Suivi du clavier et des touches, captures d’écran, reconnaissance faciale et observation par webcam : les systèmes de contrôle des télétravailleurs ne manquent pas, surtout aux Etats-Unis. Avec la pandémie, ils se sont généralisés, pour s’assurer que les employés étaient bien en train de compléter leurs dossiers, au lieu de se prélasser sur une plateforme de streaming de séries. Après la pandémie, le travail en remote restera sans doute un élément de la nouvelle façon de faire, et avec lui, les outils de surveillance.
Dès qu’elle détournait sa tête pendant quelques secondes ou changeait de posture sur sa chaise, Kerrie Krutchik devait scanner son visage devant sa webcam, via différents angles. Cette avocate se confie au Washington Post, ce « cauchemar » était une obligation de son contrat, signé au printemps 2021. Après deux semaines, elle a démissionné, ne supportant pas ce flicage constant.
La caméra semble être la solution la plus radicale. Les références à George Orwell ont sans doute été malmenées durant cette pandémie, mais une telle surveillance a tout de même quelque chose de 1984-esque. Des solutions moins invasives existent aussi, cependant. Plus classique : l’observation du mouvement de la souris ou du clavier. Un système de captures d’écran existe aussi, pour voir si l’employé regarde bien ses tableaux, par exemple et non une vidéo divertissante. Mais des solutions plus invasives impliquant des enregistrements audio et vidéo existent aussi.
Ceci peut être effectué sans que les employés n’en soient conscients et le risque est que l’entreprise ait ainsi accès à des données sensibles, comme bancaires ou concernant la santé. Difficile en effet de savoir si on est surveillé, surtout si on travaille sur des appareils fournis par l’employeur – sauf peut-être en lisant les détails du contrat.
L’entreprise de recherche sur les marchés Gartner note que depuis le début de la pandémie le nombre de grands employeurs utilisant de tels dispositifs a doublé. Il atteint aujourd’hui 60% et atteindra 70% dans les trois ans à venir, prévoit-elle. La technologie deviendra aussi plus sophistiquée et pourra permettre dans le futur d’extraire des données; l’employé le plus performant ou encore des schémas spécifiques menant à tel ou tel résultat.
Ecoute permanente
Un autre employé, travaillant pour une entreprise de la tech en finances, qui souhaite rester anonyme, a un jour navigué dans le système, à la recherche d’une fonction spécifique. Après un instant, il entend la voix de son boss dans son casque, lui indiquant où chercher. Il a également découvert qu’il était sous écoute, pas uniquement lors des appels avec les clients, mais tout le temps. Il a alors démissionné.
Une employée d’une start-up dans le milieu bancaire a également dû installer un programme de surveillance, Hubstaff (actuellement utilisé par 70.000 entreprises), dès le début de la pandémie. Un programme qui suit les mouvements sur le clavier et prend des captures d’écran. Par peur pour ses données personnelles, elle a refusé et a été licenciée.
Et en termes de droit, qu’est-ce qui est permis? Marta Manus, du cabinet d’avocats Marble Law Firm, explique que les employés doivent bien demander quelles données sont collectées et qui peut les consulter. Mais pour attaquer son employeur en justice, il faut prouver qu’il y ait eu un dommage. Sur un appareil fourni par l’employeur, il ne faut pas s’attendre à avoir de la vie privée, car il n’est pas censé servir à des fins privées. Pour un appareil privé, la loi autorise la surveillance, tant qu’elle est clairement explicitée.
Une question de confiance
Selon des experts, la surveillance peut mener à des tensions. Les employés sentent qu’on ne leur fait pas confiance. En ignorant quand et pourquoi ils sont surveillés, les employés seront propices à refuser un tel système. Pour le think tank Furure of Privacy Forum, les employeurs doivent être transparents et honnêtes sur l’étendue du monitoring.
D’autres employés comprennent aussi la nécessité de la surveillance, notamment des avocats, au sujet de la reconnaissance faciale. Car ils doivent manipuler des dossiers sensibles, autant s’assurer que c’est bien eux. Mais dans la pratique, le système est trop intrusif, expliquent-ils, notamment car il faut sans cesse se reconnecter, dès le moindre mouvement. L’algorithme, d’autant plus, a du mal à reconnaître les visages des personnes aux teints de couleur plus foncés.
Pour Alison Green, spécialiste en RH et qui dirige le site Ask a Manager (conseils en la matière et qui a reçu beaucoup d’interpellations depuis la pandémie), estime que de nombreuses personnes confondent surveillance avec management. La surveillance n’atteint pas les buts du management, sauf si les objectifs sont clairement définis, de manière réaliste et personnalisée pour chaque équipe et ses besoins. Mais dans l’urgence de la pandémie, de nombreuses boîtes ont paniqué et implémenté la solution qui semblait la plus facile, alors que le télétravail était une pratique inconnue pour certaines.
Une autre entreprise qui propose des logiciels de surveillance, Teramind, propose deux solutions : un où l’employé a un bouton on/off et une deuxième où l’employeur gère cette fonction. L’entreprise a remarqué que si l’employeur explique bien le fonctionnement, ainsi que les buts qu’ont les employés, la productivité augmente de 30%. Même constat chez Hubstaff, qui a enregistré son plus gros mois en mars 2020 et a vu sa clientèle augmenter de 40% depuis le premier confinement.
Avec la généralisation du télétravail, qui semble perdurer après la crise sanitaire, ces systèmes resteront donc d’actualité. En Europe, le RGPD est un peu plus strict en matière de vie privée, mais de telles solutions peuvent également exister.