La nervosité grandit au sein du gouvernement fédéral face aux prix élevés de l’énergie. La question est sur la table depuis des semaines, et un certain nombre de partenaires de la coalition ont demandé à plusieurs reprises une action rapide, mais rien n’est prévu. Le CD&V a été le plus explicite à ce sujet, son président Joachim Coens exigeant « une action immédiate », et son ministre des finances Vincent Van Peteghem (CD&V) attendant « le soutien du gouvernement » à la Chambre. En coulisses, plusieurs partenaires de la coalition sont encore plus véhéments. Certains pointent du doigt l’égo du Premier ministre, qui aime conclure lui-même les accords et ne permet pas aux partenaires de la coalition d’obtenir « leur » succès : la réduction de la TVA sur le gaz ou des accises sur les carburants à la pompe. D’autres sources pointent les revendications des Verts.
Dans l’actualité : « Je ressens beaucoup de soutien ici au Parlement. J’attends le même soutien du gouvernement », a déclaré Vincent Van Petegem (CD&V) dans l’hémicycle.
Les détails : Le mécontentement concernant la façon dont le Premier ministre contrôle l’agenda de la Vivaldi existe depuis un certain temps.
- « Les prix à la pompe doivent baisser MAINTENANT. Le gouvernement doit décider cette semaine, les accises doivent baisser autant que possible. Dès le début de la semaine prochaine, nous devrions pouvoir payer moins. Les tarifs poussent nos familles complètement au bord du précipice ! » Le tweet de Joachim Coens (CD&V) ne pourrait être plus clair.
- Mais les chrétiens-démocrates, qui sont le plus grand parti flamand de la coalition Vivaldi, ne peuvent pas vraiment avoir de prise sur cette coalition. Après tout, ce n’est pas le vice-premier ministre Van Petegem qui fixe l’agenda, mais le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld).
- Cependant, Van Peteghem ne cache plus que la patience de son parti, et la sienne, sont à bout : « En novembre, les prix étaient inquiétants, aujourd’hui ils sont intenables et si nous attendons encore, ils deviendront inabordables. » Et, a-t-il immédiatement rappelé, son arrêté royal, qui intervient dans les accises sur le diesel et l’essence, est prêt à être signé. « Nous devons décider. »
- Le MR, avec Georges-Louis Bouchez (MR), demande depuis plus d’une semaine une intervention sur les accises sur les carburants. Lors d’un débat télévisé sur la RTBF, il a réaffirmé « que le gouvernement doit rendre au consommateur 100 % de l’excédent de recettes de l’État sur les carburants. »
- Mais la frustration ne se limite pas au CD&V et au MR : dans l’hémicycle, Van Peteghem n’était pas seul, loin s’en faut, plusieurs voix de la majorité ont également demandé avec insistance une action immédiate :
- « Les gens abandonnent, ils n’en peuvent plus. Je ne vous demande plus votre vision ou votre opinion, je vous demande des actions, des mesures concrètes », a déclaré Ahmed Laaouej, chef de groupe du PS, dans son style habituel.
- « Ma seule question au gouvernement est de savoir si vous pouvez garantir à la population qu’il y aura bientôt un accord. Pourquoi attendre ? », a demandé Kris Verduyckt (Vooruit).
- Dans le même temps, l’opposition n’a pas raté la Vivaldi :
- « Quand pouvons-nous enfin attendre de ce gouvernement l’action que les gens réclament, à la pompe et à la maison, quand ils reçoivent leur facture d’énergie (…). J’entends des idées, des déclarations, beaucoup de blabla », s’indigne Bert Wollants (N-VA).
- « En Belgique, l’augmentation des prix est deux fois plus importante que celle de la moyenne européenne« , s’étonne Catherine Fonck (cdH).
- « Le secteur pétrolier et l’État vont se faire des milliards sur cette guerre », dénonce Raoul Hedebouw (PTB).
Sur le plan extérieur : La Vivaldi a eu droit à un beau moment œcuménique hier dans l’hémicycle.
