« La fin de l’État de droit », fustige Nollet, un « coup d’État », renchérit Lachaert : De Wever remet « sa » réforme de l’État extralégal au centre du débat, et s’oppose diamétralement à la Vivaldi

« C’est extrêmement dangereux, et on le voit de plus en plus chez les conservateurs de droite », a réagi ce matin Jean-Marc Nollet (Ecolo) à propos des projets de Bart De Wever (N-VA). « Un plaidoyer pour un coup d’État parce que les résultats des élections ne permettront pas au pays de se diviser », a commenté Egbert Lachaert (Open Vld) qui qualifie l’affaire, « d’inquiétante, en tant que démocrate ». La N-VA remet ainsi la réforme de l’État à l’ordre du jour. Mais cela illustre aussi le manque d’alliés pour que la N-VA puisse jouer un rôle fédéral à l’avenir. Au sein de la coalition fédérale, les Verts ont compris depuis longtemps que seule la Vivaldi leur garantit un retour au pouvoir. Les socialistes, et certainement le PS, envisagent de plus en plus le même scénario : une Vivaldi II, mais avec un autre Premier ministre. Le MR et l’Open Vld regardent le tout avec frustration : un scénario dans lequel la N-VA peut se joindre à eux pour pousser à droite sur le plan socio-économique reste une option pour une partie des libéraux. Mais c’est précisément cette réforme de l’État qui les dérange.

Dans l’actualité : La N-VA est de retour là où elle préfère être : toute seule, en opposition aux partis traditionnels.

Les détails : Extralégal ou illégal ? La frontière est mince, mais la nuance est importante, lorsqu’il s’agit de moments institutionnels majeurs de l’histoire politique belge.

  • « Abyssus abyssum invocat« . Parfois, un peu d’humour peut fonctionner, de manière taquine, même dans la rue de la Loi. Lorsque Paul Magnette (PS) tweete en latin, vous savez qu’il ne peut s’adresser qu’à un seul homme : Bart De Wever.
  • Littéralement, c’est « l’abîme appelle l’abîme », « de mal en pis » pourrait-on traduire un peu plus librement. Mais c’est surtout une façon pour Magnette d’exprimer son dégoût pour le plan de réforme de l’État que De Wever a déroulé ce week-end dans une interview à De Tijd, et répété lors du congrès de son parti « Démocratie et État de droit » samedi, ainsi que dimanche sur la VRT lors du Zevende Dag. De Wever, bien sûr, a également répondu à Magnette en latin : « Errare humanum est, perseverare diabolicum« , ou « l’erreur est humaine, y persister est diabolique ».
  • Cela en dit long sur le ton de la rue de la Loi. Mais avec Egbert Lachaert, le président des libéraux flamands d’Open Vld, on est encore monté crescendo : « Un plaidoyer pour un coup d’État, car les résultats des élections ne permettront pas au pays de se diviser. En tant que démocrate, vous pouvez trouver ça inquiétant. »
  • Débattant avec De Wever lors du Zevende Dag, la principale observation de Jeremie Vaneeckhout, le coprésident de Groen, était « que la N-VA est engagée dans son combat historique depuis 15 ans ». « Mais en attendant, le gouvernement flamand sape chaque jour le soutien au confédéralisme en ne s’occupant pas correctement des soins aux personnes âgées, des soins aux enfants, de la politique environnementale, de la politique climatique ou des transports publics. »
  • En Belgique francophone, le plaidoyer est encore plus mal accueilli. Le politologue Pascal Delwit de l’ULB s’en prend vertement à la N-VA dans La Libre, ce qui n’est d’ailleurs pas une première : « Pour outrepasser la constitution avec une forme d’acceptation sociale et politique, il faudrait un large accord. Sinon, c’est un coup d’État au sens littéral. », fait-il valoir.
  • Et ce matin sur LN24, Jean-Marc Nollet (Ecolo) a sorti le grand jeu : « C’est extrêmement dangereux, et on le voit de plus en plus chez les conservateurs de droite, malheureusement pas seulement en Flandre. Les gens se mettent en marge de la loi. De Wever dit littéralement qu’il ne respectera plus la Constitution, alors cela signifie la fin de l’État de droit. Jamais Ecolo ne sera partenaire de l’illégalité en la matière. »
  • Cependant, ce que déclare De Wever n’est pas du tout nouveau. En juillet 2021, il avait déjà formulé l’idée d’un « moment Lophem », « pour éviter une implosion du système ». Puis, dans le cadre d’une série d’interviews, De Zondag l’a interrogé, dans ce fameux château de Lophem, sur sa vision du prochain cycle de négociations fédérales et de la réforme de l’État.
  • Et même à ce moment-là, l’analyse de De Wever était que l’extrême-gauche et l’extrême-droite obtiendraient des résultats particulièrement bons, et que le terrain de jeu deviendrait donc complètement bloqué. Trouver une majorité des deux tiers devient alors impossible. Tout comme en 1919, lorsque les principaux partis réunis à Lophem ont décidé de contourner la Constitution et d’introduire le droit de vote unique universel, ce qui n’était ni constitutionnel ni légal.
  • Ce week-end, De Wever a donc répété ce plaidoyer, avec un peu plus de force. Ce faisant, il a prévenu qu’il « ne veut pas appeler cela une révolution ». « Toutes les grandes réformes ont été extralégalisées, puis légalisées. J’en ai parlé avec Jean-Luc Dehaene pendant longtemps », a-t-il notamment évoqué, en référence au cycle de discussions à Val Duchesse, en 2007. Il s’agissait aussi de la méthode des pouvoirs « bicéphales », où de facto les choses sont déjà morcelées au niveau fédéral.
  • « Par exemple, les grands départements nationaux ont d’abord été divisés de facto », a expliqué De Wever. « Dans ce pays, une chose est sûre : une fois que vous avez obtenu l’autonomie, elle ne se reconstituera jamais, car pourquoi feriez-vous quelque chose avec une partie du pays qui pense fondamentalement différemment et vote fondamentalement différemment ? ».
  • La N-VA a lancé sa guerre électorale, c’est clair. Dans les couloirs ce matin, on est dans l’affrontement chez les nationalistes : « Si Nollet parle de l’État de droit, il oublie certainement qu’il est membre d’un gouvernement fédéral qui a déjà été condamné des milliers de fois pour avoir violé la loi et le droit d’accueillir des demandeurs d’asile. Jusqu’aux condamnations par Strasbourg. Ils refusent de payer les astreintes. Et ensuite, dire que nous ne respectons pas l’État de droit. Ecolo ferait mieux de se taire ou de quitter la Vivaldi par honte. »

