Une intervention sans surprise. Auditionné au parlement dans le cadre des travaux sur les cryptomonnaies, Tim Hermans, directeur de la Banque nationale de Belgique, n’a à aucun moment dérogé de l’approche conservatrice du banquier central.
‘Tout ce qui induit un risque pour la stabilité financière nous intéresse. C’est le cas avec ces crypto-actifs’. Le décor fut rapidement planté ce mardi lors de la réunion du comité d’avis technologique de la Chambre. Tim Hermans, l’un des directeurs de la Banque nationale de Belgique (BNB), a interprété à la perfection sa partition de banquier central. Avec quelques notes de FUD, cette technique rhétorique mêlant fear, uncertainty and doubt, et de raisonnement conséquentialiste, essentiellement à charge de ces nouvelles technologies disruptives.
‘Loin de nous l’idée d’entraver l’innovation technologique’, a plusieurs fois répété Tim Hermans, comme pour s’en convaincre, mais en prenant systématiquement la peine de nuancer. Car ces cryptomonnaies ne relèvent pas selon lui d’une innovation globale. Des distinctions sont à opérer vis-à-vis de systèmes totalement décentralisés ‘sans véritable patron’, de prétendus actifs sous-jacents ou des services beaucoup trop variables qui y sont associés.
‘Il existe énormément de crypto-actifs différents. On doit mettre de l’ordre dans ce développement anarchique’, estime le membre du comité de direction de la BNB.
‘Les cryptomonnaies sont créées à partir du néant’
Reprenant un argumentaire quasiment inchangé malgré la décennie qui nous sépare de l’émergence du bitcoin, le banquier central a ainsi expliqué aux parlementaires ce que n’était pas une cryptomonnaie. Pour ce faire, il a opté pour un ‘élément ultime de différenciation’ : la créance sous-jacente. Ce qui permet d’exiger l’exécution d’une obligation, en particulier le paiement d’une somme d’argent.
‘C’est le cas de nos billets de banque, avec la créance sur la banque centrale. Il peut également s’agir des réserves constituées par les banques auprès d’une banque centrale et à l’avenir, les monnaies numériques de banques centrales (CBDC). Ce sont les formes de monnaies qui offrent le plus de sécurité’, explique Tim Hermans.
Parallèlement, il y a créance à l’égard d’un acteur privé. ‘Là il s’agit de nos comptes à vue, mais aussi des transactions électroniques à partir des comptes bancaires. Ou le cas du diem (anciennement libra, le stablecoin initié par Facebook) et pour lequel on peut identifier l’émetteur. Des monnaies qui renvoient à un véritable panier d’actifs sous-jacent’, souligne le directeur de la Banque nationale de Belgique.
Et puis cette dernière catégorie, celle où ‘on ne crée que de l’air’. ‘Beaucoup des cryptomonnaies n’ont pas d’émetteur et sont créées à partir du néant. Il n’y a quasiment aucune créance, c’est le cas du bitcoin’, sanctionne l’intervenant.
La nécessité d’un nouveau cadre réglementaire
Pour mieux enfoncer le clou, Tim Hermans a alors repris les caractéristiques de la monnaie, leurs fonctionnalités en tant que moyen d’échange ou réserve de valeur pour l’épargne. Autant de critères auxquels ne répondent pas les cryptomonnaies selon lui.
‘Aucune réserve de valeur, un moyen d’échange très volatile. Prenons le bitcoin qui a perdu la moitié de sa valeur depuis son dernier sommet. À la lumière des définitions classiques, ces produits ne peuvent pas être considérés comme des monnaies. Mais ils existent et échappent à toute forme de réglementation’, insiste le directeur de la BNB.
La DeFi, la finance décentralisée, génère de nouveaux risques pour les consommateurs et la société.
— Tim Hermans, directeur de la BNB.
C’est la raison pour laquelle au niveau européen, une initiative a été prise pour adapter le traitement. Notons la proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs (MiCA). Les principaux objectifs étant simultanément de garantir la sécurité juridique au sein de l’Union européenne, de stimuler l’innovation, d’assurer la protection des consommateurs et l’intégrité du marché et de garantir la stabilité financière. Mais les discussions se poursuivent encore.
‘S’il ne faut pas renier les évolutions technologiques, il faut protéger la stabilité et donc les citoyens. La DeFi, la finance décentralisée, génère de nouveaux risques pour les consommateurs et la société. Le bitcoin, c’est un actif spéculatif. Vous pouvez investir mais vous devez mesurer les dangers de ces investissements. Il faut une information minimale à obtenir. Il est difficile de faire appliquer des règles avec des actifs très cryptés, avec un anonymat augmenté. Et qu’en est-il de la fiabilité, du contrôle international. Quelle certitude que cette monnaie existera encore le lendemain ?’, interrogeait Tim Hermans, rappelant la nécessité d’un cadre, d’autorisations mais aussi de l’éducation financière et technologique.
Le progrès de l’euro digital
Les banques centrales ont évidemment conscience de la digitalisation de l’économie. En Europe, les institutions monétaires évaluent d’ailleurs l’opportunité d’un euro digital. À la mi-juillet, les différents gouverneurs des banques nationales devront décider si oui ou non le projet d’une monnaie unique numérique se poursuit.
‘La réponse sera sûrement positive. Il s’agira d’une avancée importante, une monnaie numérique mais avec toutes les caractéristiques des billets de banque. En plus, si l’Europe veut se développer en région véritablement autonome, elle doit se doter d’un système de paiement autonome. Les paiements intérieurs sont assurés par deux entreprises basées aux États-Unis, Visa et Mastercard. L’euro digital pourrait participer à la mise en place de ce système de paiement européen’, a exposé Tim Hermans.
Et si au terme de la présentation, le doute subsistait encore chez certains parlementaires quant au caractère intelligent d’investir dans le bitcoin, le directeur de la Banque nationale de Belgique a tranché la question : ‘Si vous l’achetez à un prix modique et que vous le vendez à un prix élevé, oui. Mais si c’est l’inverse, vous allez rejoindre le groupe assez important de personnes qui ont perdu des plumes. C’est de la spéculation. Lorsque vous investissez, vous devez plutôt en prendre compte les aspects sur le long terme. Et avec le bitcoin, ce n’est pas un investissement sur le long terme.’
Pour aller plus loin:
- Le président du comité d’avis parlementaire fédéral, Gilles Vanden Burre (Ecolo): ‘Nous ne sommes pas là pour juger les cryptomonnaies mais pour veiller sur leur utilisation’
- Le secrétaire d’État la Digitalisation, Mathieu Michel (MR): ‘Il faut avoir l’humilité de reconnaître que l’on ne connaît pas l’impact réel du bitcoin sur l’environnement’
- Les parlementaires tentent de décrypter l’univers du bitcoin