- La guerre rapproche les gens (et les hommes politiques) : c’est une vieille recette bien connue en politique. Après que l’hémicycle a déjà connu une telle séance d’applaudissements à l’unisson, le gouvernement a reçu un nouveau soutien. Et il faut le dire : le Premier ministre De Croo sait faire des discours comme personne.
- Le fait que ce soit « l’atmosphère des grands jours », comme l’a noté l’analyste bien connu de la rue de la Loi Carl Devos, est bien sûr aussi dû au fait que pour la première fois, après deux ans de pandémie, la Chambre des représentants a enfin été autorisée à se réunir au complet et sans masque.
- Et c’est ainsi que De Croo a immédiatement saisi l’occasion du début de la session pour forcer un autre moment d’applaudissements :
- « Les images que nous avons vues ces deux dernières semaines sont déchirantes : un bombardement d’un hôpital pour enfants à Marioupol, des bombes larguées sur des personnes qui fuient les décombres. »
- « Même une guerre a des règles. Aujourd’hui, la Russie bafoue ces règles de manière flagrante. »
- « La difficulté à laquelle nous sommes confrontés est de savoir comment répondre à un agresseur sans contribuer nous-mêmes à une souffrance humaine supplémentaire. Comment devons-nous répondre à un agresseur qui nous menace avec des armes nucléaires ? Comment devons-nous réagir face à un agresseur qui lui-même n’accorde que peu ou pas de valeur à la vie humaine ? »
- « Il est maintenant de notre devoir d’utiliser des moyens pacifiques aussi impitoyablement que possible », a-t-il déclaré.
- « Pour que le Kremlin ne puisse faire qu’une seule chose : déposer les armes et mettre fin au bain de sang, à cette guerre cruelle entre deux peuples, qui ont bien plus de choses en commun que de choses qui les séparent. »
- Les applaudissements qui ont suivi ont été nourris, la minute de silence qui a suivi s’est déroulée parfaitement selon la chorégraphie politique requise dans de tels moments : le drame est resté suspendu au-dessus de l’hémisphère.
- S’en est suivi, presque obligatoirement, le cynisme de l’extrême droite, auquel Dries Van Langenhove (Vlaams Belang) s’est adonné en parlant de « fraudeurs, d’abuseurs », et en déclarant qu' »une personne sur trois qui vient maintenant d’Ukraine n’est en fait pas un Ukrainien, mais un migrant illégal, qui abuse de la souffrance et de la situation des Ukrainiens pour venir illégalement en Europe occidentale ». Ce à quoi le Premier ministre a répondu : « J’ai beaucoup de mal à cacher ma honte face à ce qui vient d’être dit ici », et les applaudissements et les acclamations ont fusé.
Sur le plan intérieur: grande frustration concernant le Premier ministre et sa lenteur à réagir sur l’énergie.
- Alors que les partenaires de la coalition soutenaient le Premier ministre De Croo, dans les couloirs, l’irritation était grande concernant le fonctionnement de la Vivaldi. Encore une fois. Car le CD&V est à bout de patience : le dossier de la réduction des accises est sur la table depuis des mois, et cette semaine, il a encore été ajusté par Van Peteghem.
- Il veut maintenant réduire temporairement tous les droits d’accises au strict minimum, afin de freiner réellement les prix. Et pour être plus concret, son cabinet a calculé que cela rapporterait 17 euros nets à la pompe, par plein de carburant : personne n’a à expliquer au porte-parole de Van Peteghem comment communiquer le plus efficacement possible dans la rue de la Loi.
- Les tensions ne sont pas nouvelles entre le Premier ministre et le vice-premier ministre du CD&V. Le premier n’a pas non plus accordé explicitement à Van Peteghem une réduction « intelligente » de la TVA sur le gaz, lorsqu’il a présenté son projet en janvier. Le CD&V n’avait « pas été assez bon dans les préparatifs », et devait donc être « puni », disaient alors d’autres vice-premiers ministres.
- « Très cynique, donc, que pour le bien de l’égo du Premier ministre, le peuple n’ait pas obtenu une réduction de la TVA. Et cela de la part d’un libéral », commente-t-on aujourd’hui.
