La Belgique a misé sur deux stratégies pour effectuer le tracing des contacts. Une méthode manuelle via des call centers qui rencontre peu de succès, et une méthode digitale, via un application qui se fait attendre. Outre ce manque d’efficacité, le magazine Wilfried pointe de nombreux conflits d’intérêts en la personne de Frank Robben, ‘législateur, bénéficiaire et même juge de la législation’. Ce qu’on redoutait se profilerait sous nos yeux: une sorte de Big Brother qui met en danger notre vie privée.
La démission le 8 juin dernier d’Emmanuel André, l’ex-coordinateur du traçage en Belgique, était sans doute un signe avant-coureur. Le virologue, dont chaque Belge a pu constater les talents d’orateur lors des conférences hebdomadaires de Sciensano, évoquait une fonction et un investissement qui n’étaient plus compatibles avec ses autres responsabilités. ‘Je suis un chercheur’, confiait-il, tout en regrettant que ‘le temps politique’ ne permette pas d’aller vite. Emmanuel André manquait de prise sur les décisions de la politique du tracing.
Dans le dernier numéro du magazine politique Wilfried, après une passe d’armes avec la ministre de la Santé, la veille, sur le mauvais bilan de la Belgique encore une fois évoqué à l’étranger, le virologue se lâche une nouvelle fois. Il pointe du doigt le rôle d’un certain Frank Robben, qui a rédigé l’arrêté royal fixant les conditions du suivi des contacts des malades touchés par le coronavirus: ‘Sur une activité aussi sensible, l’exécutif a envoyé un gestionnaire certes très opérant mais surtout totalitaire, extrêmement puissant, capable à lui seul de faire tomber un gouvernement.’
D’autres témoignages évoquent un personnage ‘toujours persuadé d’avoir raison’, ‘psychologiquement destructeur’ ou encore ‘tyrannique’. Pour d’autres encore, la Belgique a laissé mettre en place ‘un système digne d’un État policier’.
Conflits d’intérêts
On reproche en fait à cet homme aux multiples casquettes des conflits d’intérêts: membre de la task force Data Against Corona, mandataire à l’Autorité de protection des données (APD), et créateur du Comité de la sécurité de l’information (CSI), chargé de définir qui est autorisé à puiser dans les données. Ce dernier aurait été fondé contre l’avis de la Commission européenne et du Conseil d’État, et son mandat à l’APD serait illégal, car l’homme est un fonctionnaire de l’État.
Nos plus grandes craintes face à une technologique qui rencontre déjà la méfiance du public semblent cocher toutes les cases : monopole des données, ainsi que le croisement entre les données liées à la santé et à la sécurité sociale. ‘Hallucinant’, fustige la présidente de la Ligue des droits humains, Olivia Venet. ‘Il s’agit d’un outil de contrôle des citoyens’.
Au cœur de la polémique, celui qui est aussi le patron de la plateforme de santé en ligne e-health et de la banque carrefour de la sécurité sociale (BCS) a réagi sur BX1: ‘L’article indique qu’il y aurait un grand Big Brother. Nous faisons l’inverse depuis 30 ans.’ Pour lui, ‘tout est fait de manière décentralisée’. Il regrette qu’avec ‘des articles pareils, on détricote la confiance, qui est absolument nécessaire’ pour une politique de tracing efficace.
‘Le débat n’avance pas’
‘Le tracing’, un mot qui ne plait pas du tout à Marius Gilbert, membre du GEES et autre visage bien connu de cette crise sanitaire. Il fustige ce vendredi ‘une catastrophe sémantique’, estimant que ‘personne ne veut être tracé’. L’homme plaide pour un dispositif qui doit ‘absolument être transparent, sécurisé et proportionné’ en plus de faire l’objet ‘d’un contrôle parlementaire’.
Le chercheur a fait le point dans un long thread sur Twitter, entre nécessité de mettre en place un tel outil, et regret que les choses n’aillent pas plus vite. ‘Le débat n’avance pas (…). On ne pourra pas dire qu’on a été pris de vitesse’.
Où en est-on d’ailleurs concrètement dans cette application ? Les premiers tests ne devraient pas arrive avant juillet. L’installation se fera sur une base volontaire, et du côté wallon, la ministre Morreale (PS) disait encore récemment travailler ‘d’arrache-pied pour définir un cadre répondant à l’avis de l’Autorité de protection des données ainsi qu’aux remarques du Conseil d’État quant à l’utilisation d’une telle application’. En outre, cette application se fera en complément de la méthode manuelle des call centers.
En Allemagne, l’application rencontre un certain succès, contrairement à la France. En Norvège par contre, l’application a déjà été suspendue, le gouvernement estimant que le niveau de propagation du virus ne justifiait plus une telle collecte de données personnelles.
Masques, testing et tracing, nombre de décès par habitant… on peut d’ores et déjà affirmer que notre pays en a vu de toutes les couleurs dans cette crise du coronavirus.