Si on a tendance à croire que les clubs les plus anciens ont de meilleurs supporters que ceux qui ont récemment émergé, la vérité serait quelque peu différente. En réalité, le niveau de fidélité des fans serait davantage lié à la souffrance que leur équipe favorite leur a fait endurer.
Dans le monde du football, le terme « footix » désigne généralement les personnes dont le soutien envers une équipe varie en fonction des résultats de celle-ci. Quand son équipe gagne, le footix clame haut et fort son amour pour celle-ci. Quand elle perd, il se fait tout petit… voire arrête de la supporter.
Des anthropologues des universités britanniques d’Oxford et du Kent se sont penchés sur la question. S’ils ne parlent pas explicitement du terme « footix », leur étude s’y rapporte pourtant grandement. Cherchant à connaître les clubs dans lesquels se trouvaient les meilleurs supporters, ils en ont conclu qu’on les retrouvait dans les clubs les moins performants. Et l’inverse est est vrai également.
Méthodologie
Pour mener leur étude à bien, les chercheurs ont sélectionné dix clubs britanniques. Les cinq meilleurs de la dernière décennie, et les cinq plus mauvais. Manchester United, Arsenal, Chelsea, Liverpool et Manchester City d’une part. Crystal Palace, Hull, Norwich, Sunderland et West Bromwich Albion de l’autre.
Les supporters de ces clubs ont ensuite dû remplir un questionnaire. Ils devaient répondre à des questions ayant trait à leur attachement pour leur club et au lien qui les unissait avec les autres fans de leur équipe. Il leur a même été demandé s’ils étaient capables de se jeter sous un train pour sauver cinq des leurs.
La conclusion fut limpide: les supporters des moins bons clubs sont bien plus attachés à leurs couleurs et à leurs homologues. En revanche, les fans des clubs les plus habitués à la victoire s’avèrent bien moins fidèles à leur club et moins proches de leurs pairs.
Les fans qui ont le plus de contacts sociaux entre eux sont ceux de Hull City, soit le club aux pires résultats parmi la liste. Quant au club londonien de Crystal Palace, lui aussi peu en verve ces dernières années, il compte le plus grand nombre de supporters prêts à se sacrifier pour les autres: 34,5%.
La souffrance resserre les liens
Comment expliquer l’amour inconditionnel des supporters pour des clubs aux piètres performances ? Les chercheurs avancent deux explications.
- En partageant avec leurs pairs de douloureuses expériences (relégation, série de défaites, etc), les fans se soudent les uns aux autres. ‘Si les événements euphoriques, comme une victoire, peuvent être puissants pour nous rapprocher de nos groupes, ce sont les événements dysphoriques qui restent vraiment en nous’, note Martha Newson, directrice de l’étude. La souffrance permet ainsi de resserrer les liens avec les autres supporters et d’augmenter leur attachement au club.
- L’autre piste avancée fait référence à la théorie de la dissonance cognitive. Un supporter qui voit son équipe s’incliner chaque semaine peut finir par se demander: pourquoi est-ce que je continue de les soutenir alors qu’ils me font souffrir et qu’ils me font perdre du temps et de l’argent ? Une interrogation qu’ils tentent d’effacer en se rassurant et en se répondant à eux-mêmes: ‘car je les aime au plus profond de moi’. Newson précise que pour que la théorie de la dissonance cognitive fonctionne, il faut que cette souffrance soit une réelle obligation. Or, un supporter a tout à fait le droit d’arrêter de soutenir une équipe. ‘Mais en réalité, la plupart des supporters sont recrutés par le biais de liens relationnels existants – par exemple, par un parent, un cousin ou un ami. Cela peut donner lieu à des réseaux complexes et durables qu’il est difficile de couper’, explique l’anthropologue.
Utilité pour la société
Si cette étude peut paraître anecdotique pour les lecteurs qui ne sont pas spécialement passionnés par le football, elle peut toutefois trouver des applications dans la société. C’est en tout cas le souhait émis par les chercheurs en conclusion de leur recherche.
Si les supporters de football sont trop souvent associés à la violence physique, à l’homophobie ou encore au sexisme, leurs liens pourraient être mis à profit à des desseins positifs.
‘Si les supporters peuvent être unis en groupe, unis dans la défaite et, en fin de compte, unis dans l’humanité, alors les clubs sont particulièrement bien placés pour s’attaquer à ces problèmes, qui sont parmi les plus importants de notre époque’, estime Newson. La chercheuse évoque notamment la possibilité d’utiliser des groupes de supporters pour permettre à d’anciens prisonniers de se réinsérer dans la société.
Enfin, Harvey Whitehouse, autre chercheur ayant participé à l’étude, voit encore plus loin. Pour lui, l’analyse des groupes de supporters peut être transposée à un champ bien plus vaste.
‘Comprendre ce qui motive les supporters dévoués peut aider les clubs de football et les décideurs politiques à mieux gérer le comportement des foules’, conclut-il.