L’Irlande, le pays où il n’est pas nécessaire de rembourser son crédit immobilier…

L’économie irlandaise semble sortir du marasme, et après un quatrième trimestre de contraction, le PIB a progressé de 2,7% au cours du premier trimestre de cette année, le chômage continue de baisser, tandis que les prix de l’immobilier sont repartis à la hausse.

Mais un problème demeure : le nombre de propriétaires en retard de plus de 2 ans sur le paiement de leurs échéances de crédit immobilier continue de progresser.

Au cours du second trimestre, ils étaient encore 37.066, un nombre en progression de 5% par rapport au trimestre précédent. Leurs emprunts représentent 5% de l’ensemble des crédits immobiliers sur des résidences principales.

Même si le chiffre baisse régulièrement, l’ensemble des arriérés de crédit demeure astronomique en Irlande. Au second trimestre, la proportion des crédits connaissant des arriérés de crédit de plus de 90 jours atteignait encore 19% de l’ensemble des emprunts sur les résidences principales. En Espagne, pays qui a aussi été aux prises avec les suites de l’éclatement d’une bulle immobilière, elle ne se monte qu’à 3,4%.

Comment l’expliquer? Un ensemble de raisons culturelles, juridiques et économiques ont probablement fait des Irlandais les champions du monde de la défaillance de crédit :

  • Les saisies sont rarissimes. Un rapport de la banque centrale irlandaise a montré qu’au cours du 4ème trimestre 2012, la justice n’a donné son accord que pour 38 saisies immobilières. A ce rythme, il faudrait plus de 620 ans aux banques pour obtenir des saisies immobilières sur l’ensemble des 95.000 crédits accusant des retards de paiement de plus de 90 jours.

    Dans un rapport, l’agence de notation Moody note que les saisies sont « négligeables par rapport au niveau d’arriérés ». Ses analystes ont remarqué que la tendance s’était aggravée en 2012, à un moment où les dirigeants du pays débattaient la question d’une amnistie généralisée des défauts de paiement sur les crédits immobiliers, qu’ils n’ont finalement jamais décidée. Selon Moody, les Irlandais profitent de la situation. Ils ne paient pas leurs échéances de crédit parce qu’ils savent que les chances qu’ils soient expulsés et dépossédés de leur bien sont infimes. Pour Gregory Connor, un professeur de l’université de Maynooth, près de 35% des défaillances de paiement d’échéances de crédit sont le fait de choix « stratégiques » : les emprunteurs ont les moyens de les payer, mais ils choisissent de ne pas le faire.

  • Une faille juridique empêche les évictions. La loi sur les saisies immobilières, remaniée récemment, contient une clause qui n’autorise les juges à prononcer la saisie que pour les contrats de crédit conclus postérieurement au 1er décembre 2009, après l’entrée en application de cette loi. Un jugement de juillet 2001 a popularisé cette faille… et les défaillances de crédit se sont multipliées par la suite. Et les politiciens sont réticents à se rendre impopulaires en modifiant la loi pour rétablir sa rétroactivité.
  • Certains suspectent que les banques ont tout intérêt à maintenir un certain statu quo. Les défaillances de crédit sont comptabilisées dans une catégorie d’actifs avec un risque latent, ce qui implique qu’elles conservent encore une certaine valeur dans le bilan des banques. En effectuant la saisie et la revente à perte, la banque s’expose à devoir constater une perte réelle. Les saisies immobilières pourraient ainsi révéler l’étendue de leurs problèmes, ce qui pourrait être embarrassant à la fois pour le pays, mais aussi pour l’UE qui lui a consenti un prêt d’urgence.

Ainsi, prêter de l’argent est une activité particulièrement risquée en Irlande… Mais cela va bien au-delà.

Au cours de la crise financière, le gouvernement irlandais a renfloué les banques de 64 milliards d’euros (l’équivalent de 40% du PIB du pays), mais ce faisant, il a acquis des prises de participation. Ce qui signifie que les contribuables irlandais sont partiellement propriétaires des banques du pays… y compris, bien entendu, ceux qui ne leur remboursent pas les prêts qu’elles leur ont octroyés.

Le gouvernement irlandais s’est beaucoup endetté lui-même pour procéder à ce sauvetage du système bancaire, au point qu’il a dû réclamer un prêt d’urgence de 67,5 milliards d’euros à la troïka composée de la Commission Européenne, du Fonds Monétaire International, et de la Banque Centrale Européenne, en novembre 2010. Autrement dit, ce sont les contribuables européens qui supportent le risque de défaillance des emprunts hypothécaires irlandais.

Les prêteurs européens redoutent les risques posés par les défaillances de crédit, et ils ont demandé au gouvernement irlandais de prendre des mesures pour faciliter les saisies immobilières.

L’accumulation des arriérés de crédit a aussi un effet pervers sur l’économie irlandaise : il prive les banques des rentrées de capitaux dont elles ont besoin pour octroyer les prêts servant à financer les investissements des entreprises… comme les projets d’acquisition immobilière des particuliers. Ainsi, les prêts au secteur privé sont au plus bas en Irlande.

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