Le principal rival de Poutine, assassiné en 2015, était bien suivi à la trace par des tueurs du FSB

L’histoire aurait pu être fort différente : dans la Russie des années 90, Boris Nemtsov était l’un des favoris pour succéder à Boris Eltsine. Et puis est arrivé Vladimir Poutine. Depuis, Nemtsov incarnait la figure de l’opposition parlementaire de Russie, dénonçant inlassablement les affaire de corruption et les collisions coupables du pouvoir avec des milieux criminels. Jusqu’à ce qu’il soit assassiné de quatre coups de feu, le 27 février 2015, en plein Moscou, alors qu’il se promenait avec sa compagne à proximité du Kremlin.

Les enquêteurs russes ont qualifié cet assassinat de « minutieusement planifié« . Selon eux, « Boris Nemtsov se rendait avec sa compagne à son appartement, qui est situé non loin du lieu des faits. Il est évident que les organisateurs et les auteurs de ce crime étaient informés de son trajet. » Quatre suspects ont d’emblée été arrêtés et condamnés en 2017 à des peines allant de onze à vingt ans de prison, malgré les suspicions de torture qui planent sur leurs aveux. Les véritables motivations derrière ce crime n’ont jamais été éclaircies, et d’aucuns y voyaient la main du Kremlin.

Suivi à la trace par un espion

Des accusations qui s’étoffent soudainement grâce à une enquête conjointe menée par la BBC, Bellingcat et The Insider, qui révèle qu’avant son assassinat, Nemtsov était suivi à la trace depuis au moins un an pour un agent des services secrets : où que se rende l’opposant à travers la Russie, un certain Valery Sukharev le suivait de près. Cette filature qui se confirme pour 13 voyages effectués par Nemtsov avant son assassinat a pu être révélée grâce, précisément, à un outil utilisé par les services secrets russes : une base de données nommée Magistral et qui enregistre tous les mouvements des personnes surveillées par le FSB, jusqu’aux billets d’avion qu’elles sont en train d’acheter.

Valery Sukharev

Filature de niveau Magistral

Un outil bien pratique pour les filatures, à ceci prêt que les agents sont eux aussi enregistrés sur Magistral, et qu’en cas de fuite, on peut mettre en évidence des régularités suspectes. « Si vous êtes un agent du FSB, vous pourriez simplement vous connecter à cette base de données et voir, pour une personne donnée, tous les billets qu’elle achète, a acheté ou achète en ce moment même », résume Christo Grozev, directeur exécutif de Bellingcat. « Mais dans une société corrompue comme la Russie, Magistral est une arme à double tranchant. Et elle permet à des gens comme nous d’aller réellement filer ces mêmes espions, ces mêmes agents du FSB ».

D’autant que Valery Sukharev n’est pas le premier rond-de-cuir venu, mais un agent qui semble lié à des missions spéciales d’assassinat. Dans une enquête précédente, Bellingcat a établi un lien entre lui et deux tentatives d’assassinat supposées, visant toutes deux d’éminents détracteurs de Vladimir Poutine, signale la BBC.

Empoisonnements en série

La première cible était l’ami et protégé de M. Nemtsov, Vladimir Kara-Murza. En mai 2015, Sukharev faisait partie d’une équipe qui s’est rendue à Kazan, une ville de l’est de la Russie, en même temps que M. Kara-Murza. Deux jours après son retour à Moscou, celui-ci s’est effondré, incapable de respirer. Il est tombé dans le coma et a souffert de défaillances multiples de ses organes, mais s’est rétabli. Il a été empoisonné une deuxième fois en 2017, et a de nouveau survécu.

La deuxième cible était Alexei Navalny, le leader de l’opposition aujourd’hui en prison, dont les vidéos anti-corruption ont touché des millions de Russes. En 2020, Navalny a été empoisonné au Novichok, un agent neurotoxique développé en Union soviétique et interdit par le droit international. Bellingcat a établi qu’une équipe du FSB l’a suivi jusqu’à la ville de Tomsk, dans l’est du pays, juste avant l’empoisonnement.

Le Kremlin nie en bloc

Or, les relevés téléphoniques révèlent que, dans les mois précédant immédiatement l’empoisonnement, M. Sukharev a échangé 145 appels téléphoniques ou textos avec au moins quatre membres de l’équipe du FSB identifiée par Bellingcat, ainsi qu’avec un officier plus haut placé dans la chaîne de commandement.

Bien sûr, le FSB n’a pas daigné commenter ces accusations. Quant à Dmitry Peskov, le porte-parole du Kremlin, il s’est contenté de cette réponse : « Tout cela n’a rien à voir avec le gouvernement russe. Cela ressemble à une nouvelle fabrication. »

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