La guerre en Ukraine enflamme le marché de l’énergie : « Cela pourrait être la pire crise depuis les années 1970 »

L’invasion russe de l’Ukraine pourrait perturber les marchés de l’énergie à tel point que la période à venir ressemblera à la période de crise des années 1970. C’est en tout cas ce que suggère l’Américain Daniel Yergin, vice-président de la société de données financières IHS Markit et historien spécialisé dans le marché de l’énergie.

Pourquoi est-ce important ?

Les crises pétrolières des années 1970 ont entraîné la stagflation, une crise économique mondiale dont l'ampleur n'avait jamais été observée auparavant en temps de paix.

« Cela va être une très grande perturbation en termes de logistique, et les gens vont devoir commencer à chercher des navires », a déclaré Yergin à la chaîne économique américaine CNBC. « Il s’agit d’une crise de l’offre. C’est une crise logistique. Il s’agit d’une crise de paiement, qui pourrait prendre l’ampleur des années 1970 », a noté le lauréat du prix Pulitzer 1992.

Yergin se réfère principalement à l’année 1973, quand les pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient ont décidé à la fois de limiter les exportations de pétrole et d’augmenter considérablement le prix de l’or noir. Il s’agissait de représailles pour le soutien occidental à Israël pendant la guerre du Kippour, qui faisait alors rage.

En l’espace d’un an, le prix du baril de pétrole brut est passé de 2,74 USD à 11,65 USD, soit plus qu’un quadruplement. Cela a conduit à une pénurie de pétrole en Occident, puis entraîné une crise économique comme on n’en avait jamais vu auparavant. La stagflation est apparue ; un cocktail de stagnation et d’inflation.

Sanctions : oui ou non ?

La Russie exporte 5 millions de barils de pétrole brut par jour, ce qui représente environ 12% du commerce mondial et en fait le premier exportateur mondial. Il s’agit du troisième plus grand producteur de pétrole au monde. L’Union européenne importe pas moins de 40% de son gaz de Russie, et 30% de son pétrole, selon les données de la banque suisse UBS.

L’Occident a jusqu’à présent « soigneusement évité » d’imposer des mesures punitives au secteur pétrolier et gazier russe, écrit Business Insider. Les sanctions pourraient freiner la croissance économique et exacerber les problèmes de chaîne d’approvisionnement. Mais dimanche soir, un embargo sur les produits pétroliers russes était sur la table, autant du côté des États-Unis que du côté de l’UE.

Même sans sanctions directes sur l’énergie, l’Occident a rendu l’expédition de pétroliers transportant du pétrole et du gaz plus difficile pour les entreprises russes, par exemple en interdisant aux navires russes l’accès aux ports européens.

Il y a aussi les pressions que les traders subissent pour ne pas acheter de barils de pétrole russes. « Les gens ne touchent pas aux barils russes », a par exemple déclaré un négociant dans le port de New York, cité par Reuters. « Vous en verrez peut-être quelques-uns embarqués maintenant, mais ils ont été achetés avant l’invasion. Il n’y en aura pas beaucoup après ça ». Sa conclusion : « Personne ne veut être considéré comme achetant des produits russes et finançant une guerre contre le peuple ukrainien. »

Mais couper complètement l’Occident de l’énergie russe ferait grimper les prix encore plus haut, ébranlerait davantage les marchés financiers dans une période déjà volatile et caractérisée par une forte inflation, et frapperait encore plus durement les consommateurs au porte-monnaie.

Remplacer les barils russes

En une semaine seulement, la plupart des géants pétroliers internationaux opérant en Russie ont annoncé leur retrait. BP, Shell, Equinor et ExxonMobil, par exemple, ont cessé leurs activités dans le pays.

« Ce que nous n’avons pas vu auparavant, c’est aussi la grande question de la réputation, les entreprises ne voulant pas faire des affaires avec la Russie », a déclaré Yergin. « Vladimir Poutine a détruit en une semaine ce qu’il a construit pendant 22 ans, une économie qui était fondamentalement intégrée au marché mondial. Aujourd’hui, la Russie est déconnectée de l’économie mondiale », a estimé l’historien.

IHS Markit, présidé par Yervin, organise la conférence annuelle sur l’énergie « CERAWeek », à Houston, aux États-Unis, cette semaine. Des dirigeants de plusieurs entreprises internationales du secteur de l’énergie, dont Chevron, ExxonMobil, TotalEnergies, Occidental Petroleum et ConocoPhillips, y prendront la parole. Un sujet qui sera certainement abordé lors de la réunion est la manière dont l’Occident peut remplacer ces barils russes, rapporte CNBC.

Parce que cette pénurie va être importante. « Je pense que vous parlez de perdre 2 à 3 millions de barils par jour », a déclaré John Kilduff, partenaire de la société d’investissement Again Capital, cité par CNBC. « Cette fois, nous coupons la vanne nous-mêmes. C’est un embargo que nous nous sommes imposé », a souligné M. Kilduff. « C’est une grève des acheteurs cette fois, pas une grève des fournisseurs. »

Un autre choc pétrolier

Les experts avertissent depuis un certain temps qu’en raison de la guerre en Ukraine, les actifs énergétiques subissent le pire sort sur les marchés financiers. Par exemple, la banque d’investissement JP Morgan estime que le pétrole Brent pourrait terminer l’année à 185 dollars le baril, ce qui représente une hausse de près de 70% par rapport au niveau de vendredi de 110 dollars. Lundi matin, après les annonces de l’UE et des USA concernant une réflexion sur un embargo, le prix du baril frôlait déjà les 140 dollars. La Bank of America, quant à elle, a calculé que pour chaque million de barils qui disparait du marché, le prix du Brent pourrait augmenter de 20 dollars par baril.

L’OPEP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, a jusqu’à présent refusé d’accélérer sa production. Les analystes estiment que le groupe pourrait ne pas disposer d’une capacité de réserve suffisante pour compenser les exportations russes.

Tous ces facteurs amènent Yergin à conclure que nous sommes confrontés à des temps difficiles. « Il pourrait s’agir de la pire crise depuis l’embargo pétrolier arabe et la révolution iranienne des années 1970 », estime l’historien. En ce qui concerne cette dernière référence, un autre choc pétrolier dans les années 1970 a suivi la révolution iranienne de 1978-1979, qui a conduit au renversement du Shah d’Iran.

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