La Russie a un besoin urgent de vendre son pétrole, mais les nouveaux clients ne se bousculent pas forcément au portillon

Si l’embargo européen sur le pétrole russe n’a pas encore été totalement acté, dans les faits, le pétrole russe est déjà boudé par la moitié de l’économie mondiale. La Russie, à terme, devra diminuer sa production ou trouver de nouveaux débouchés. La seconde solution n’est pas si évidente, malgré des prix très attractifs.

On le sait, avec les sanctions occidentales, les recettes de produits fossiles sont devenues une véritable bouée de sauvetage pour l’économie russe. Une fameuse bouée toutefois: avec l’augmentation des produits pétroliers et du gaz, la Russie devrait percevoir environ 180 milliards de dollars en 2022 selon les prévisions, ce qui préfigurerait une augmentation de 45% par rapport à 2021. Ces recettes alimentent en outre près de la moitié du budget du gouvernement de Vladimir Poutine. Rappelons qu’à titre personnel, l’Europe continue d’alimenter le trésor de guerre de la Russie à raison de 700 millions de dollars par jour, uniquement pour les produits pétroliers.

Cette situation n’est toutefois pas si confortable pour la Russie. À long terme, bien sûr, elle perdra avec l’Europe son premier client, mais à court terme aussi: après les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, le Japon a annoncé à l’issue du dernier G7 qu’il suivra à son tour l’embargo sur le pétrole russe. L’Europe envisage de faire de même dans les 6 mois, et d’ici la fin de l’année pour tous les produits pétroliers raffinés. Quelques exemptions devraient être acceptées pour des pays enclavés comme la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque. On sait que le Premier ministre hongrois Viktor Orban fait actuellement pression, mais c’est surtout pour obtenir un délai supplémentaire et des ressources européennes pour financer la transition.

Les pays du G7 se sont réunis virtuellement le 8 mai dernier. C’est l’Allemagne qui était cette fois à l’initiative – Photo by THIBAULT CAMUS/POOL/AFP via Getty Images.

Dans les faits, l’importation de pétrole russe est passée de 3,4 millions de barils par jour en janvier à 3 millions en avril, selon Rystad Energy. Quand l’embargo européen interviendra, Rystad Energy et Kpler, un autre cabinet de consultance, envisagent une réduction de 2 millions de barils par jour, soit 20% de la production totale de Moscou. Jusque-là, l’Agence internationale de l’énergie envisageait plutôt une perte de 1,5 million de barils.

Inde et Chine

On comprend très vite que la Russie doit et devra trouver de nouveaux débouchés si elle ne veut pas perdre autant de recettes. À ce titre, la plupart du pétrole russe transite vers l’UE par oléoduc. Un réseau immense dont ne disposent pas l’Inde et la Chine, les deux premiers candidats au pétrole russe bradé.

Encore une fois, analysons les chiffres. L’Inde consomme 5 millions de barils par jour au total. Le pays a bien augmenté ses importations de pétrole russe, bénéficiant d’une décote de 35 dollars le baril. Les données de Rystad Energy montrent que les importations indiennes de brut en provenance de Russie ont bondi à près de 360.000 barils par jour en avril, soit cinq fois plus qu’en janvier. Mais les autorités réfutent cet attrait spécifique pour le pétrole russe, « les achats d’énergie de la Russie restent minuscules par rapport à la consommation totale de l’Inde », a déclaré le ministère du Pétrole et du Gaz dans un communiqué, répercuté par CNN Business.

Du côté de la Chine, la hausse des importations est encore moins impressionnante: les données de Rystad, Kpler et OilX montrent que les importations ont augmenté, mais de manière peu spectaculaire. OilX en particulier suit la production et le flux de pétrole via des données industrielles et satellitaires. Ils ont constaté une augmentation de 175.000 barils par jour en avril, soit une augmentation d’environ 11 % par rapport aux volumes moyens de 2021.

La Chine ne se bouscule pas sur le pétrole russe – Isopix

À la grosse louche, l’augmentation en Chine et en Inde se situe autour des 500.000 barils par jour. Si la Russie perd bel et bien 3 millions de barils par jour avec le retrait de l’Europe, il faudra bien combler le trou. Or, un réseau d’oléoduc prend plusieurs années à se mettre en place.

Et les perspectives ne sont guère meilleures à moyen terme, car la Chine fait face à une résurgence du covid-19, de par sa politique très stricte, une part importante de son économie tourne au ralenti. Si bien que la demande de pétrole se tarit. On a d’ailleurs remarqué une chute des prix du pétrole sur les marchés, le WTI et le Brent se rapprochant de la barre des 100 dollars. Cela reste important, mais on est loin des 140 dollars atteints lors du déclenchement de la guerre en Ukraine. Du côté de l’Inde, on remarquera que le G7 a sorti le tapi rouge au Premier ministre Narendra Modi à Berlin. L’UE y a notamment proposé de renforcer les liens économiques avec un accord de libre-échange. L’Europe a des arguments : les 27 pesaient 88 milliards d’euros en 2021 dans les échanges entre les deux entités.

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