Entre autres conséquences, la crise du coronavirus aura entraîné la mise au point mort de l’économie mondiale. Assurément de quoi faire chuter drastiquement les émissions des CO2 dans l’atmosphère. Drastiquement? Et bien pas tant que cela…
Les experts s’attendent en effet à une baisse de 5,5% environ… ‘Seulement’, est-on tenté d’écrire. Cela constituerait, certes, la diminution la plus importante jamais enregistrée, loin devant la Seconde Guerre mondiale, comme le souligne une analyse réalisée par CarbonBrief… Mais on serait encore loin de la baisse annuelle de 7,6% nécessaire pour éviter que le réchauffement climatique ne dépasse le seuil fatidique pointé par le GIEC de 1,5 degré en plus par rapport à la période préindustrielle.
Cela signifierait donc qu’à la fin de cette année, le monde aura tout de même encore émis 95% du CO2 qui avait été relâché dans l’atmosphère en 2019.
Comment cela est-il possible, alors qu’aux quatre coins du monde, et même depuis l’espace, on constate les effets de la baisse de la pollution? Venise a retrouvé sa lagune d’antan, certaines grandes villes ont redécouvert le ciel bleu, la pression automobile a chuté, les avions ont pratiquement disparu des airs, etc.
Comportements individuels
Tout d’abord, il est important de faire la distinction les émissions de CO2, qui sont invisibles, d’autres sources de pollution comme celle des particules fines, qui elles sont plus observables et directement impactantes.
‘Je pense que le problème principal, c’est que les gens se concentrent beaucoup trop sur leurs empreintes écologiques personnelles, qu’ils prennent l’avion ou non, sans vraiment s’attarder sur les éléments structurelles qui font vraiment augmenter les niveaux de dioxyde de carbone’, explique Gavin Schmidt, climatologue et directeur du NASA Goddard Institute for Space Studies, au site Grist, spécialisé dans les informations liées à l’environnement.
Car au-delà de nos comportements individuels qui sont fortement perturbés par la crise actuelle, de nombreuses sources d’émissions de CO2 n’ont pas changé.
Électricité et chauffage
En 2017, les émissions globales de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ont atteint les 32.840 mégatonnes, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Le plus gros poste d’émission concernait la production d’électricité et de chauffage, avec 13.603 Mt en 2017, soit environ 41%.
Le monde consomme toujours plus ou moins la même quantité d’électricité. Si la consommation a baissé en entreprises, elle a par contre augmenté dans les foyers. ‘Il y a un déplacement des bureaux vers les maisons, mais l’électricité n’a pas été coupée’, confirme Gavin Schmidt au site américain. Par ailleurs, la majeure partie de cette électricité est toujours produite à partir de combustibles fossiles.
Quant au chauffage, le bois, le charbon, le gaz naturel ou le mazout sont encore les moyens les plus répandus. Et crise du coronavirus ou non, les gens ont toujours besoin de se chauffer ou de cuisiner.
Transports
Avec 8.040 Mt émises en 2017 (24%), le secteur des transports est le second plus gourmand en CO2.
Bien sûr, le trafic routier a fortement baissé. Bien sûr, la plupart des vols commerciaux ont été annulés. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’ensemble du secteur soit à l’arrêt. Les rayons des supermarchés ne se remplissent pas par magie, la livraison de colis, par ailleurs en très forte hausse, n’est pas soudainement devenue neutre en carbone, etc.
Électricité, chauffage et transports, on en est déjà à environ 65% des émissions mondiales qui se retrouvent peu ou pas impactées par la crise du coronavirus.
Industrie
Toujours selon l’AIE, le secteur industriel a émis 6.228 Mt de CO2 en 2017, soit plus ou moins 19% du total.
Si la production d’un nombre incalculable d’usines à travers le monde a été mise à l’arrêt, cela ne signifie pas dans tous les cas un arrêt complet. Dans l’industrie lourde par exemple, particulièrement gourmande en énergies fossiles, une activité minimale des installations doit souvent être maintenue afin de ne pas endommager l’outil ou éviter les coûts d’un redémarrage complet. Les usines dites ‘Seveso’ doivent maintenir certaines fonctions critiques à la sécurité de leurs installations.
Autre exemple: dans la très polluante industrie pétrolière, un arrêt de la production engendre de tels coûts que les producteurs préfèrent même souvent vendre à perte…
Modifications profondes
Mis bout à bout, on constate qu’il ne reste déjà plus une part d’émissions si importante que cela pour l’agriculture – dépend des secteurs -, les commerces, les services, etc. Des secteurs qui rappelons-le encore une fois ont, certes, été fortement impactés, mais dont les émissions ne sont pas pour autant tombé à zéro.
Voilà comment on en arrive à une baisse de ‘seulement’ 5,5% des émissions de CO2 qui serait tout de même inédite.
‘Je pense que les gens devraient faire du vélo plutôt que conduire, qu’ils devraient prendre le train plutôt que l’avion. Mais ce sont de petites choses, comparées aux très grandes choses structurelles qui elles n’ont pas changé’, conclut Gavin Schmidt.
En définitive, il n’est pas question de conclure que des changements de comportement individuel n’ont qu’un impact très marginal sur les émissions de CO2, et donc sur le réchauffement climatique. Car il s’agit d’un modèle de société qui peut influencer tout un secteur.
Ce constat devrait plutôt servir à motiver des modifications encore plus profondes de nos modes de productions, si l’on souhaite rester dans la fourchette de températures conseillée par la plupart des experts climatiques pour les décennies à venir.
Comme l’explique Glen Peters, directeur de recherche au CICERO (Center for International Climate and Environment Research – Oslo) dans un tweet, ‘même s’il y a une légère diminution des émissions mondiales de CO2 fossile en 2020, la concentration atmosphérique en CO2 continuera à augmenter.’
‘L’atmosphère est comme une baignoire (qui fuit)’, illustre-t-il. ‘Si vous ne fermez pas le robinet, la baignoire va continuer à se remplir de CO2…’
C’est cette direction que nous semblons aujourd’hui prendre puisqu’un rebond des émissions de CO2 est attendu dès que les mesures de confinement seront levées et que l’économie mondiale reprendra son ‘business as usual’.
‘La question n’est pas de savoir quelle sera la réduction cette année’, souligne Robbie Andrew, également cherhceur au CICERO, dans un article paru sur sur le site de l’agence de presse turque Anadolu. ‘Mais quelles seront les conséquences futures de tous les chocs et changements survenus dans la société et l’économie cette année sur les émissions à l’avenir.’