L’un des plus grands négociants en matières premières frémit devant les perspectives du marché pétrolier : « Situation critique, mouvements paraboliques »

Jeremy Weir, directeur général de Trafigura, met en garde contre une situation où les prix du pétrole atteindraient des niveaux records encore plus importants, ce qui entraînerait un ralentissement de la croissance économique.

Pourquoi est-ce important ?

Le Brent, la référence internationale du pétrole, a atteint un sommet historique de 147 dollars à la veille de la crise financière de 2008. Aujourd'hui, le prix du baril de Brent est de 120 dollars le baril.

Le président du conseil d’administration a laissé entendre au journal économique britannique Financial Times que les marchés de l’énergie étaient dans un état « critique ». Il a étayé ses propos en affirmant que les sanctions occidentales contre les exportations de pétrole russe avaient exacerbé les réserves déjà limitées, résultat d’années de sous-investissement.

« Nous avons une situation critique », a-t-il déclaré lors d’une conférence organisée par le média économique. « Je pense vraiment que nous aurons un problème dans les six prochains mois (…) avec des mouvements paraboliques, les marchés peuvent bouger et ils peuvent connaître des pics significatifs. »

Un mouvement parabolique sur les marchés est généralement défini comme le fait qu’un prix qui a augmenté pendant un certain temps monte soudainement encore plus haut.

M. Weir a déclaré qu’il était très probable que les prix du pétrole puissent atteindre 150 dollars le baril ou plus dans les mois à venir. La raison serait à chercher dans les chaînes de production qui seraient soumises à une pression encore plus forte, la Russie tentant de détourner ses exportations de pétrole de l’Europe.

« Détruire la demande »

La production pétrolière russe a diminué de 1,3 million de barils par jour, soit plus de 1 % de la demande mondiale. Mais la production nationale de produits raffinés, tels que le diesel et l’essence, a également diminué d’un montant similaire, a indiqué M. Weir.

Le démantèlement des anciennes raffineries et le manque d’investissement dans de nouvelles capacités ont fait que les produits raffinés devaient être expédiés beaucoup plus loin pour atteindre les clients. La perte d’approvisionnement en provenance de la Russie, qui possède de nombreuses raffineries très importantes, rend la situation particulièrement désastreuse. « Les barils doivent parcourir des distances beaucoup plus grandes, c’est beaucoup moins efficace qu’avant et c’est problématique », a fait valoir le haut dirigeant.

M. Weir a déclaré que la hausse du prix d’autres produits de base, notamment des métaux tels que le cuivre et le lithium, était également susceptible de peser sur la croissance de l’économie mondiale. En fin de compte, ces hausses de prix pourraient elles aussi déclencher un ralentissement et freiner la demande.

« Si nous observons des prix de l’énergie très élevés sur une période donnée, nous finirons par assister à une destruction de la demande », a-t-il déclaré. « Il sera problématique de maintenir ces niveaux et de poursuivre la croissance mondiale ».

Pas le seul prophète de malheur

Le PDG de Trafigura n’est pas le seul prophète de malheur sur ce front. D’autres analystes tirent également la sonnette d’alarme quant à l’influence pernicieuse du marché énergétique actuel sur l’économie mondiale.

Les analystes de l’institution financière Goldman Sachs, par exemple, prévoient que le pétrole pourrait coûter plus de 140 dollars le baril en moyenne au troisième trimestre, au plus fort de la saison estivale américaine. « Une forte hausse des prix reste très possible cet été, lorsque la demande saisonnière atteindra son pic », peut-on lire dans une note.

Goldman SAchs, comme Weir, cite le déclin de la production russe comme cause. Mais les analystes songent également la reprise progressive de la demande chinoise comme un facteur qui augmentera la pression sur les faibles stocks.

La semaine dernière, Jamie Dimon, le directeur général de la banque d’investissement JPMorgan, a averti que les prix du pétrole pourraient même atteindre 150 ou 175 dollars le baril cette année.

Les prix ont continué à augmenter malgré la décision de l’OPEP+

Les prix du pétrole ont déjà augmenté d’environ 50 % cette année en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et d’un déséquilibre plus large entre l’offre et la demande.

La production russe risque de chuter davantage après que l’UE a décidé le mois dernier d’interdire l’importation de pétrole russe par voie maritime. Aussi, une mesure européenne interdisant aux navires transportant du pétrole russe de souscrire une assurance dans l’UE ou au Royaume-Uni pourrait faire grimper les prix. L’alliance OPEP+ a convenu la semaine dernière d’augmenter un peu plus rapidement la production de pétrole, mais les prix ont continué à augmenter.

Trafigura était d’ailleurs le plus grand exportateur de cargaisons de brut à l’étranger du géant pétrolier public russe Rosneft avant l’invasion de l’Ukraine. La Russie représentait auparavant 6 % du commerce mondial de Trafigura, a déclaré M. Weir. Il a toutefois fait valoir que la société avait largement cessé ses activités dans le pays.

(BL)

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