La déception est grande. Cet audit externe était censé passer au crible le controversé contrat de distribution des journaux par Bpost. Presque tous les ministres s’y étaient référés pour promettre de la transparence sur les millions d’euros surpayés par l’Etat belge. Mais cet audit se révèle être totalement insignifiant. Devant la Chambre, le ministre de l’Emploi et vice-Premier ministre du PS, Pierre-Yves Dermagne, admet que « le rapport ne contient pas de conclusions définitives » concernant ce qu’il qualifie des « tarifs potentiellement excessifs ». « Une analyse supplémentaire est nécessaire pour déterminer la possibilité d’un remboursement », a-t-il ajouté. Aujourd’hui, les administrations compétentes se réunissent : l’État belge pourrait réclamer un remboursement, mais sans savoir, faute de conseil externe, combien il a payé en trop ces dernières années. D’après certaines sources internes à Bpost, il s’agirait de centaines de millions d’euros. Le débat est aussi extrêmement pertinent pour le contrat actuel des journaux, qui attend toujours l’approbation du gouvernement. Même les 125 millions d’euros annuels actuellement proposés représenteraient toujours un profit considérable pour Bpost, affirment les personnes proches du dossier. C’est pourquoi les libéraux avaient exigé un audit externe qui aurait dû évaluer précisément les coûts avant toute prise de décision. Le PS semble les avoir menés en bateau.
À la une : L’examen externe du contrat de distribution des journaux n’est pas à la hauteur.
Les détails : En conséquence, l’État belge n’est toujours pas en mesure de formuler une réclamation pour les millions surpayés. Mais la question principale demeure : sur quelle base le gouvernement peut-il maintenant prendre une décision concernant le renouvellement du contrat de distribution des journaux ? Une nouvelle confrontation entre le PS et l’Open Vld semble inévitable.
- Ce jeudi, diverses administrations fédérales se concertent afin d’élaborer une stratégie pour « coordonner les actions de l’État vis-à-vis de Bpost dans le but de récupérer de la manière la plus efficace possible le montant des surcoûts potentiellement facturés » relatifs au fameux contrat des journaux. C’est ce que Pierre-Yves Dermagne a annoncé hier au Parlement.
- Cependant, l’État belge est actuellement limité dans ses actions juridiques. Car l’audit externe tant espéré par le gouvernement, afin de déterminer objectivement le surpaiement de la Belgique sur une longue période, n’a rien donné de concret.
- « Nous devons reconnaître que le rapport ne fournira pas de conclusions définitives concernant l’existence et l’étendue d’une surcompensation », a annoncé Dermagne.
- « Il faudra procéder à une analyse complémentaire pour établir des résultats définitifs sur un possible remboursement », a-t-il ajouté.
Cela a immédiatement suscité des réactions véhémentes de l’opposition :
- Michael Freilich (N-VA) : « En dépit de tous les serments, Dermagne annonce nonchalamment que l’enquête sur les irrégularités liées au contrat de distribution des journaux n’aboutit à rien. Pas de conclusion, et il parle sans gêne de ‘coûts potentiellement facturés’. C’est le moins que l’on puisse dire. »
- Cependant, Dermagne a également indiqué à la Chambre que ce n’est pas à l’opposition de juger de l’utilité de ce contrat : « Les résultats de ce rapport et l’attribution de la prochaine concession presse seront d’abord discutés au sein du gouvernement. »
Le contexte : Le gouvernement fédéral a invoqué à maintes reprises la réalisation de cet « audit externe ».
- Le fait que cet audit externe se solde par un résultat aussi décevant et vide de substance ne devrait finalement pas étonner grand-monde. En effet, le coût interne réel pour Bpost lié à ce contrat de distribution de journaux et, par extension, les superprofits indûment perçus en surfacturant l’État, sont au cœur d’un débat houleux au sein de la coalition Vivaldi.
- Cette tempête s’est levée lors des débats budgétaires d’octobre 2022, il y a maintenant un peu plus d’un an. L’Open Vld, en particulier, a insisté pour une réduction drastique du soutien de l’État à la distribution de la presse écrite. L’ancien vice-Premier ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) et le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) étaient partisans de l’annulation de ce contrat, suggérant que les éditeurs de journaux prennent en charge eux-mêmes les coûts de distribution. La réaction du PS, emmené par le vice-Premier ministre Dermagne et épaulé en coulisses par la direction de Bpost, fut virulente : ils avançaient que des milliers d’emplois étaient en jeu, le travail de distribution étant « inabordable » sans une aide financière conséquente.
