La vraie raison pour laquelle la Russie n’a plus peur de l’Occident

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Le monde a assisté, incrédule, à l’envoi de troupes en Crimée. Pourquoi le président russe Vladimir Poutine a-t-il choisi de mettre en jeu les milliers de milliards de dollars de liens qu’il partage avec l’Occident avec une telle opération ? Selon Ben Judah, auteur de « Fragile Empire: How Russia Fell In And Out Of Love With Vladimir Putin », la raison est simple : Poutine pense qu’il n’a rien à perdre. Dans le magazine en ligne Politico, il explique que la Russie n’a plus le même respect pour l’Europe occidentale que dans la période qui a fait suite à la Guerre Froide, parce que tout ce qui intéresse l’Europe désormais, c’est de gagner de l’argent en attirant la richesse des oligarques russes.

« La classe dirigeante russe rachète l’immobilier européen depuis des années. Elle possède maintenant des villas et des appartements de luxe du West End de Londres à la Côte d’Azur en France. Ses enfants sont inscrits dans les écoles d’élite britanniques et suisses. Et ses réserves d’argent sont placées en sécurité dans des banques autrichiennes et des paradis fiscaux britanniques.

Le cercle des proches de Poutine ne craint plus l’Establishment européen. (…) Ils ont vu autrefois comment les aristocrates occidentaux obséquieux et les magnats des affaires tournaient leur veste subitement lorsque c’était leur propre argent qui était en jeu. Ils les considèrent maintenant comme des hypocrites, la même élite européenne qui les aide à cacher leur fortune.

Autrefois, les puissants de la Russie écoutaient lorsque les ambassades européennes émettaient des communiqués pour dénoncer la corruption baroque des sociétés d’Etat russes. Mais plus maintenant. Parce qu’ils savent très bien que ce sont les banquiers, hommes d’affaires et avocats européens qui font le sale boulot pour eux de cacher l’argent de la corruption dans des planques allant des Antilles néerlandaises aux îles Vierges britanniques.

Nous ne parlons pas ici de grosses sommes d’argent, mais de très grosses sommes d’argent. La banque centrale de Poutine elle-même a estimé que les deux tiers des 56 milliards de dollars de capitaux qui sont sortis de Russie en 2012 pouvaient être liés à des activités illégales ». (…)

« Lorsque la Russie voit l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Portugal surenchérir les uns sur les autres pour devenir le meilleur partenaire de la Russie au sein de l’UE (en échange de leur silence sur la question des droits humanitaires), ils voient que le contrôle que l’Amérique exerce sur l’Europe est en train de se dissoudre lentement». (…)

« Moscou n’est pas nerveuse. Les élites russes se sont largement exposées, tout ce qu’elles possèdent est maintenant bloqué dans des propriétés et des comptes bancaires européens. Théoriquement, cela devrait les rendre vulnérables. L’UE pourrait décider subitement de les couper de leurs richesses avec des enquêtes de blanchiment d’argent et des interdictions de visa. Mais à de nombreuses reprises, ils ont vu les gouvernements européens rechigner à passer leur propre version de la Loi Magnitski américaine, qui interdit à une poignée d’officiels russes corrompus d’entrer aux Etats-Unis ».

« Et cela rend Vladimir Poutine confiant, très confiant, que les élites européennes se soucient plus de gagner de l’argent que de se dresser devant lui. La preuve est là. Après l’arrivée de la force de frappe russe dans la banlieue de Tbilisi, la capitale géorgienne en 2008, il y avait eu des déclarations et des fanfaronnades, mais aucun bruit concernant les milliards de la Russie. Lorsque les membres de l’opposition russe ont été arrêtés et jugés, il y a eu des courriers soucieux de la part de l’Union Européenne, mais là encore, un silence concernant les milliards de la Russie ». (…)

« Le Kremlin pense qu’il connait le vilain petit secret de l’Europe, maintenant. (…) De même que dans les années 1980, l’URSS parlait du marxisme international mais n’y croyait plus, la Russie croit que Bruxelles aujourd’hui parle encore des droits de l’homme, mais n’y croit plus non plus. L’Europe est en fait gérée par une élite qui a la moralité d’un hedge fund : faire de l’argent coûte que coûte, et l’envoyer offshore ».

« Le Kremlin en voit la preuve avec les précédents dirigeants de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne. Tony Blair conseille maintenant la dictature au Kazakhstan sur la manière d’améliorer son image en Occident. Nicolas Sarkozy envisageait de créer un hedge fund avec l’argent de la monarchie absolue du Qatar. Et Gerhard Schröder préside le consortium Nord Stream, un pipeline dont Gazprom détient la majorité des parts et qui relie la Russie directement à l’Allemagne via la Mer Baltique ». (…)

« Vladimir Poutine sait tout cela. Il sait que des millions de Russes le féliciteront comme un héros lorsqu’il leur rendra la Crimée. Il sait que les bureaucrates européens vont pousser des cris d’orfraie avant de retourner à leurs affaires consistant à aider les élites russes à acheter des maisons de ville à Londres et des châteaux en France » (…) « C’est la raison pour laquelle Poutine vient d’envahir la Crimée. Il pense qu’il n’a rien à perdre ». 

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