- Du côté flamand, les autres partenaires de la coalition sont également frustrés. Egbert Lachaert, président de l’Open Vld, a de nouveau eu l’opportunité de s’expliquer dans les studios de De Afspraak pour parler des prix de l’énergie. « Qu’ils osent encore aller à la télévision sur l’énergie… Ils ont tout bloqué pendant des mois. Et pour la gloire de qui ? Pour que le Premier ministre puisse annoncer son propre deal plus tard ? Pourquoi De Croo ne bouge pas ? »
- On a le sentiment que les mesures sont trop tardives: « Ceux qui pensent encore que nous allons bientôt recevoir les applaudissements du peuple se trompent lourdement. Cela aurait dû être fait beaucoup plus tôt », dénonce un Vivaldiste de premier plan.
- Mais De Croo peut invoquer quelques circonstances atténuantes :
- Les Verts ont mis sur la table un ensemble de revendications fermes. En échange du maintien provisoire des centrales nucléaires, ils veulent une compensation sous la forme d’investissements accrus dans les énergies vertes. À la chambre, la ministre de l’Énergie l’a dit très explicitement : « Il faut agir avec un paquet global, comportant des mesures structurelles opérant sur la facture, dans le sens de la transition énergétique (…). Il faut travailler sur le long terme. »
- Comprendre: on ne peut pas agir uniquement sur des mesures ciblées comme la baisse de la TVA sur le gaz ou la réduction des accises sur les carburants. Les Verts veulent des garanties sur des mesures structurelles: isolation, renouvelable, et baisse de la consommation.
- Il y a aussi le sommet européen de Versailles, où l’on discute également de la politique énergétique de toute l’UE. Et des choix de l’UE dépendront les ressources disponibles pour la fameuse indépendance énergétique du Vieux continent. Certaines mesures qui auront une influence sur le prix pourraient aussi y être décidées.
- Quoi qu’il en soit, la pression sur le gouvernement fédéral s’accroît : la décision sur les prix de l’énergie pourrait intervenir dès le début de la semaine prochaine après un nouveau week-end de négociations. Et donc ne pas attendre le 18 mars, jour de décision du volet nucléaire.
En attendant : À Versailles, le deuxième jour du sommet de l’UE se concentre sur l’énergie.
- C’était prévisible : l’Ukraine n’aura pas la perspective d’une adhésion accélérée à l’UE. Le débat a pris de l’ampleur du jour au lendemain, car les États baltes et la Pologne, ainsi que toute l’Europe de l’Est, ont exercé une forte pression. Mais Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, s’y est fermement opposé. La Belgique a également adopté la même ligne : un accord d’association est possible, mais cela n’ira pas beaucoup plus loin pour l’instant.
- Cette négociation s’est terminée par une promesse classique de l’UE : elle va donner plus d’argent à l’Ukraine, toujours sous forme de soutien militaire. Bien sûr, les dirigeants de l’UE ont essayé de vendre la situation différemment : le président lituanien Gitanas Nausèda a parlé d’une « nuit historique » pour l’UE, Charles Michel a proclamé que « l’Ukraine fait partie de la famille européenne », tandis que Rutte a souligné que le chemin vers l’adhésion de l’Ukraine pourrait aboutir mais prendre « des mois, voire des années ».
- Aujourd’hui, l’accent sera mis sur les conséquences économiques de la guerre, notamment l’énergie et les prix élevés. La Banque centrale européenne se joint aux discussions. La présidente Christine Lagarde a également annoncé hier que la BCE allait accélérer la fin son programme d’achat d’obligations d’État européennes. C’est la seule façon d’arrêter l’inflation galopante, mais tôt ou tard, elle augmentera la pression sur les budgets des États membres par le biais de taux d’intérêt plus élevés.
- Dans le même temps, le débat sur le financement de l’UE revient sur la table : le président français Emmanuel Macron souhaite utiliser à nouveau l’instrument de la dette commune (les « euro-obligations ») pour faire face à cette crise. Cela s’est produit la première fois durant la pandémie, mais si l’UE recommence maintenant, la voie vers des dettes communes de l’UE sera définitivement tracée.