- Une nuit entière fut dédiée à cette querelle, aboutissant finalement à une réduction du contrat de 185 millions d’euros par an à 125 millions. Mais l’Open Vld a continué d’exprimer son mécontentement, d’autant plus que la controverse a éclaté au sein de Bpost même, concernant ce contrat de distribution : la collusion présumée entre les éditeurs et Bpost, destinée à conserver ce contrat sans concurrence au sein de l’entreprise d’État, a entraîné la démission du PDG Dirk Tirez et de plusieurs de ses collaborateurs. Van Quickenborne a alors exigé une analyse externe approfondie : combien avait-on payé en trop au fil des années ?
- Le vice-Premier ministre du PS, Dermagne, a d’abord freiné fortement sur cette question, mais devant l’insistance de la ministre des Entreprises publiques, Petra De Sutter (Groen), en faveur de cet audit externe, la coalition Vivaldi décidait de le mener à bien, en dépit de l’opposition du PS.
- Lorsque le scandale Bpost a déferlé avec force sur la scène politique au printemps, mettant également De Sutter dans l’embarras, tous les ministres de la coalition Vivaldi se sont soudainement référés à cet « audit externe » : le gouvernement prend les choses en main, tel était le refrain rassurant. Et ils ont même été plus loin en affirmant que tous les millions payés en trop à Bpost seraient récupérés.
- Néanmoins, l’exécution effective de cet audit incombait à ce même Dermagne. Il a d’abord prétendu qu’aucun cabinet d’audit belge n’était disposé à prendre en charge cette mission, et la recherche s’est prolongée pendant des mois. Même une sollicitation internationale ne rencontra aucun écho. Parallèlement, la Cour des comptes signalait qu’elle n’avait « pas la compétence légale » pour mener une telle inspection de l’entreprise publique.
- C’est finalement en août que Dermagne a confié la tâche à Positive Competition, une petite firme bruxelloise déjà engagée par le SPF Économie pour travailler sur le nouveau contrat de distribution de journaux.
- Leur conclusion, peu surprenante, fut celle-ci : « Une analyse complémentaire s’avère nécessaire ».
L’essentiel : La réalisation de cet « audit externe » est cruciale pour résoudre définitivement le débat politique autour du contrat controversé.
- Le dossier du nouveau contrat de distribution de la presse, s’élevant toujours à 125 millions d’euros annuels, reste à l’ordre du jour du gouvernement fédéral. Dès février, l’Open Vld, par la voix de l’ancien vice-premier ministre Van Quickenborne, signalait qu’il n’approuverait pas ce contrat sans une compréhension claire des coûts réels pour Bpost.
- Dans le même temps, les anciens hauts responsables de Bpost ont répété leurs conclusions devant plusieurs instances : l’Autorité belge de la Concurrence, les autorités judiciaires et même la Commission européenne. Leurs témoignages révèlent une vision relativement précise des coûts associés au contrat de distribution des journaux.
- Selon eux, le coût réel s’élèverait à environ 75 millions d’euros annuellement. Cependant, les éditeurs versent à Bpost 105 millions d’euros par an, ce qui devrait en théorie largement couvrir les dépenses, selon les témoignages d’anciens employés. Ainsi, les 125 millions d’euros supplémentaires que l’État belge fournit chaque année ne seraient absolument pas nécessaires.
- Toutefois, il s’avère impossible d’objectiver ces chiffres, plus d’un an après l’éclatement du scandale qui a mis en lumière les pratiques frauduleuses.
- Bpost a entretemps procédé à ses propres audits internes, qui constituent les seuls documents de référence, y compris au sein de la coalition Vivaldi, pour débattre de ces sommes très importantes. Ces audits, naturellement, ne sont pas « objectifs » car ils ont été rédigés par les avocats internes de Bpost, Jones Day et Eubelius, qui ont eux-mêmes participé à la rédaction du contrat de distribution des journaux. Sur la base de ces audits internes, Bpost a aussi évalué le « préjudice » lié à la surfacturation à 75 millions, pour trois autres contrats publics, outre celui des journaux.
- « Nous avons fait tout notre possible pour effectuer notre ‘travail préparatoire’ aussi minutieusement que possible », commente-t-on dans les milieux gouvernementaux du PS concernant le dossier dans son intégralité.
- La vision des libéraux est radicalement différente : « Il était évident pour nous que le PS adopterait cette stratégie : prolonger le délai autant que possible pour finalement forcer la décision vers la fin de l’année 2023, si possible en évitant un examen détaillé de la gestion de Bpost. Mais nous ne prévoyons pas de fléchir sur ce point », déclare-t-on dans l’autre camp.