« Personne pour mener l’enquête »: la justice belge s’avoue incapable de poursuivre les cybercriminels

Les affaires de piratages informatiques et autres arnaques en ligne se retrouvent le plus souvent classées sans suite. Une situation déplorable dont notre justice ne se cache pas mais se défend, en invoquant le manque de moyens, humains comme matériels.

3 janvier 2021. Un drame financier. Brigitte G. découvre son compte bancaire à sec. Des pirates informatiques l’ont siphonné. Montant du préjudice : 115.000 euros. Après avoir porté plainte auprès de la police, qui a dressé un PV et l’a transmis au parquet, cette victime de cyberattaque connaîtra rapidement la décision de justice qui la concerne.

En effet, un mois seulement s’écoule avant qu’elle ne reçoive le courrier du ministère public l’informant que son dossier a été classé sans suite. Une issue on ne peut plus habituelle pour ce genre de criminalité technique, que le ministère justifie par le manque de personnel et de ressources.

« Les capacités d’enquête des services de police sont limitées. La capacité dont ils disposent ne permet pas de mener l’enquête nécessaire pour engager des poursuites contre le(s) suspect(s) dans ce dossier », peut lire l’intéressée dans la notification.

Impunité pour les cybercriminels ?

Outre le peu de considération que semble accorder notre État aux cybervictimes, la réalité judiciaire belge semble laisser les cybercriminels sévir en toute impunité. De 2019 à 2020, seules 4 affaires sur cent ont été citées devant des tribunaux. Et pour cause, 69% des affaires de criminalité informatique sont classées sans suite. Or, cette impossibilité de poursuivre de tels méfaits ne peut qu’encourager les cybercriminels à (continuer de) s’attaquer aux citoyens belges.

Interpellé par un parlementaire à ce sujet, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), a reconnu que le manque de capacité d’enquête pouvait trouver son origine soit dans les services de police, soit au parquet.

Mais le ministre libéral flamand s’est retranché derrière les aspects financiers. Il a rappelé que le budget de la Justice allait progressivement augmenter de façon structurelle. « On a déjà investi l’année dernière dans des moyens supplémentaires pour la police judiciaire fédérale et la justice pour accélérer le dossier SKY ECC », a indiqué le ministre libéral flamand.

Ce dernier fait référence à l’énorme coup de filet de la police en mars dernier, visant un cartel de la drogue trahi par ses cryptophones. Plus de 200 perquisitions avaient eu lieu simultanément en Belgique lors de cette opération inédite contre le crime organisé.

Des magistrats spécialisés

Il s’agissait bien entendu « d’un dossier de haut rang », mais Vincent Van Quickenborne assure vouloir améliorer la recherche, la poursuite et la répression des dossiers tels que celui de Brigitte G..

« Il y a eu une forte augmentation de la cybercriminalité, en raison de la pandémie du coronavirus notamment. Nous prévoyons des formations supplémentaires sur la cybercriminalité pour les magistrats et le personnel judiciaire. Nous allons également prévoir au ministère public des magistrats spécialisés en cybercriminalité supplémentaires afin de pouvoir suivre les développements à l’étranger dans ce domaine », a assuré le ministre de la Justice.

En juin dernier, le Collège du ministère public s’était réjoui de cette hausse budgétaire, qui permettra de disposer de 7 magistrats spécialisés dans la cybercriminalité et 26 membres supplémentaires pour le personnel de soutien. Un investissement se chiffrant à 1,46 million d’euros.

« Cela ne peut qu’être un premier pas », insistait toutefois le Collège, réclamant des magistrats spécialisés pour chaque parquet et parquet général afin de s’engager à armes égales dans la lutte contre la criminalité organisée.

La justice manque de munitions face à la cybercriminalité

Centaines de postes vacants, pénurie de talents, salaires gênants… Le pouvoir judiciaire belge souffre de carences, en matériel comme en profils qualifiés en IT. Au cours des derniers mois, 450 postes ont été déclarés vacants, dont 100 rien que pour la police judiciaire fédérale d’Anvers.

Chaque parquet compte un ou des magistrats spécialisés en cybercriminalité, mais qui ne sont pas dédiés et traitent également des dossiers de droit commun.

Le parquet fédéral dispose d’une cyber unit composée de trois magistrats et d’un juriste de parquet. Des experts de la « PJ du web », une section de la police judiciaire fédérale dédiée aux investigations sur Internet, tente de venir en renfort auprès des autres unités policières ou de la magistrature.

Face à l’explosion des délits informatiques, les avancées semblent rares.

Le parquet de Bruxelles a même réuni la PJ fédérale, l’autorité des marchés FSMA et la Cellule de traitement des informations financières (Ctif) pour ne citer qu’elles, afin créer une fraud team dédiée au cyber
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