La vue d’ensemble : De Wever sera bientôt tout seul, si une septième réforme de l’État doit avoir lieu.

  • Tout le monde s’enferme dans ses positions à l’approche de l’année électorale 2024. Le leader du marché, la N-VA, est clairement à la recherche d’un positionnement. Après tout, sa place n’est pas du tout assurée.
  • Il est hors de question de répéter l’expérience suédoise selon laquelle « un gouvernement sans socialistes est aussi bon qu’une réforme de l’État ». Au MR, avec Georges-Louis Bouchez en tête, ainsi qu’une série de leaders de l’Open Vld, ils rêvent toujours d’une coalition dans laquelle la N-VA mettrait de côté son programme communautaire pour faire passer un programme socio-économique de droite.
  • « Ils restent nos alliés logiques, il faut essayer de raviver cela », telle est la conviction qui résonne, tout en haut, chez les libéraux. Un paquet de personnes au MR, qui a fait cette coalition suédoise à l’époque, y croit encore : l’ancien camp de Didier Reynders (MR) en particulier espère cette piste. Bouchez lui-même demande depuis des mois une rencontre avec De Wever, mais celui-ci refuse.
  • Pour une raison précise : cette fois, en 2024, la N-VA veut des réformes communautaires. Ou bien il perdra tout simplement son flanc flamingant, telle est l’analyse, en interne. Dès lors, le pont bâti avec PS en 2020 semble s’effondrer : le confédéralisme, via un « grand accord » avec Magnette, semble plus éloigné que jamais.
  • « Ce n’est plus un secret que Magnette compte sur une prolongation de la Vivaldi. Il peut d’ailleurs compter dessus : sur le plan électoral, cette équipe fédérale a encore de l’avenir. Mais la famille socialiste risque d’avoir beaucoup plus de sièges. Le Premier ministre De Croo sera alors écarté, et qui entrera logiquement en scène pour le Seize ? », analysent-ils au boulevard de l’Empereur, le siège du PS.
  • De Wever veut donc commencer à travailler avec des méthodes « extralégales », plutôt que de nommer les partenaires de coalition avec lesquels il veut le faire. Le fait que son parti se réaffirme ainsi comme un parti non classique, un peu anti-système même, est commode : « Je ne participerai pas au statu quo. Parce qu’alors l’argent flamand sera perdu. »

En résumé : pour ceux qui veulent bien regarder dans le passé, la N-VA n’a pas tout à fait tort.

