La Russie a-t-elle déjà atteint son véritable objectif en Ukraine ?

Avant l’invasion de l’Ukraine, les spéculations allaient bon train quant à l’objectif exact de la Russie. Certains ont suggéré que le président Vladimir Poutine ne voulait que sécuriser les territoires des régions séparatistes pro-russes de Donetsk et de Luhansk ; d’autres ont affirmé que son ambition allait plus loin, avec la conquête de toute l’Ukraine comme objectif ultime.

Selon les récentes déclarations du ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, la vérité se situe au milieu : l’objectif était de créer un pont terrestre, reliant la péninsule de Crimée annexée par la Russie en 2014 aux régions séparatistes de l’est de l’Ukraine, et donc aussi au reste de la Russie. Et cet objectif a bien été atteint.

Le sud pris en sandwich

Dans les premiers jours de l’invasion russe, une force russe s’est déplacée vers le nord depuis la Crimée, capturant rapidement la ville de Kherson à l’ouest. La zone située au nord-est de la Crimée était prise en sandwich par deux armées russes différentes : Melitopol tombe rapidement, la ville portuaire de Berdiansk quelques jours plus tard. Seule Marioupol est restée longtemps aux mains des Ukrainiens. Ou du moins, l’aciérie Azovstal, un site de la taille de sept hectares, dernier bastion des forces ukrainiennes, qui a tenu pendant des semaines. À la mi-mai, les derniers défenseurs se sont rendus.

Le pont terrestre entre la Crimée et le Donbass, où les républiques populaires pro-russes de Donetsk et de Louhansk mènent la barque, est désormais une réalité. Et l’objectif de la Russie est d’annexer effectivement cette région également : le mois dernier, Poutine a signé un décret qui a accéléré les procédures de demande de passeports russes dans la région. C’était déjà le cas pour les habitants des États séparatistes depuis 2019. À Kherson, la Russie a même essayé d’introduire le rouble comme monnaie.

Selon Meduza, un site d’information russe indépendant opérant depuis la Lettonie, la Russie veut fusionner la Crimée, le pont terrestre désormais conquis, et les deux républiques populaires en un seul okroug, un district fédéral en Russie. L’information vient de l’intérieur du Kremlin, de trois sources distinctes proches de Poutine : la Russie organiserait des référendums pour proposer à la population locale d’exprimer sa volonté de rejoindre la Fédération.

Afin d’orienter ces référendums dans la bonne direction, Poutine aurait nommé Boris Rapoport, le vice-président de la direction présidentielle des affaires d’État et, avec Vladislav Sourkov, un (ancien) larbin de Poutine, il a élaboré la politique dans le Donbas après la sécession de 2014. Rapoport est connu au sein de l’administration de Poutine comme « le gestionnaire de crise », qui prête régulièrement main forte aux amis du président durant les élections.

Partisans et sabotages

Pourtant, l’annonce de Choïgou selon laquelle « tout se passe comme prévu » n’est pas non plus totalement véridique. La ville conquise de Melitopol est le centre d’activité de partisans ukrainiens, qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour rendre la vie difficile aux Russes. A Kherson, entre autres, les partisans sont très actifs : ils traversent les positions des lignes de défense russes, surveillent les communications internes et ont fait saboté à l’explosif l’aéroport local et ses pistes une vingtaine de fois déjà.

En outre, l’Ukraine en général continue de résister. Car si la Russie a réussi à conquérir beaucoup de territoires, l’armée ukrainienne se défend courageusement. Sur le front occidental à Kherson, les Russes ont déjà dû céder quelques hectares de terrain, en direction de Zaporojié (vers le nord) les lignes ne bougent pas d’un pouce. La principale bataille se déroule dans le Donbass, la région située à l’est de l’Ukraine, notamment autour des villes d’Izioum et de Severodonetsk.

Reconnaître le pont terrestre comme un « objectif atteint » est donc certainement un encouragement pour la Russie elle-même, mais c’est tout sauf le grand objectif de Poutine. Et même si la Russie parvient à conserver la région, la population résistera fermement à l’occupation répressive russe.

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