Les 27 ministres européens de l’Agriculture se sont mis d’accord sur une réforme de la politique agricole commune (PAC). Celle-ci doit maintenant passer par le Parlement. Plusieurs eurodéputés tirent la sonnette d’alarme.
Réunis depuis deux jours au Luxembourg, les Vingt-Sept sont parvenus à trouver un accord au bout de longues et houleuses discussions. Un ‘accord crucial’, avec un ‘bon équilibre’ répondant aux ‘aspirations d’une politique agricole commune (PAC) plus verte, plus juste et simplifiée’, selon la ministre allemande de l’Agriculture Julia Klöckner (CDU).
Le budget ce cette nouvelle PAC a été fixé à 387 milliards d’euros, qui seront utilisés sur sept ans. Les orientations proposées par les 27 vont à présent être discutées au sein du Parlement européen, qui doit les voter ce vendredi. Les nouvelles règles entreront en vigueur à partir de janvier 2023.
Parmi les principaux points de cette réforme, les 27 mettent en avant :
- Des normes environnementales plus strictes, dont le non-respect empêcherait les agriculteurs de recevoir des aides financières européennes.
- Une amélioration des aides aux petites et moyennes exploitations, grâce à un plafonnement des aides agricoles à hauteur de 100.000 euros par producteur.
- Des contrôles simplifiés pour les petites exploitations, afin de ‘réduire la charge administrative tout en garantissant en même temps leur contribution aux objectifs environnementaux et climatiques’.
- Les ‘éco-régimes’, un système de primes versées aux agriculteurs pour soutenir la participation à des programmes environnementaux plus exigeants, deviendraient obligatoires: chaque Etat devrait y consacrer au moins 20 % des paiements directs de l’UE. Cela devrait encourager les agriculteurs à aller au-delà des normes en vigueur en matière de climat et d’environnement.
Pour le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski, cet accord constitue un ‘bon point de départ’ pour les négociations. Pourtant, plusieurs eurodéputés crient au loup.
Pourquoi certains grincent des dents
L’accord a été soutenu par les trois grands groupes du Parlement européen: les conservateurs du Parti populaire européen, les socialistes et démocrates et les libéraux de Renew. Mais de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le contenu de cette réforme. Les crispations principales peuvent se résumer un point: la réforme de la PAC torpillerait le Green Deal.
- Une proposition antérieure au Green Deal
La proposition de réforme de la PAC a été déposée en 2018 par Phil Hogan, qui était à l’époque le commissaire de l’Agriculture de la Commission Juncker. Depuis, la Commission von der Leyen a lancé le Pacte vert (Green Deal), un projet de grande ampleur visant à faciliter la transition écologique. Pour 2050, il doit permettre à l’Europe de devenir le premier continent aux émissions nettes de gaz à effet de serre nulles.
Dans ce Green Deal, la Commission européenne a notamment mis au point la stratégie ‘De la ferme à la table’ (Farm to fork), qui doit mener vers une alimentation saine et durable. Celle-ci prévoit, d’ici 2030, de réduire de 50% l’utilisation de pesticides, de 20% l’utilisation de fertilisants ou encore de porter de 8% à 25% la part des terres agricoles affectées à l’agriculture biologique.
- Dénonciation du lobbying de l’industrie agro-alimentaire
Lundi, l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO) a dénoncé dans un rapport le lobbying mis en œuvre par l’industrie agroalimentaire pour ‘affaiblir’ toutes les mesures environnementales du texte. D’après elle, la Copa-Cogeca, principal syndicat agricole européen s’est allié à des géants des pesticides pour faire en sorte que la réforme de la PAC soit adoptée ‘à la hâte’ afin qu’elle ne soit pas mise à jour en fonction du Green Deal.
Pour plusieurs eurodéputés, la réforme de la PAC torpille le Pacte vert et son projet ‘De la ferme à la table’. ‘On parle d’affecter 25% des terres à l’agriculture biologique. Mais la réalité du terrain, c’est que dans le passage de l’agriculture traditionnelle à l’agriculture bio, c’est le début qui est le plus coûteux. Il faudrait un doublement de l’aide prévue pour favoriser la transition’, estime l’eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella, qui s’est désolidarisé de la position de son groupe, à La Libre.
‘Les conditionnalités d’octroi des aides liées aux bonnes pratiques environnementales sont en recul et les nouveaux et les nouveaux «éco-régimes» […] seront définis indépendamment par tous les Etats, renforçant ainsi les distorsions de concurrence au sein de l’Union européenne et ouvrant la porte à des logiques de «greenwashing» !’, dénoncent un collectif d’eurodéputés français auprès de Libération.
- Porte ouverte à la triche et aux ‘mafias de l’Est’ ?
L’importante marge de manœuvre laissée aux différents Etats fait aussi partie des vives inquiétudes émises par certains eurodéputés. Ce système profiterait notamment aux ‘mafias de l’Est’. Ce terme désigne de vastes entreprises agricoles dont les propriétaires seraient proches des autorités nationales. Profitant de l’importante étendue de leurs terres, celles-ci recevraient une trop grosse partie des aides européennes. En décentralisant une majeure partie des contrôles au niveau des Etats, la réforme ouvrirait, pour certains, la porte à la triche et à une perpétuation du système des ‘mafias de l’Est’.
Enfin, de façon plus générale, cette nouvelle PAC ne permettrait pas de distribuer plus équitablement les aides européennes. Le plafonnement des aides à 100.000 euros par producteur ne serait pas suffisant. ‘Cette mesure continue pourtant d’être bloquée par plusieurs Etats membres’, indique le coprésident du Groupe des Verts/ALE au Parlement européen Philippe Lamberts dans le Vif.