Surprenant. La façon dont le PS revient sur l’écriture de l’accord de coalition Vivaldi. Le wonderboy et actuel secrétaire d’État à la Relance, Thomas Dermine (PS), le confirme sans plus se cacher : ‘La note de l’informateur Paul Magnette de novembre 2019 a été largement reprise.’ Une déclaration punitive, car il s’agissait précisément de ce texte, pour une coalition arc-en-ciel, à laquelle tant le président de l’Open Vld, Egbert Lachaert, que l’actuel Premier ministre, Alexander De Croo, s’opposaient avec véhémence à l’époque : ils ont empêché Gwendolyn Rutten (Open Vld) de les emmener dans cette coalition.
Dans l’actualité : En cours de route, Dermine nous dit ce que le PS pense du contenu de la Vivaldi.
Les détails : Une interview croisée accordée à De Zondag révèle une déclaration forte d’un des leaders du PS, largement partagée par les socialistes francophones.
- Thomas Dermine (PS), moins connu du grand public, dispose néanmoins d’une cagnotte de près de 6 milliards d’euros à distribuer. Il s’agit en grande partie d’argent européen qui est réparti selon la méthode belge habituelle : avec des équilibres à trouver entre le fédéral et les entités fédérées. Des choix faits par les présidents de parti qui transmettent leurs listes de souhaits.
- Cet équilibre n’en reste pas moins un exercice extrêmement important. Cela fait des décennies que de tels budgets n’ont pas été alloués à des investissements majeurs dans les infrastructures du pays. La manière dont l’argent est dépensé aujourd’hui contribuera à déterminer si la Belgique pourra maintenir sa prospérité à l’avenir.
- Mais Dermine est davantage qu’un simple secrétaire d’Etat. Dès novembre 2019, date à laquelle il devient directeur du département d’études Emile Vandervelde du PS, jusqu’au dernier jour des négociations gouvernementales autour de la Vivaldi, il est la figure de proue du PS dans les négociations aux côtés de Paul Magnette.
- C’est ce qui rend le point de vue de Dermine intéressant : tant dans les tentatives de mettre en place l’arc-en-ciel que dans les grandes manœuvres de la bourguignonne, il était aux commandes.
- Ce qui se dit depuis longtemps dans les couloirs du PS, mais où l’on a toujours montré une certaine discrétion pour ne pas trop abîmer les libéraux, Dermine le dit maintenant tout haut. Dans un entretien croisé avec Stijn Baert, professeur de droit du travail à l’université de Gand, issu de De Zondag, le leader du PS fait quelques déclarations tranchantes.
- Notamment sur l’accord de coalition Vivaldi : ‘Il y avait un texte de base qui était prêt : la note des informateurs de Paul Magnette de novembre 2019. Cela a été largement adopté’, déclare-t-il sans sourciller.
- Le PS a fait preuve de patience : ‘Le PS a une forte réputation de négociateur. Même Bart De Wever le dit. Nous le devons à notre solide département de recherche.’
- Dermine se veut résolument keynésien : ‘Il faut surtout dépenser de l’argent maintenant pour sortir de cette crise. Le budget ne doit pas être une limite. Nous ne devons pas commettre l’erreur de 2008. Après la crise financière, l’Europe s’est concentrée strictement sur l’épargne. Le résultat a été une crise de quatre ans. Les restructurations ne feront qu’entraîner de nouvelles restructurations.’
- Enfin, le membre du PS met en avant une autre ambition : ‘Une autre partie de la solution est une fiscalité équitable. La fiscalité doit devenir plus progressive : ceux qui ont plus doivent contribuer davantage. C’est aussi l’ambition du gouvernement.’
Pourquoi est-ce important ? Les mêmes leaders de l’Open Vld qui ont refusé de mettre en place l’arc-en-ciel en novembre 2019 ont-ils accepté la Vivaldi avec le même texte ?
- Pour ceux qui ont un peu de mémoire rue de la Loi, la période de novembre 2019, où Paul Magnette (PS) était informateur, constitue un chapitre passionnant. Les libéraux flamands, sous l’impulsion de la présidente Gwendolyn Rutten (Open Vld), se sont lancés dans des pourparlers avec le PS, ce qui a permis de jeter les bases d’une éventuelle coalition arc-en-ciel.