  • Il n’y a pas que l’exemple de Lophem. La toute première réforme de l’État a également eu lieu sans suivre tout à fait le chemin constitutionnel correct, tout comme l’adhésion à l’UE. Et il y a cette « méthode bicéphale », où les pouvoirs fédéraux ont d’abord été divisés de facto au sein du gouvernement fédéral avant d’être légalement transférés aux entités fédérées : cela s’est produit pour l’éducation et les licences d’exportation d’armes. Mais il est important de noter qu’une majorité claire s’est dégagée à chaque fois pour couvrir politiquement ces constructions. Il n’a toutefois pas toujours été question de majorité des deux tiers.
  • Dans le système politique belge, la Constitution a toujours été considérée comme un document malléable qui se prêtait à des interprétations très larges et hautement politiques. Le pacte d’Egmont a fait trébucher le gouvernement Tindemans en 1978 à peu près sur ce point : « La Constitution n’est pas un bout de papier », avait crié le Premier ministre dans l’hémicycle, qui n’a pas pu s’accommoder de l’insouciance des présidents de parti à l’égard des objections constitutionnelles et a offert sa démission.
  • Mais le meilleur exemple d’une interprétation libre de la constitution qui est allée très loin reste la façon dont le Premier ministre, Wilfried Martens (CD&V), a guidé son gouvernement et surtout le Palais royal dans la petite question royale, en 1990. Le roi Baudouin avait refusé de signer la loi sur l’avortement, mais toutes sortes de tours de passe-passe juridiques ont été utilisés pour déclarer que le roi était « dans l’impossibilité de gouverner » pendant trois jours, et la caravane a pu poursuivre sa route.
  • Ces interprétations successives produisent une érosion, qui s’est depuis ancrée dans le système. La méthode consistant à utiliser l’article 195, qui régit en fait le fonctionnement de la Constitution elle-même, pour déclarer que tous les articles de la Constitution peuvent être révisés, en est un bon exemple : personne ne considère aujourd’hui cette méthode comme « anticonstitutionnelle ».
  • Mais il y a une rupture avec le passé : jamais un homme politique de premier plan n’est allé jusqu’à annoncer haut et fort, au préalable, que cette méthode « extralégale » est aussi la seule qui puisse encore fonctionner. Elle s’inscrit dans la vision plutôt pessimiste de l’avenir que M. De Wever entretient depuis longtemps à propos du niveau fédéral. Et cela place clairement son parti contre les autres.

L’essentiel : la réforme de l’État en tant que thème central est de retour dans la rue de la Loi.

  • La semaine dernière, une lettre ouverte peu remarquée de trois députés de premier plan du CD&V – Koen Geens, Wouter Beke et Servais Verherstraeten – pourrait faire office de canari dans la mine de charbon. En substance : il faudra quoi qu’il arrive parler d’une septième réforme majeure. « Non pas parce que nous voulons absolument établir cet agenda communautaire. Mais par nécessité financière, même pour ceux qui ont à cœur le niveau fédéral », nous confie l’un des auteurs de la lettre.
  • Ce faisant, ils passent au crible les chiffres bruts de plusieurs rapports, qui prédisent sans trop d’états d’âme une insolvabilité financière imminente du niveau fédéral ainsi que des niveaux wallon et bruxellois. L’argent est à nouveau le moteur des discussions communautaires : nul besoin d’une boule de cristal pour le voir en 2024.
  • L’attaque communautaire de De Wever s’inscrit dans ce contexte financier apocalyptique, que les autres partis flamands regardent également avec lucidité : ce n’est pas un hasard si tous les partis flamands de la Vivaldi prônent des « réformes ». Eux aussi sentent de plus en plus le souffle chaud de la Commission européenne dans leur coup. Seulement : quel positionnement émettre vis-à-vis du récit de la réforme de l’État ? Cette question devient inévitable, et générera la tension nécessaire au sein des partis la Vivaldi. Le CD&V peut déjà en témoigner : le président du parti n’attendait pas ce sujet, mais il n’a pas le choix.
  • En effet, le plaidoyer du trio CD&V pour retirer les soins de santé des compétences fédérales et les transférer aux entités fédérées n’est pas la seule escarmouche. À Bruxelles, les dirigeants de la partie francophone se réunissent également, afin de préparer un nouveau cycle de réforme de l’État. Ce faisant, ils se concentrent principalement sur la Région bruxelloise, où un enchevêtrement de commissions communautaires fait encore obstacle à une gouvernance ordonnée.
  • Mais il y a aussi la tension (financière) entre les Bruxellois francophones et les Wallons, qui défendent manifestement des intérêts différents. Pour faire face aux velléités des uns et des autres, il faut se préparer, tel est le raisonnement.
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