« Les Wallons aiment profiter de la vie, est-ce si mal ? » : le trait d’humour de Paul Magnette qui ne passe pas en Flandre

Le président du PS et auto-proclamé candidat au poste de Premier ministre a accordé une interview séduction à Dag Allemaal, le magazine le plus populaire de Flandre. Sauf que ses propos se sont retournés contre lui.

Dans l’actu : le point qui fâche dans l’interview de Paul Magnette dans Dag Allemaal.

  • Le journaliste, Guy Van Gestel, se demande d’abord comment cela se fait-il que le chômage soit deux fois plus élevé en Wallonie, qu’en Flandre, et le taux d’activité bien plus bas (76,8% en Flandre contre 65,9% en Wallonie) ?
    • Paul Magnette entame son argumentaire : « La destruction de l’industrie lourde a durement touché la Wallonie. Il faut du temps pour sortir du trou. Jusque dans les années 1960, la situation était inversée et la Flandre pauvre bénéficiait de la solidarité belge. J’ai l’impression que les Flamands en veulent parfois trop. Je l’ai compris quelque part : pendant des siècles, il y a eu de la pauvreté, et il est apparemment dans les gènes de travailler aussi dur que possible (chez les Flamands). Parfois peut-être au détriment de son propre bonheur. »
  • « Ne s’agit-il pas de clichés ? », s’interroge le journaliste.
    • Paul Magnette décide alors d’illustrer son propos par un trait d’humour : « Il y a une blague connue à ce sujet. Un Flamand dépasse un pêcheur le long d’une rivière wallonne. ‘Pourquoi n’achètes-tu pas un grand bateau avec beaucoup de lignes, pour gagner plus comme moi et arrêter de travailler plus tôt [dans la journée] ?’, demande le Flamand. ‘Mais que feras-tu ensuite ?’, répond le Wallon. ‘Je pourrai pêcher comme toi’, renchérit le Flamand. « Pourquoi repousser si longtemps le bonheur, se demandent de nombreux Wallons. Les Wallons aiment profiter de la vie. Est-ce si mal ? »
  • La question était de savoir comme cette boutade allait être perçue au nord du pays. Paul Magnette a sa réponse : « Vlamingen moeten altijd hard werken, Walen genieten liever van het leven. Is dat zo fout? », titre Het Laatste nieuws, le quotidien le plus populaire de Flandre, qui reprend l’interview. « Les Flamands doivent toujours travailler dur, les Wallons préfèrent profiter de la vie. Est-ce si mal ? »
  • Volée de bois vert sur les réseaux sociaux, à commencer par le libéral Bart Sommers (Open VLD), vice-ministre président du gouvernement flamand : « Ainsi, Paul Magnette prouve qu’il ne convient pas comme Premier ministre. Alors que le taux d’emploi en Wallonie est dramatiquement à la traîne, il fait des déclarations idiotes. Quand le PS s’attaquera-t-il enfin au marché du travail au sud du pays ? » Et d’ajouter : « Soi dit en passant, pas très sympa non plus pour les Wallons qui travaillent dur, que vont-ils pouvoir penser d’une chose pareille ? »
  • Le député de l’opposition, Sander Loones (N-VA), n’a pas pu pas manquer cette occasion : « Très juste Bart Somers. Mais pourquoi l’Open VLD subordonne alors la Flandre à la Belgique et veut enlever des pouvoirs à la Flandre (refédéralisation) ? Pourquoi donner plus de pouvoir au PS sur ce que nous pouvons décider nous-mêmes en Flandre ? »
  • Même le co-président de Groen, Jeremie Vaneeckhout, n’en revenait pas : « Si vous ne voulez pas profiter de la vie, veuillez lever la main… Cela n’a vraiment aucun sens. C’est une insulte aux Belges vivant en Flandre et en Wallonie. »
  • Paul Magnette est lui aussi tombé des nues face aux nombreuses réactions politiques : « Prendre la chute d’une blague pour une déclaration politique, où est-on ?! Confirmation qu’il n’y a pas de place pour le second degré en politique. Et encore moins quand on fait exprès de ne pas comprendre. » Un homme politique chevronné comme le président des socialistes devrait pourtant savoir qu’une phrase sortie du contexte de l’interview peut faire des dégâts : il a fait la même erreur il y a un an, à propos de l’e-commerce.

Le contexte : une campagne électorale déjà bien lancée.

  • La N-VA et son président, Bart De Wever, ont été les premiers à dégainer la campagne (pré)électorale. « Ce sera le confédéralisme ou rien », avait claironné le bourgmestre d’Anvers, il y a quelques semaines, renouant avec une ligne politique qui a fait son succès par le passé, avant de lancer sa proposition de méthode extra-légale pour y parvenir.
  • Paul Magnette lui a d’ailleurs répondu dans l’interview accordée à Dag Alemaal : « Le confédéralisme, à mon avis, signifie la fin de la Belgique, et je ne veux pas en parler. Si vous divisez la sécurité sociale, il n’y a plus de pays. Alors pourquoi la N-VA veut-elle encore garder la Belgique ? Simple, parce qu’ils veulent Bruxelles. Supposons que la Flandre veuille continuer séparément – ce que je ne crois pas – il nous restera alors une Belgique certes plus petite, mais avec la Wallonie ainsi que la ville de Bruxelles, où 92% parlent français. Et alors la Flandre perdra la capitale de l’Europe. »
  • Le président du PS s’est lui auto-proclamé candidat au poste du Premier ministre, à la tête d’une coalition, qui, dit-il, a toujours eu 10 ans d’espérance de vie dans sa tête. Rappelons qu’en 2020, le poste lui a échappé au profit d’Alexander De Croo, pourtant issu d’un parti qui ne pesait que 10%. Mais les circonstances (deux plus gros partis flamands exclus de la coalition, 3 Premiers ministres francophones l’affilée, et les vétos du MR et d’Ecolo) en ont finalement décidé autrement.
  • Soyons clairs, dans Le Soir, ce n’était pas la première fois que le bourgmestre de Charleroi se positionnait pour la fonction suprême, et personne n’a vraiment de mal à imaginer la famille socialiste comme la première puissance politique du pays en 2024, avec le PS comme premier parti (ce qui a sans doute poussé la N-VA à bouger), mais cette sortie-là était celle de trop pour Alexander De Croo, qui a répliqué violemment sur VTM Nieuws, assez rare que pour être souligné : « Nous sommes à un peu moins de 500 jours des élections. Apparemment, M. Magnette travaille là-dessus. Si j’étais lui, je travaillerais sur le gigantesque écart – qui ne cesse de se creuser – entre le nombre de travailleurs en Flandre et le nombre de chômeurs en Wallonie. Le PS a tous les leviers en main pour y remédier.”
  • Un agacement qui fait son chemin, en Flandre, sur le manque d’ambitions de la coalition Vivaldi à matérialiser ses dernières réformes. À commencer par la réforme des pensions, au sujet de laquelle le PS bloque, car il a déjà obtenu ce qu’il était venu chercher : la hausse de la pension minimale.
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