Marché perverti ou signe annonciateur de récession ? Les obligations souveraines assorties d’un taux négatif connaissent un nouveau succès

Le total des obligations souveraines assorties d’un taux d’intérêt négatif a dépassé le seuil des 10 000 millions de dollars, rapporte le Financial Times. Depuis le début de cette année, les rendements obligataires sont en berne, parce que les investisseurs, inquiets par les perspectives économiques, se ruent sur les obligations souveraines, réputées plus sures.

La guerre commerciale que se livrent les Etats-Unis et la Chine, et, plus près de chez nous, le Brexit, ne présagent rien de bon pour la croissance mondiale. Les indicateurs économiques témoignent effectivement d’un début d’essoufflement de l’économie, malgré le plein-emploi dans de nombreuses économies, tandis que l’inflation demeure faible.

Les banques centrales ont pris des mesures pour stimuler la croissance

En conséquence, la Federal Reserve (la banque centrale américaine) et la Banque centrale européenne ont toutes deux décidé récemment de renoncer à mettre fin à leurs politiques respectives d’assouplissement monétaire. Les deux institutions ont déclaré qu’elles modifieraient pas les taux d’intérêt.

La Fed a également indiqué qu’elle cesserait de prendre des mesures pour réduire la taille de son bilan. La Banque centrale, qui avait annoncé la fin de son programme d’assouplissement au mois de décembre, a déclaré au début de ce mois qu’elle reprendrait son programme de TLTRO, consistant à offrir des prêts à bon compte aux banques européennes pour les encourager à octroyer davantage de crédit aux entreprises et aux ménages.

Les investisseurs se ruent sur les obligations souveraines

Les taux des obligations étaient déjà bas en raison des masses de liquidités injectées sur les marchés dans le cadre des politiques monétaires de quantitative easing menées par les banques centrales. Mais ils ont eu tendance à baisser encore davantage avec ces annonces, qui ont aussi eu pour effet d’inquiéter les investisseurs au sujet de la santé de l’économie mondiale.

En  conséquence, ces investisseurs se sont davantage tournés vers les obligations souveraines, réputées pour être plus sûres et qui présentent de meilleures cotes de crédit. « Les investisseurs commencent à demander ce que la Fed pourrait savoir sur l’économie, que le marché ignore », explique David Woo, stratège principal chez Bank of America, Merrill Lynch.

Plus de 10 000 milliards de dollars d’obligations souveraines à rendement négatif

Aussi, les rendements négatifs, c’est à dire les obligations qui obligent de façon inhabituelle les porteurs créanciers à payer des intérêts à l’emprunteur émetteur, plutôt qu’à en recevoir au titre de l’argent qu’ils prêtent, se banalisent de nouveau.

Selon Bloomberg, l’encours obligataire assorti d’un taux négatif, qui était retombé à 5700 milliards de dollars début 2018, a maintenant dépassé les 10 000 milliards de dollars (il atteint 10 070 milliards de dollars). La dernière fois qu’il avait atteint ce seuil, c’était en septembre 2017.

La Banque centrale allemande a même lancé sa première émission obligataire assortie d’un taux négatif depuis l’automne 2016 cette semaine. Hier, la Bundesbank a levé 2,4 milliards d’euros sous forme d’obligations à 10 ans au taux moyen de – 0,05 %. Ce taux négatif n’a guère découragé les investisseurs, qui auraient souhaité souscrire 2,6 fois plus que le total emprunté. Sur le marché obligataire secondaire, le taux des obligations souveraines allemandes était déjà repassé sous la barre de zéro pourcent plus tôt cette semaine.

Une inversion de la courbe des taux

Simultanément, vendredi dernier, les rendements des obligations d’État à long terme aux États-Unis sont devenus inférieurs à ceux des obligations à court terme. Cette situation, qui ne s’était pas produite depuis 2007, est appelée « inversion de la courbe des taux« . Elle a suscité l’émoi sur les marchés, car historiquement, elle est un signe avant-coureur de récessions.
L’inquiétude qui en a résulté a provoqué la plus forte chute du cours des actions depuis la période tumultueuse de décembre derniers. Cette chute s’est poursuivie sur certaines bourses asiatiques lundi.

Certains analystes ont souligné que la courbe des taux s’inversait souvent plusieurs mois (parfois jusqu’à 18 mois) avant une récession. D’autres ont rappelé que les banques centrales étaient maintenant bien plus interventionnistes que naguère, et qu’il fallait donc s’attendre à ce que la Fed prenne de nouvelles mesures pour stimuler la croissance, et contrecarrer l’arrivée d’une récession.

Mais d’après Matt Maley, stratège chez Miller Tabak + Co., il est peu probable que cela rassure les investisseurs, qui demeurent sur leurs gardes après un quatrième trimestre difficile.

En décembre, Wall Street avait échappé de justesse à l’entrée dans un marché baissier

En décembre, la bourse de Wall Street avait de justesse échappé à l’entrée dans un « bear market », ou marché baissier. Techniquement,  la chute de l’indice S&P 500 sur les 20 mois précédents s’était établie à 19,7 %, un seuil très proche des 20 % fatidiques qui marquent l’entrée dans ce « territoire ».

Là encore, cette situation témoigne généralement d’inquiétudes profondes concernant la situation économique. Le pessimisme s’impose sur les marchés, ce qui conduit à une spirale de ventes de titres qui s’auto-alimente, et à des baisses de cours en cascade sur une période durable (généralement supérieure à deux mois).

En moyenne, il se produit un marché baissier tous les 3,5 ans. Or, la dernière fois que cela s’est produit aux Etats-Unis, c’était… entre 2007 et 2009, durant la crise financière.

Une pensée auto-réalisatrice ?

« Le problème avec cette façon de voir est que nous n’investissons pas dans les récessions, nous investissons dans les actions, et les marchés baissiers commencent bien avant que l’économie ne tombe en récession », ajoute M. Maley. « De plus, nous n’avons pas besoin d’une récession pour que le marché boursier baisse de manière significative. Donc, même si nous n’avons pas de marché baissier, cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas assister à une baisse importante du marché boursier, au moment où l’économie ralentit. »

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