Le gouvernement De Croo reçoit ses 10 commandements crypto

En séance plénière jeudi prochain, le Parlement fédéral devra s’exprimer sur la résolution du comité d’avis technologique. Fruit de près de deux années de travaux et d’auditions, ce texte demande à l’exécutif de renforcer l’encadrement de l’usage des cryptomonnaies, de ses impacts sociétaux, fiscaux et environnementaux.

Pourquoi est-ce important ?

La cavalerie législative belge pourrait donner l’impression d’arriver après la bataille. Alors que le bitcoin vient de souffler ses quatorze bougies et que son écosystème a gagné en masse critique durant la dernière décennie, les premiers travaux parlementaires sur les cryptos datent de mai 2021. À l’époque, le comité d’avis des Questions scientifiques et technologiques ambitionnait de voter d’ici la fin de l’année une nouvelle résolution qui demande au gouvernement De Croo d’agir au niveau de la régulation fiscale, financière, énergétique. Vingt mois plus tard, ledit texte parlementaire a enfin été adopté (le 17 janvier) et doit normalement passer en plénière le 2 février prochain.

Le contexte: C’est que le comité d’avis s’était donné pour mission de mener le plus loin possible l’objectivation des enjeux posés par les cryptomonnaies pour réguler. « Mais réguler, ça ne veut pas dire interdire ou rejeter. Il s’agit de prendre des dispositions pour que chaque citoyen qui se lance là-dedans soit d’abord conscient de ce qu’il fait. On nous dira sans doute que c’est trop tard. Mais si on ne le faisait pas, ce serait encore pire », nous avait indiqué le président du comité, Gilles Vanden Burre (Ecolo) à l’occasion des premières auditions d’un programme qui allait convier une trentaine d’experts d’horizons divers à s’exprimer sur le thème.

Que la lenteur du processus ou la teneur de la résolution qui en découle soit critiquée ou non, les députés fédéraux auront au moins creusé le sujet. Et ce, en débattant avec un cryptographe cité par Satoshi Nakamoto, des représentants des consommateurs, des gestionnaires de fournisseur d’énergie qui ont l’expérience de cette industrie comme Hydro-Québec, des têtes pensantes de la banque centrale ou encore de l’autorité des marchés.

Les leçons: Résultat de ce chantier, le comité d’avis technologique a retenu une trentaine d’enjeux sociétaux liés aux cryptomonnaies :

  • l’impact sur le secteur financier, considérant notamment que 10% des ménages belges possèdent de ces actifs numériques, selon une étude de la Banque centrale européenne (BCE); l’importance du développement d’un marché européen des cryptoactifs « ayant pour objectif, la neutralité et la stabilité »;
  • l’impact écologique, considérant que « une transaction sur la blockchain Bitcoin coûte 160 dollars, consomme 1000 KWh (un tiers de la consommation moyenne annuelle d’un ménage belge) et génère 300 grammes de déchets électroniques », selon les calculs du Pr Bart Preneel de la KU Leuven;
  • l’adoption croissante des cryptomonnaies au niveau mondial au sein d’entreprises telles que PayPal, Visa, Tesla, Mastercard et d’États tels que le Salvador, l’Ukraine et le Vietnam ; « les opportunités technologiques et économiques que représentent les cryptomonnaies et les blockchains dans le cadre d’un usage responsable, régulé et durable » ; la nécessité de disposer d’un cadre législatif « permettant l’innovation, de manière durable et inclusive » ;
  • la forte volatilité des cryptoactifs; la nécessité d’informer les consommateurs face aux « risques inhérents aux placements spéculatifs »; la « vulnérabilité des publics plus jeunes » à ces risques « inhérents aux cryptomonnaies » ;
  • le nombre de cryptoactifs qui échappent à la réglementation financière européenne existante ; le manque de clarté du cadre fiscal applicable aux revenus générés par les cryptoactifs, ainsi qu’aux éventuelles moins-values ou plus-values réalisées ;
  • la hausse des enquêtes de police impliquant des actifs en cryptomonnaies, notamment au vu des statistiques reportées en Belgique par la Federal Computer Crime Unit; la nécessité de lutter contre les fraudes et le blanchiment d’argent; le manque de moyens et d’outils des instances fédérales pour assurer un contrôle financier complet; les difficultés pour les parquets d’effectuer des saisies d’actifs en cryptomonnaies.

Un environnement rapidement changeant

Bref, les députés fédéraux du comité d’avis n’ont pas réalisé de véritable percée au niveau de la régulation des monnaies digitales. Sans attendre la fin de ces travaux parlementaires, la planète crypto a continué ses révolutions, rythmées par d’importants séismes (Terra Luna, Celsius, FTX…). L’Union européenne a d’ailleurs progressé à grands pas dans l’élaboration de son propre règlement sur les marchés de crypto-actifs (Markets in Crypto-assets, MiCA), tandis que la BCE finalise sa phase d’étude visant à créer un euro numérique.

