La guerre fait déjà son retour en Afghanistan, et elle pourrait s’étendre au-delà de ses frontières

Les talibans pensaient contrôler l’ensemble du pays, mais ils se retrouvent confrontés à une vague d’attentats. Celle-ci est orchestrée par ISIS-K, une nouvelle version de l’État islamique. Les miliciens au pouvoir n’ont pas l’habitude de se retrouver dans un rôle de contre-insurrection, et les Occidentaux craignent la création d’un nouveau sanctuaire terroriste.

Ça n’en finira donc jamais dans ce pays ravagé par les conflits depuis près de 40 ans : alors que les talibans se sont emparés du pouvoir par les armes il y a deux mois de cela, les Afghans n’ont même pas eu le temps de s’adapter au nouveau régime que les hostilités reprennent. Celles-ci opposent les nouveaux maîtres d’Afghanistan, les miliciens islamistes talibans, à un nouvel avatar du tristement célèbre État islamique, souvent appelé Daech par les occidentaux : ISIS-K, pour État islamique au Khorassan, reprenant ainsi un ancien nom que les Afghans considèrent comme l’appellation médiévale de leur pays.

Des combattants des montagnes peu à l’aise en ville

Déjà, les attentats et les fusillades se multiplient, en particulier dans les grandes villes. Les attentats-suicides à Kaboul, la capitale, et dans des villes importantes comme Kunduz, dans le nord, et Kandahar, dans le cœur méridional des talibans, ont tué au moins 90 personnes et en ont blessé des centaines d’autres en l’espace de quelques semaines. Ce mardi, des combattants de l’État islamique ont mené une attaque coordonnée avec des hommes armés et au moins un kamikaze contre un important hôpital militaire de la capitale, tuant au moins 25 personnes.

Et les combattants talibans, habitués à mener des campagnes de guérilla dans les campagnes et les montagnes, se retrouvent englués dans des missions de maintien de l’ordre qui peuvent virer au combat urbain au milieu de civils qu’ils sont maintenant censés protéger. Un retournement de situation auxquels ils n’ont pas pu se préparer. « Les talibans ont pris l’habitude de se battre en tant qu’insurgés, en s’appuyant sur une série d’attaques asymétriques pour cibler les forces afghanes et américaines », a déclaré Colin P. Clarke, analyste du contre-terrorisme au Soufan Group, une société de conseil en sécurité basée à New York. « Mais il semble clair qu’ils n’ont pas du tout réfléchi à la manière dont l’équation change en tant que contre-insurrection, ce qui est effectivement le rôle qu’ils jouent actuellement contre l’État islamique. »

Nouveau sanctuaire terroriste ?

La situation se dégrade à un tel point que les états-majors occidentaux s’inquiètent de la création d’une nouvelle zone refuge pour terroristes qui pourraient, de là, mener des attaques à l’échelle internationale. Pour Colin Kahl, sous-secrétaire américaine à la Défense, il n’est pas exclu que cette nouvelle branche extrémiste d’un arbre impossible à couper puisse mener ce genre d’action dans six mois à un an.

Il est difficile d’estimer à quel point les talibans seraient capables à moyen terme de lutter face à ISIS-K ; les miliciens au pouvoir ne sont certes pas dans leur élément, mais ils ont hérité d’un pléthorique matériel de pointe abandonné par l’OTAN, y compris des engins d’écoute radio qui peuvent s’avérer très utiles. En outre, ils se plaisent à rappeler qu’ils bénéficient d’un soutien populaire qui a toujours fait défaut aux Occidentaux, et donc des renseignements qui vont avec de la part des civils. Il est vrai qu’en Afghanistan, ce point s’est toujours avéré plus crucial que toute supériorité technologique.

Salafistes contre hanafistes

Un point qui reste toutefois à nuancer, car ISIS-K est issu d’une scission au sein du mouvement taliban sur des bases liturgiques et légales : alors que ceux-ci suivent majoritairement le hanafisme, la plus ancienne des quatre écoles religieuses islamiques sunnites de droit musulman et de jurisprudence, une minorité préfère l’école salafiste, tout comme l’État islamiste. Et si les miliciens ont accordé des concessions à des imams salafistes pour renforcer la paix, ce mouvement semble prendre de l’ampleur, en particulier autour de son fief de Jalalabad, où les mosquées salafistes se multiplient. Une nouvelle enclave rétive à conquérir pour les talibans, par l’esprit ou par les armes. Avant qu’elle ne finisse par fournir des recrues, poussées par la crise économique et sécuritaire, dans les bras de leur nouvel ennemi.

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