la Vivaldi-bis, Magnette a déjà fait part de ses propres ambitions : il est temps pour lui d’assumer la fonction de Premier ministre. Un « mini-gouvernement » avec la N-VA n’entre donc pas dans ce scénario.
  • Ce qui devient alors au moins aussi important en 2024 qu’en 2019 et 2020, c’est l’attitude de l’Open Vld et du cd&v. Lors des précédentes négociations, ce sont ces deux partis qui ont freiné pendant très longtemps, pour en venir par la suite à la Vivaldi : ils voulaient que le plus grand parti flamand, la N-VA, soit à bord, au niveau fédéral, pour au moins éviter l’argument de « l’absence de majorité flamande ».
  • Reste à savoir si cette attitude sera répétée : les liens entre la N-VA et l’actuel président du cd&v, Sammy Mahdi, ne sont pas du tout au beau fixe. Et plus que l’aile flamande de ce parti, c’est le vice-premier ministre fédéral Vincent Van Peteghem (cd&v) qui a l’oreille du président : et il semble vouloir continuer à travailler au niveau fédéral avec la Vivaldi
  • Du côté de l’Open Vld, la réaction du leader en disait long. Les libéraux flamands se sont réunis à Gand ce weekend. De Croo s’est surtout concentré sur la N-VA et sur les propositions relatives à un mini-gouvernement. Ce faisant, il a multiplié les coups contre son rival, Bart De Wever :
    • « Un homme politique qui ne croit pas en notre pays ne l’améliorera pas non plus.
    • « Nous devons commencer à travailler immédiatement. Pas avec des mini-gouvernements, mais avec une maxi-ambition et des maxi-plans ».
    • « La N-VA et le PS à nouveau autour de la table ? Combien de fois ont-ils joué ce disque ? »
    • « C’est exactement ce qu’Einstein appelait la ‘folie’, toujours refaire la même chose en espérant un résultat différent. »
  • Dans le même temps, à l’instar de Guy Verhofstadt (Open Vld) qui défendait contre vent et marée son poste de Premier ministre, De Croo a sorti le couplet de l’optimisme : « Nous devons aller à contre-courant du négativisme, du pessimisme et de la complainte ». Ou encore : « J’en ai assez de cette rue de la Loi remplie de politiciens qui veulent marquer des points par leur pessimisme et faire sombrer notre pays dans le marasme ». La N-VA, qualifiée de « nationaliste » dans les discours précédents de De Croo, est devenue entre-temps « séparatiste » et a été sévèrement visée.
  • Autre élément notable : le raisonnement de l’Open Vld, qui souhaite que De Croo reste Premier ministre, mais pas nécessairement au sein d’une Vivaldi-bis. « Le fait que nous gouvernions mieux avec deux législatures Vivaldi est une déclaration de Magnette, ce n’est pas la position de mon parti », a lâché Lachaert, le président de l’Open VLD, lors de l’émission dominicale De Zevende Dag.
  • La question de savoir jusqu’à quel point la N-VA veut jouer la carte du « mini-gouvernement », par exemple en utilisant le niveau flamand comme monnaie d’échange, n’a jamais vraiment été répondue par De Wever. Son lieutenant Theo Francken (N-VA), toujours un peu moins subtil, a été plus clair samedi matin sur Radio 1 :
    • « Si vous voulez un tournant confédéral, il faudra d’abord que ce soit clair au niveau fédéral ».
    • « La dernière fois, ils (cd&v et Open Vld, ndlr) ont tout fait pour être avec nous dans le gouvernement flamand. Puis, ils nous ont enfoncé un poignard dans le dos en entrant dans un gouvernement fédéral sans nous, avec une minorité flamande. »
    • « Nous ne pouvons pas laisser passer cela deux fois. »
  • Reste à savoir si cela fait partie intégrante des plans tactiques de De Wever : en tout cas, il ne lui parait pas utile de communiquer aussi ouvertement à ce sujet. En même temps, c’est un secret de polichinelle que De Wever préfère attendre un peu avant que le gouvernement flamand ne soit formé : par exemple, les négociations à Anvers après les élections communales d’octobre.
