Ça y est : Angela Merkel est sortie de son mutisme, pour répondre aux propositions que le président français Emmanuel Macron avait faites pour réformer et relancer la zone euro après le choc du Brexit. La chancelière allemande a donné son accord de principe pour une plus grande intégration européenne, et soutient certaines des idées du président français… Mais elle impose ses conditions.
C’est dans le cadre d’une interview donnée au journal allemand Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung que Merkel a choisi de s’exprimer. Le timing n’est sans doute pas anodin, à l’heure où l’Italie vient de se doter d’un nouveau gouvernement eurosceptique, ce qui a sans doute accru la perception de l’urgence d’une réforme de la zone euro.
Même si Merkel est restée prudente, sa réponse a été un soulagement pour l’Élysée qui attendait depuis neuf mois sa réaction. Toutefois, la chancelière a précisé les notions dont Macron n’avait fait qu’esquisser les contours, et notamment :
- La création d’un Fonds monétaire européen (FME) pour prêter aux pays en difficulté. Ce FME, contrôlé par les parlements nationaux, et non par la Commission européenne, aurait pour rôle d’évaluer les économies des pays membres, et d’accorder des prêts aux pays en difficulté. “Ces prêts seraient étalés sur 30 ans et seraient conditionnés à des réformes structurelles radicales”, a indiqué Merkel, qui envisage également l’octroi de prêts à court terme. “Cela nous permettrait d’aider les pays en difficulté en raison de circonstances extérieures”, a-t-elle déclaré.
- La création d’un “Budget d’investissement” pour la zone euro. Mais le budget envisagé par Merkel est beaucoup plus petit que celui envisagé par son homologue français. Elle a indiqué qu’il ne dépasserait pas “la fourchette de deux chiffres en milliards d’euros”, alors que Macron avait envisagé qu’il pourrait atteindre plusieurs points du PIB européen (des centaines de milliards d’euros). Ce budget serait introduit étape par étape et évalué au fil du temps pour remédier aux faiblesses structurelles des États membres.
- Une force d’intervention européenne. La chancelière s’est prononcée en faveur en faveur d’une force d’intervention militaire européenne commune, à condition qu’elle s’inscrive dans les structures actuelles de la coopération en matière de défense. Il ne s’agirait pas d’un nouveau pouvoir de l’UE, mais plutôt d’un arrangement entre gouvernements qui resterait placé sous le contrôle des parlements nationaux. Selon Merkel, la Grande-Bretagne devrait être conviée à y participer. “Sur les 180 systèmes d’armement qui coexistent actuellement en Europe, nous devons arriver à une situation comme celle des Etats-Unis, où l’on ne dénombre qu’une trentaine de systèmes d’armement. Cela faciliterait l’entraînement et les opérations”, a dit la chancelière.
- La création (éventuelle) de listes transnationales pour les élections européennes.En revanche, Merkel a refusé l’idée de la création d’un poste de ministre pour la zone euro, estimant que cela retirerait des pouvoirs importants à l’Allemagne. En outre, elle a suggéré que les réformes devraient être basées sur la coopération, plutôt que sur de nouveaux pouvoirs européen.
Les Allemands refusent de mutualiser les dettes de la zone euro
D’une manière générale, malgré son désir de renforcer l’UE, la chancelière a fermé la porte à toute proposition qui aurait pu conduire à couvrir les dettes des pays du sud de l’Europe avec le concours des contribuables allemands.
A la fin du mois dernier, 154 économistes allemands avaient dénoncé les propositions du président français dans une lettre ouverte adressée au Frankfurter Allgemeine Zeitung, expliquant qu’elles mèneraient à la création d’une « Union de la dette » dangereuse pour les citoyens européens. Les réformes structurelles sont importantes, écrivaient-ils, mais les propositions de Macron ne feraient que créer de « nouvelles lignes de crédit et des incitations à adopter de mauvais comportements économiques ».
Un véritable soutien ou une manœuvre politique ?
Les commentateurs sont partagés. Beaucoup ont exprimé leur satisfaction, toutefois, certains soulignent que la prudence est coutumière à la chancelière. « Merkel fait du Merkel: elle avance, mais à petits pas », écrit Le Monde.
D’autres y voient une nouvelle manoeuvre de la chancelière, qui aurait accordé des concessions (quoique dépourvues de substance) au président français, pour lui arracher le moment venu son soutien pour la nomination d’un Allemand pour succéder à Mario Draghi à la présidence de la Banque Centrale Européenne en 2019.