La flotte « fantôme » de pétroliers russes s’agrandit à vue d’œil pour contourner les sanctions

Suite à l’embargo et à l’établissement d’un plafond des prix sur le pétrole russe, la Russie a constitué une flotte fantôme pour acheminer son pétrole, principalement en Asie. De quoi lui permettre de conserver une rente solide pour alimenter sa guerre en Ukraine.

Pourquoi est-ce important ?

Après l'embargo, l'Europe et ses alliés ont lancé début décembre un plafonnement des prix du pétrole brut transporté par voie maritime. Pour éviter que les navires russes assurés principalement en Europe et au Royaume-Uni (ou utilisant des services occidentaux) ne vendent leur pétrole au prix fort. En février suivait un plafond des prix sur les produits pétroliers raffinés (carburants). Ces sanctions ont eu un impact limité sur les livraisons de pétrole russe. L'une des causes principales est la constitution d'une flotte fantôme par la Russie.

Dans l’actu : la flotte fantôme s’agrandit.

  • Dans un premier temps, la Russie a pu voir venir l’instauration du plafonnement des prix du pétrole russe, le 5 décembre dernier, lui permettant d’anticiper : la Russie avait constitué une flotte « fantôme » d’une centaine de navires pour contourner l’embargo et le plafonnement des prix.
  • Des navires généralement vieillissants, récemment acquis par des acheteurs anonymes liés à la Russie via des circuits et des structures opaques, notamment à Hong Kong et à Dubaï, qui échappent aux sanctions. Une autre partie des navires était auparavant utilisée par l’Iran ou le Venezuela, a révélé le Financial Times, en février dernier. D’autres ont été achetés à des propriétaires européens.
  • Avant la guerre, l’immense majorité des pétroliers utilisés par la Russie avaient des propriétaires occidentaux, utilisaient des services occidentaux où étaient assurés chez nous. D’où l’idée de ce plafonnement : permettre à la Russie d’écouler partiellement son pétrole en dehors de l’Occident à un prix réduit, sans trop affecter l’offre mondiale (et créer une crise) tout en limitant la casse pour les entreprises occidentales.
  • Bloomberg a ensuite évalué la proportion de navires « européens » utilisés par la Russie pour expédier du pétrole depuis ses ports. De début octobre à début décembre, avant l’instauration du plafond, la moitié des navires en question appartenaient à des entreprises européennes. En décembre, cette proportion a chuté à environ un quart. En janvier, elle est repassée à un tiers. 36%, selon les données de Kpler.
  • Vous l’aurez compris, la Russie a augmenté sa flotte « fantôme » pour limiter sa dépendance à l’occident et contourner l’embargo et les plafonds. Selon une enquête menée par CNN, les initiés du secteur estiment désormais la taille de cette flotte « fantôme » à environ 600 navires, soit environ 10 % du nombre total de grands pétroliers. On estime que le nombre de navires vendus qui viennent s’ajouter à la flotte « fantôme » chaque mois est de 25 à 35.

L’essentiel : vers où se dirige cette flotte fantôme ?

  • Les pays occidentaux ont interdit la plupart des importations de pétrole russe (dans les faits, il reste encore beaucoup d’acheteurs européens), mais aucune règle n’empêche les navires occidentaux de livrer à des acheteurs tels que la Chine et l’Inde, ou de fournir des services tels que l’assurance – tant que les plafonds de prix de l’Europe et du G7 sont respectés.
  • Et la Chine et l’Inde sont effectivement friandes de ce pétrole invendu bon marché. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la Chine a augmenté ses importations de pétrole russe à 1,9 million de barils par jour en moyenne en 2022, soit une hausse de 19 % par rapport à 2021. L’Inde a gonflé ses achats de façon beaucoup plus impressionnante, enregistrant une hausse de 800 % pour atteindre une moyenne de 900.000 barils par jour en 2022. Et cela va crescendo : on estime que l’Inde a acheté 1,3 million de barils en mois de janvier. En Chine, ça se stabilise.

Le hic : ce n’est pas suffisant.

  • La flotte « fantôme » et la flotte de bateaux russes ne sont pas suffisantes pour acheminer le pétrole russe. L’une des raisons est assez évidente : il est plus compliqué pour la Russie de livrer du pétrole en Chine qu’en Finlande, par exemple. Selon les estimations d’EA Gibson, un armateur, la Russie a désormais besoin de 4 fois plus de capacités de transport pour son pétrole brut qu’avant l’invasion.
  • En outre, le marché des pétroliers russes est pour le moment complètement chamboulé, ce qui engendre des coûts supplémentaires. L’embargo et les plafonds des prix du pétrole nécessitent un immense changement de paradigme pour la Russie.
  • En attendant, l’Occident tente d’identifier les mystérieux acheteurs pour leur appliquer des sanctions, comme dans le cas de Sun Ship Management, une filiale de Sovcomflot, la plus grande compagnie maritime russe, basée à Dubaï.

Les chiffres : la Russie gagne encore plus d’un demi-milliard d’euros chaque jour grâce à ses combustibles fossiles.

  • Selon un rapport du Center for Research on Energy and Clean Air (CREA), la Russie engrange actuellement 560 millions d’euros par jour via ses exportations de combustibles fossiles (gaz, pétrole et charbon).
  • 560 millions d’euros par jour, c’est énorme, mais c’est tout de même la moitié de ce que la Russie gagnait en mars 2022, peu après le début de la guerre (1,130 million).
  • Ces 560 millions d’euros se décomposent comme ceci :
    • 280 millions via les ventes de pétrole brut.
    • 120 via les produits dérivés du pétrole.
    • 60 via le gaz naturel envoyé par pipeline.
    • 60 via le charbon.
    • 40 via le gaz naturel liquéfié (GNL), envoyé par navire.
  • Plusieurs organisations estiment que les plafonds sont encore trop hauts, ce qui continue d’alimenter le trésor de guerre de Poutine. Mais fixer des plafonds plus bas sera aussi un appel d’air pour cette flotte « fantôme ».
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