Les cryptos se sont échangées ces dernières semaines comme des actions technos. Avec les tensions en Ukraine et les hausses prochaines des taux d’intérêt de la Fed, les investisseurs s’en débarrassent pour d’autres valeurs refuges. Le bitcoin devrait alors traverser une période baissière étendue, un « crypto winter » comme on dit dans le milieu. Une sorte de période hivernale durant laquelle la technologie a cependant l’opportunité de s’améliorer et de trouver davantage d’applications, afin d’être encore plus largement adoptée.
Le bitcoin, les cryptomonnaies et la finance décentralisée ont parfois été considérés comme des valeurs-refuges en période de troubles sur les marchés, comme des actifs « décentralisés », précisément, des systèmes financiers. Mais depuis quelques mois, il s’est avéré que les cryptos étaient échangées comme les actions sur les marchés boursiers, en suivant l’actualité. Où se situe vraiment le bitcoin dans ces deux catégories de produit d’investissement? La question reste complexe et sujette à interprétation.
Actuellement, le bitcoin est plutôt considéré comme un produit d’investissement à forte croissance, plus risqué. De nombreux investisseurs le traitent comme des actions de la tech, qui ont connu un début d’année chamboulé. En temps incertains, les investisseurs vont plutôt chercher à se débarrasser de ces actions plus risquées et se tourner vers des valeurs réputées plus sûres.
Dans cette optique, deux éléments suscitent actuellement l’inquiétude des marchés : la possibilité de guerre en Ukraine et la possibilité de hausse des taux d’intérêt de la Fed de 0,5 point de pourcent, en mars. Tout comme pour les actions tech, le cours du Bitcoin devrait continuer à être influencé par les suites de ces éléments d’actualité.
Un sérieux indice est tombé ce vendredi soir: avec l’escalada vers un conflit entre l’Ukraine et la Russie, le bitcoin a chuté, là où l’or, valeur refuge par excellence, s’est renforcé.
« Devise apatride »
« Le bitcoin est considéré par certains comme une devise apatride, et il s’est effectivement bien comporté par le passé en cas de tensions géopolitiques. Nous pouvons donc nous attendre à une certaine demande en tant qu’actif refuge », explique Yuya Hasegawa, expert en marché des crypto pour la plateforme japonaise d’échange de cryptos Bitbank, à CNBC.
« Mais le changement de paradigme a rendu le bitcoin fragile à la volatilité des marchés boursiers américains, de sorte que les investisseurs en bitcoins pourraient ne pas être en mesure de se sentir à l’aise jusqu’à ce que la situation à la frontière entre la Russie et l’Ukraine commence à se stabiliser », continue-t-il.
Un long hiver
Même si depuis fin janvier le cours du bitcoin remonte, il est toujours de 10% en deçà de la valeur du début 2021, et 38% en dessous du pic atteint en novembre (près de 69.000 dollars). Avec le resserrement de vis de la part de la Fed, les actions tech, et par prolongement le bitcoin, devraient rester dans un marché baissier, un « hiver » (terme qui s’applique à un période de baisse prolongée) de quelques mois encore.
« Si nous sommes dans un marché baissier, nous verrons encore huit ou neuf mois de mouvements baissiers, ce qui donnera l’occasion aux touristes de quitter le marché et aux véritables acteurs de continuer à développer cette technologie », analyse Chris King, CEO de Eaglebrook Advisors.
C’est qu’il ne s’agit pas de la première période baissières pour la crypto. En 2018, le bitcoin avait également connu un hiver, avec une baisse de 80% par rapport à son pic de l’époque. Mais les investisseurs aguerris n’ont pas forcément peur de ces longues périodes baissières. Depuis 2018 le marché a aussi beaucoup évolué, et continuera encore à évoluer.
Une application de plus en plus solide
Durant l’hiver crypto, comme l’a indiqué Chris King, les acteurs continueront à développer la technologie, en la préparant pour les prochains nouveaux arrivants lors du prochain marché haussier. Les cryptos trouvent en plus de nombreuses nouvelles applications, comme le métavers.
« Les cas d’utilisation et d’adoption sont en plein essor », analyse Rodrigo Vicuna, directeur financier chez Prime Trust. « Nous commençons tout juste à gratter la surface de ce vers quoi vont aller beaucoup de blockchains ».
Vicuna pense notamment aux NFT, les jetons (tokens) non-fongibles. Il voit leur réelle valeur non dans les images de singe, mais bien dans la technologie qui est derrière. D’autres applications de la technologie des NFT sont négligées à cause du fort intérêt (et de l’argent) porté sur l’aspect art digital, explique-t-il. Mais, par exemple, un contrat de vente d’une maison pourrait être édité en NFT, pour avoir une trace des anciens propriétaires, ou des dossiers médicaux, sous formes de NFT, pourraient également exister, de manière sûre.
Pour King, malgré les gains d’intérêt, la finance décentralisée (DeFi) n’est encore qu’à ses balbutiements : « La DeFi est encore spéculative. L’infrastructure est encore en cours de construction, elle est encore maladroite et difficile à utiliser. De 2013 à 2016, le bitcoin était difficile à acheter, mais des sociétés comme Coinbase et Gemini l’ont rendu plus facile. DeFi a besoin de cette rampe de lancement pour l’améliorer et le rendre moins spéculatif. Cela prend juste du temps. »
« L’adoption est tout ce qui compte »
Pour lui, le bitcoin n’a pas encore trouvé le petit truc qui le rend indispensable, mais si de plus en plus de personnes l’adoptent, il devrait trouver une telle application. Et à l’heure où les retours financiers des cryptos ont diminué (et devraient continuer à diminuer ou à rester faibles, si la période baissière se prolonge comme estimé), ces autres usages comme les NFT ou le métavers peuvent attirer de nouvelles personnes et mener à plus d’adoption.
« La chose la plus importante que nous suivons et examinons à la fois dans une perspective à court et à long terme est l’adoption, c’est vraiment tout ce qui compte », continue-t-il. Il compare cela à Uber ou Facebook : « la hype autour de ces actifs et la hausse des prix ont conduit à ce que davantage d’utilisateurs rejoignent le réseau, ce qui est finalement ce qui nous importe. »