Lors de l’analyse et de la réflexion des députés, la législation belge a même changé, avec l’obligation pour les prestataires de services liés aux cryptos (échange, conservation, distributeurs) de s’enregistrer auprès de l’autorité des marchés financiers (FSMA). Le régime fiscal ne s’est pas clarifié compte tenu, entre autres, de l’imbroglio de la déclaration obligatoire des comptes étrangers détenant des actifs crypto et les limitations techniques que les systèmes déclaratifs accusent. Sans oublier l’obstruction faite au développement de l’écosystème des actifs numériques en Belgique par l’industrie bancaire qui se caractérise par les difficultés pour les entrepreneurs crypto de disposer d’un simple compte bancaire.

Les 10 commandements

Néanmoins, le comité d’avis des Questions scientifiques et technologiques a le mérite d’avoir enfin documenté le sujet des cryptomonnaies. Et en conséquence, les députés demandent au gouvernement fédéral d’enfin considérer tous ces enjeux liés au bitcoin et à son écosystème. La résolution parlementaire recommande ainsi à l’équipe d’Alexander De Croo de mener 10 actions en la matière :

1. Soutenir MiCA et les initiatives connexes

Cela va de soi, mais les parlementaires demandent au gouvernement fédéral de soutenir le règlement  européen sur les marchés des cryptoactifs et, de ce fait, de plaider pour que la classification de l’empreinte écologique des cryptos prenne au maximum en compte « l’internalisation des coûts liés aux émissions de CO2 et à la consommation énergétique de l’ensemble de la chaîne de valeur » ; b) pour que seuls les modèles de cryptoactifs obtenant une classification écolo exemplaire soient « encouragés par des incitants publics ».

Selon le même raisonnement, les députés demandent au gouvernement « d’encourager les modèles de blockchain vertueux qui peuvent élaborer des règles communes pour écarter les comportements problématiques, frauduleux et énergivores. »

2. Introduire un « label MiCA »

Les parlementaires attendent des ministres compétents qu’ils concrétisent le futur règlement MiCA au niveau belge et la classification européenne des cryptoactifs grâce à la mise en place d’un label de qualité garantissant, et classant, les cryptomonnaies selon l’empreinte écologique, l’innovation et la fiabilité de ces dernières.

3.  Sensibiliser

Largement inspirée des projets de la FSMA et du futur cadre donné par MiCA, la résolution des parlementaires requiert qu’une mise en garde contre les risques inhérents aux placements financiers et spéculatifs soit affichée pour chaque message publicitaire.

4. Protéger les (plus) jeunes

Suivant une logique d’éducation financière, il est demandé au gouvernement fédéral d’organiser des campagnes et des programmes d’information dédiés aux jeunes. Il est également requis de veiller à ce que la publicité pour les plateformes d’échange de cryptomonnaies ne s’adresse pas aux mineurs d’âge.

5. Former des experts fédéraux de la crypto

Les députés fédéraux sollicitent les ministres et secrétaires d’État afin qu’ils mettent en place, dans l’administration fédérale et à destination des agents fédéraux, « une expertise sous forme de groupes de travail et de formations » concernant les technologies liées à la blockchain et aux cryptomonnaies. Le texte parlementaire insiste sur le fait de garder en même temps une attention particulière concernant « les risques existant autour de l’anonymat ».

« Créer un écosystème national pour stimuler l’innovation »

6. Soutenir l’usage de la blockchain

Les parlementaires prescrivent au gouvernement de soutenir l’utilisation de la blockchain au sein de l’administration fédérale, des institutions publiques liées au niveau fédéral et dans les projets développés par le gouvernement fédéral. Le texte demande à l’exécutif d’élaborer les réglementations nécessaires « stimulant et facilitant une telle utilisation, dans une optique durable et inclusive ».

Il est aussi attendu du gouvernement qu’il appuie la coopération entre les secteurs public et privé en vue de créer « un écosystème national » pour stimuler l’innovation, la diffusion et la valorisation des technologies liées à la blockchain.

7. Un wallet pour tous

Il est aussi question d’accorder à chaque citoyen un portefeuille de données numériques décentralisé fonctionnant grâce aux technologies de la blockchain, « en lien avec les directives et le pilotage de la Banque centrale européenne ».

8. Clarifier la fiscalité

Les députés fédéraux invitent le gouvernement à clarifier le champ d’application des établissements de banque, de change, de crédit et d’épargne dans le contexte des différentes formes de conservation des cryptoactifs. Et ce, « afin de lever toute ambiguïté en ce qui concerne l’obligation de déclaration à l’impôt des personnes physiques et de lever les obstacles techniques liés à l’obligation de déclarer les comptes étrangers en cryptomonnaies ». Idéalement, insiste le texte parlementaire, avant la date limite de dépôt des déclarations à l’impôt pour l’année de revenus 2023 et l’exercice d’imposition 2024.

Toujours sur le plan fiscal, le comité d’avis demande de clarifier la classification fiscale des revenus des cryptoactifs et d’examiner l’opportunité de prévoir un cadre juridique spécifique pour le traitement fiscal des cryptoactifs conforme au cadre réglementaire européen.

9. Équiper la justice

Le comité d’avis sur les technologies enjoint le gouvernement de fournir aux parquets les moyens techniques et humains afin de pouvoir effectuer des saisies d’actifs en cryptomonnaies.

10. Outiller la police

Les députés fédéraux attendent de l’équipe d’Alexander De Croo qu’elle fournisse les ressources et les formations nécessaires à la Federal Computer Crime Unit pour appréhender la fraude aux cryptomonnaies ainsi que de renforcer la coopération internationale.

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