  • Le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, à la tête du premier parti dans les sondages, a réagi avec beaucoup de véhémence : « La N-VA, par l’intermédiaire de Theo Francken, subordonne un gouvernement flamand à la formation d’un gouvernement belge. On n’a plus besoin de belgicistes quand on a des membres de la N-VA comme Francken ».

L’essentiel : un mini-gouvernement élimine la possibilité pour De Croo I de faire vivre les affaires courantes trop longtemps. Mais il ne donne aucune garantie sur la question communautaire.

  • Une observation sur les deux dernières décennies : les affaires courantes sont devenues de plus en plus importantes dans la rue de la Loi. Non seulement parce qu’il a fallu de plus en plus de temps pour former un gouvernement au niveau fédéral, ce qui a permis à des gouvernements comme Leterme II et certainement Michel II de continuer à travailler pendant une durée disproportionnée, mais aussi parce que le concept « d’affaires courantes » a progressivement été interprété de manière plus large.
  • Ainsi, Michel II est devenu un tremplin pour lancer la carrière internationale de Charles Michel, faire entrer Sophie Wilmès au Seize, et pour même faire un gouvernement d’urgence. Pendant ce temps, le MR en particulier, mais aussi le cd&v et l’Open Vld ont bénéficié d’une surabondance de ministres. Pour De Croo, cette période lui a donné l’occasion de développer sa carrière internationale pendant des mois.
  • Pour la N-VA et le PS, la dure leçon de ce séjour prolongé de Michel II et Wilmès I est que cette situation les a placés dans une position tactique et stratégique désavantageuse, pendant les négociations et la crise du covid-19 : pas d’accès à l’information, pas d’accès aux batteries de collaborateurs issus du gouvernement, pas d’accès au « système ». L’agacement de Magnette, vis-à-vis du MR, était à son comble à ce sujet en 2019 et 2020.
  • En outre, il existe un argument solide en faveur de la formation rapide prochaine d’un gouvernement fédéral : les négociations budgétaires du 24 octobre, qui doivent ramener le pays dans les limites des 3 % de déficit imposées par l’UE pour les années 2025 et 2026, s’annoncent difficiles. Au sein de l’équipe fédérale actuelle, cette situation est déjà citée comme une raison de former rapidement une Vivaldi II. Alexia Bertrand (Open Vld) s’est notamment exprimée en ce sens. La N-VA veut donc contrer cela en présentant une alternative.
  • Deuxième observation : la N-VA joue avec le feu sur le communautaire. En effet, la formation rapide d’un gouvernement semble impliquer qu’il n’y aura pas de garanties sur la réforme de l’État. Il s’agit de promesses ou « d’intentions » et, au mieux, de grandes lignes. La N-VA risque alors de se retrouver dans le scénario de la Volksunie, sous Martens VIII, en 1988-1991. Avec des garanties trop vagues concernant une nouvelle réforme de l’État, Hugo Schiltz (Volksunie) et ses collègues étaient entrés au gouvernement, pour ensuite se retirer sur une question communautaire (les livraisons d’armes de la FN). Le dimanche noir a suivi.
  • Avec cette proposition, De Wever a d’ailleurs ouvert la porte non seulement au PS, mais aussi au MR, qui ne serait que trop heureux de voir les nationalistes flamands entrer au niveau fédéral, afin de donner un autre contrepoids de centre-droit au PS, en tout cas sur les questions socio-économiques.
  • Car la question communautaire reste une pierre d’achoppement : le MR, mais aussi l’aile droite de l’Open Vld, par exemple, aimeraient que la N-VA rejoigne le fédéral, mais sans trop se préoccuper du communautaire. Ce vieux dilemme reviendra très vite sur la table en 2024.
  • Ce matin, un dirigeant de parti a analysé la démarche de De Wever en ces termes : « C’est trop tôt. Il ferait mieux de laisser d’abord le gouvernement flamand travailler correctement, car cela lui coûtera des voix. »
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