Les richissimes nations du Moyen-Orient, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Qatar en tête, ont réussi à changer le récit et à devenir l’eldorado financier des plus grands groupes d’investissement de ce monde. Un coup de maître savamment mené, et tant pis pour les droits humains.
L’essentiel : Le Moyen-Orient est the new place to be pour les investisseurs.
- Les fonds souverains de la région sont devenus le Graal des fonds de capital-investissement, de capital-risque et immobiliers qui peinent à trouver des financements ailleurs, rapporte le Wall Street Journal.
- Parmi les récents accords notables :
- L’acquisition de Fortress, un gestionnaire d’investissements, par un fonds d’Abou Dhabi pour plus de 2 milliards de dollars.
- L’achat de l’unité aviation de la banque Standard Chartered par un fonds saoudien pour 700 millions de dollars.
- Des entreprises et fonds sous la supervision de Sheikh Tahnoun bin Zayed Al Nahyan, conseiller à la sécurité nationale d’Abou Dhabi, ont réalisé l’acquisition d’une entreprise britannique du secteur de la santé évaluée à 1,2 milliard de dollars, ainsi que la prise de contrôle partielle d’une entreprise alimentaire colombienne d’une valeur proche de 6 milliards de dollars.
- Le plus important gestionnaire d’actifs au monde, l’Américain BlackRock, va ouvrir un bureau à Riyad pour promouvoir les investissements dans les projets d’infrastructures dans le Golfe.
- D’autres grands fonds d’investissement américains sont venus s’installer dans la région pour les mêmes raisons.
- En témoigne aussi le prix qu’il faut désormais payer pour assister à la « Davos in the Desert 2023 », une conférence économique internationale organisée par le fonds souverain saoudien (PIF) : 15.000 dollars la place. Il y a cinq ans, une telle conférence était gratuite.
- Le PIF saoudien a vu ses engagements en « titres d’investissement » passer de 33 milliards de dollars en 2021 à 56 milliards de dollars en 2022.
- Même son de cloche à Abou Dhabi, où le groupe d’investissement d’État, Mubadala, a rapporté un doublement des engagements en actions pour atteindre 18 milliards de dollars en 2022.
- La cerise sur le gâteau politique : Jared Kushner et Steven Mnuchin, deux personnalités importantes de l’administration Trump, ont tous deux bénéficié du soutien financier des fonds souverains des pays du Golfe. Ces fonds ont investi des milliards de dollars dans les entreprises et les projets de Kushner et Mnuchin, qui ont en retour favorisé les intérêts de ces pays dans la région.
Comment ? Pour briller ainsi sur la scène financière internationale, le Moyen-Orient a su tirer parti de deux événements au détriment de l’Occident.
- D’un côté, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une flambée des prix de l’énergie, qui a rempli les caisses des fonds de richesse des monarchies du Moyen-Orient, dépendants des revenus du pétrole et du gaz.
- Ces fonds disposent ainsi de dizaines de milliards de dollars supplémentaires à investir dans divers secteurs, notamment le capital-investissement, le capital-risque et l’immobilier.
- Toutefois, cette manne financière pourrait être éphémère si les prix du pétrole venaient à baisser. Les pays du Golfe pourraient alors se replier sur eux-mêmes, comme cela s’est déjà produit lors des précédentes crises énergétiques.
- Pas d’inquiétude pour le moment : le pétrole vient d’atteindre un nouveau record cette année, au-delà des 90 dollars. Mais un prix trop élevé pourrait finir par rebuter les consommateurs et devenir contre-productif.
- De l’autre, la hausse des taux d’intérêt par les banquiers centraux (initiée en partie à cause de la crise énergétique, c’est une réaction en chaîne), qui pousse les financiers occidentaux traditionnels à se retirer de certaines opérations et investissements privés.
« Maintenant, tout le monde veut se rendre au Moyen-Orient, c’est comme la ruée vers l’or aux États-Unis autrefois. C’est compliqué de lever de l’argent partout. »
Peter Jädersten, fondateur de la société de conseil en levée de fonds Jade Advisors, au WSJ
Cash is king
Ces investissements massifs dans ces pays du Moyen-Orient auront de quoi faire tiquer les organisations de défense des droits humaines, où ces derniers sont allègrement bafoués.
- « Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont les pires dans le monde en matière de droits de l’homme », écrivait en 2018 Sarah Leah Whitson, directrice de la division MENA à Human Rights Watch (HRW).
- Au palmarès des pays de la région, selon Amnesty International :
- Répression de l’exercice des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
- Censure des médias.
- Détentions arbitraires, poursuites pénales sans fondement et des condamnations à des peines d’emprisonnement pour les défenseurs des droits de l’homme dans ces pays.
- Le recours à la force « illégale et parfois meurtrière » par les forces de l’ordre et aux arrestations massives pour réprimer des manifestations.
- Discriminations à l’égard des minorités ethniques et religieuses.
- Disparitions forcées.
- Actes de torture et recours à la peine de mort.
- Elle semble bien loin, l’époque où le monde s’émouvait du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, un critique du gouvernement saoudien, en particulier du prince héritier Mohammed ben Salmane. L’homme a été tué à l’intérieur du consulat saoudien de Turquie en 2018, un meurtre que l’Arabie saoudite a finalement admis, tout en soutenant qu’il s’agissait d’une bagarre qui avait mal tourné.
- L’affaire a entraîné des sanctions internationales contre l’Arabie saoudite, y compris des sanctions individuelles contre certains responsables saoudiens. De nombreuses entreprises et dirigeants ont également évité le prince héritier MBS, et des partenariats commerciaux ont été réexaminés.
- Tout ça pour qu’au final, le Moyen-Orient s’en relève d’autant plus fort et finisse par exercer une influence de plus en plus forte sur la scène financière internationale.