- Le plus important pour la Belgique : la discussion sur les prix de l’énergie. En particulier, le découplage du prix européen de l’électricité de celui du gaz pourrait avoir un effet important : la facture pourrait devenir plus légère. La Commission européenne a des plans qui sont prêts ; selon les diapositives d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, un découplage pourrait avoir lieu d’ici la fin du mois.
- Il ne s’agit pas encore d’un plafonnement de prix pour le gaz, que la Belgique et le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) proposent, poussés par la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen). Les chances que cela se produise en Europe sont nulles : il s’agit d’une intervention bien trop importante dans le libre marché pour les autres États membres.
À noter : C’est le moment choisi par les ministres socialistes pour réclamer des règles budgétaires plus souples dans l’UE.
- C’est le cheval de bataille de Thomas Dermine (PS), le secrétaire d’État à la Relance, inspiré par la nouvelle théorie monétaire (MMT) : les règles budgétaires européennes. Jusqu’à la pandémie, les deux dernières décennies ont montré à quel point l’UE, par le biais des règles de Maastricht, a maintenu les États membres dans un cadre budgétaire et fiscal rigoureux. Quiconque n’adhérait pas à une discipline budgétaire suffisamment stricte se retrouvait au ban de la Commission : un déficit public maximal de 3 % était la limite absolue. Et une dette de 60 % par rapport au PIB, bien que ce critère soit beaucoup moins réalisable.
- Une politique trop conservatrice, estime le PS depuis des années : ce n’est pas un hasard si le Premier ministre Elio Di Rupo s’est heurté à la Commission et à son commissaire libéral Oli Rehn au sujet de ces règles.
- Maintenant, c’est Dermine qui mène la danse : il veut des règles différentes dans l’UE et a déjà réuni tous les ministres socialistes autour de lui. Le PS, mais aussi Frank Vandenbroucke (Vooruit) et Meryame Kitir (Vooruit) dans une lettre ouverte commune, qu’il a fait publier dans De Tijd et L’Echo.
- L’essentiel : l’assouplissement des règles pendant la pandémie doit perdurer.
- « 30 ans après le traité de Maastricht, nous devons repenser la gouvernance économique européenne à partir d’une Europe plus autonome, sociale et écologique. C’est la seule façon de garantir notre prospérité et notre cohésion sociale à long terme », écrivent Dermine et co.
- Ils voient l’UE comme un niveau qui devrait avoir sa propre gestion financière, prélever ses propres impôts, et surtout émettre sa propre dette : « La zone euro et l’Union européenne devraient avoir une réelle capacité budgétaire au niveau européen pour pouvoir réagir aux crises, mais aussi pour investir dans des dispositions communes européennes liées aux défis dans le domaine social, autour du climat et de la transition numérique, et en termes d’autonomie stratégique « , écrivent-ils.
- C’est tout à fait dans l’air du temps : les premiers pas au sein de l’UE ont été faits avec le bazooka de 750 milliards que l’UE a mis sur la table comme plan de sauvetage après la pandémie.
- Mais il reste à voir s’il s’agira d’une réécriture complète de l’idée du « pacte européen de stabilité et de croissance » ou des normes de Maastricht : cette question reste politiquement très sensible dans toute l’Europe. Et là, les sauterelles, aussi appelées péjorativement pays du « Club Med », avec la France, l’Italie, la Grèce, l’Espagne et le Portugal, se heurtent inévitablement aux fourmis, ou pays dits « frugaux », avec les Pays-Bas, les pays baltes, l’Autriche et même l’Allemagne.
- La Belgique est toujours entre deux chaises dans ce domaine : vouloir vraiment rejoindre le Club Med n’a jamais été une option. C’est beaucoup plus difficile politiquement en Flandre, où le centre-droit prédomine. Mais pour les ministres socialistes, il n’y a aucun doute : avec leur lettre ouverte, ils font déjà savoir très clairement dans quel club ils voient la Belgique.