- Au sein de l’Open Vld, une véritable révolte se manifeste, deux personnes montant aux barricades : le président de la fraction de l’époque, Egbert Lachaert, et, en coulisses, le vice-premier ministre de l’Open Vld, Alexander De Croo. Alors qu’il devenait de plus en plus évident que le PS et l’Open Vld trouveraient un accord, ils ont critiqué crescendo la note de Magnette, qui devait servir de base aux négociations.
- La présidente Rutten a été particulièrement critiquée : le camp des « rebelles » lui reprochait de vendre le contenu de l’accord afin d’assurer ses propres chances de devenir Premier ministre.
- Finalement, la tentative de Magnette et Rutten a échoué en raison de la résistance de l’Open Vld, mais aussi de l’arrivée du président du MR, Georges-Louis Bouchez, qui ne pouvait pas avaler le fait que le leader du PS allait conclure un accord et se couvrir de lauriers.
- Lorsqu’on lui demande pourquoi, à peine dix mois plus tard, l’Open Vld a pu se mettre d’accord avec les mêmes personnes sur un contenu qui avait déjà été largement mis sur la table, Dermine répond évasivement : ‘C’est la magie de la politique.’ Question suivante.
- Ce qui est certain, c’est que l’Open Vld n’a certainement pas pu compter sur le soutien du MR lors des négociations sur la Vivaldi. La délégation des libéraux francophones n’a guère pesé sur l’accord : Bouchez s’est souvent exprimé seul, sans grande connaissance des dossiers. Un exemple: le dernier jour, le MR avait encore une liste de centaines de contre-arguments et de commentaires sur l’accord de coalition, qui n’ont tout simplement jamais été transmis.
L’essentiel : les anciens négociateurs de l’Open Vld confirment ce que dit Dermine.
- Etonnamment, dans les couloirs de l’Open Vld, cette analyse de Dermine est confirmée depuis beaucoup plus longtemps. Des sources haut placées au sein de l’équipe de libéraux flamands qui était à la table des négociations pour l’arc-en-ciel, en novembre, confirment pleinement la thèse de Dermine : ‘Paul et Gwendolyn ont posé 80% du cadre en novembre. Bien sûr, les 20 % restants sont les plus difficiles, sans oublier la crise Corona. Mais de toute façon, la base était là et elle est restée la même.
- C’est frappant, parce que le président de l’Open Vld, Egbert Lachaert, a toujours affirmé que la proposition de la bourguignonne, en été, – dans laquelle Bart De Wever (N-VA) et Paul Magnette (PS) ont joué un grand rôle – était ‘presque communiste’.
- Selon Lachaert, De Wever avait fait trop de concessions aux socialistes en échange d’une réforme de l’État. La N-VA l’a toujours nié avec véhémence. Des réductions d’impôts fermes étaient également prévues, notamment dans le domaine de la fiscalité.
- Mais au final, Open Vld s’est largement rabattu sur la note de 2019 de Magnette au niveau du contenu, lorsque la Vivaldi s’est présentée. Le choix de Vivaldi était-il alors davantage inspiré par le plan de carrière des dirigeants des libéraux flamands ?
- Lachaert a également parlé cet été là du ‘manque de respect’ de la N-VA et du PS pour son parti. Dans ce ‘petit’ gouvernement bourguignon – il y avait de la place pour 10 à 12 ministres – l’Open Vld ne pouvait obtenir qu’un seul beau portefeuille : celui des Finances était offert à De Croo. Mais c’était tout.
- Lachaert refuse alors farouchement, ce qui provoque l’échec du gouvernement bourguignon : un pari qui s’avère payant. Aujourd’hui, l’Open Vld détient le poste de Premier ministre, ainsi qu’un vice-premier ministre et ministre de la Justice avec Vincent Van Quickenborne (Open Vld). À l’époque, il était, plus encore que De Croo et Lachaert, le plus farouche opposant au plan arc-en-ciel de Magnette et Rutten.
Pour aller plus loin: