Au bout de trente ans, l’ère de la mondialisation s’apprête-t-elle à prendre fin ? Selon plusieurs dirigeants d’entreprise et investisseurs, c’est en effet le cas. La pandémie a eu un impact important sur de nombreuses industries qui cherchent désormais à se concentrer sur les marchés locaux, mais cela pourrait avoir des conséquences économiques désastreuses.
Depuis le 22 et jusqu’au 26 mai, la ville de Davos rassemble des patrons d’entreprise et autres dirigeants du monde, à l’occasion du Forum économique mondial, un rendez-vous qui réunit des chefs d’entreprise, des responsables politiques, des universitaires et d’autres leaders de la société pour façonner les agendas mondiaux, régionaux et industriels », comme se définit l’organisation internationale indépendante. Il s’agit de la première édition depuis le coronavirus et le moins que l’on puisse dire est que le contexte particulièrement tendu sera au cœur des discussions.
Les dirigeants d’entreprise et du monde se rencontrent en effet sur fond de guerre en Ukraine, de perturbations de la chaine d’approvisionnement mondiale – conséquences collatérales du coronavirus -, d’inflation galopante et donc, de turbulences au sein des marchés, mais aussi de détérioration des perspectives économiques mondiales. Un contexte particulier qui a poussé de nombreux investisseurs à prendre des décisions stratégiques clés, ont déclaré plusieurs personnes au Financial Times.
Du jamais vu
« L’approvisionnement, la renationalisation et la régionalisation sont devenus la dernière tendance des entreprises, ralentissant le rythme de la mondialisation », s’est exprimé José Manuel Barroso, président de Goldman Sachs International et ancien président de la Commission européenne. « [La mondialisation est confrontée] aux frictions du nationalisme, du protectionnisme, du nativisme, du chauvinisme si vous voulez, ou même parfois de la xénophobie, et pour moi, il n’est pas clair qui va gagner. »
« Pratiquement personne ne voit » de telles conditions « au cours de son investissement », a poursuivi le responsable de l’un des plus grands groupes de capital-investissement au monde.
La géopolitique est désormais au premier plan
La guerre en Ukraine et les conséquences sur les marchés mondiaux font que la géopolitique est désormais au premier plan des décisions des investisseurs, car le contexte actuel agit comme un « vent contraire assez fort sur les prix des actifs », après des années de baisse d’inflation et de taux d’intérêt bas, a affirmé Charles ‘Chip’ Kaye, directeur général de Warburg Pincus.
« Vous n’optimisez pas les résultats économiques [avec la montée des tensions géopolitiques], vous créez des conflits au sein du système », a-t-il ajouté.
Le début de la fin de la mondialisation ?
La pandémie de coronavirus a mis sous tensions les chaines d’approvisionnement, de sorte que les entreprises se sont battues pour être prioritaires. Une situation qui n’a fait qu’exposer les problèmes de la mondialisation, car celle-ci repose en grande partie sur ces chaines d’approvisionnement. En cas de perturbation – ce qui est toujours le cas –, les rouages sont bloqués. Une situation qui pousse certains à se questionner ; l’ère de la mondialisation touche-t-elle à sa fin ?
« Les entreprises disent qu’elles ont besoin d’une production plus proche du client », a déclaré Jonathan Gray, président de Blackstone Group.
Pour Christophe Weber, directeur de Takeda, la plus grande société pharmaceutique d’Asie, l’ère de la mondialisation basée sur l’externalisation des fonctions pour réduire les coûts est en effet révolue. Les fabricants de médicaments continueront de rechercher la croissance sur les marchés internationaux, mais l’attention des entreprises s’est déplacée vers une forme de mondialisation plus durable, a-t-il affirmé, rapporte le Financial Times. « Il s’agit d’éliminer les risques dans votre chaîne d’approvisionnement. »
« Il serait succinct de dire que la mondialisation est terminée, mais la mondialisation à laquelle les gens pensent maintenant n’est plus vraie. La mondialisation qui existait il y a quelques années, avec le libre-échange et l’idée du ‘monde plat’, est terminée », a déclaré M. Weber.
« Certaines entreprises de luxe sont en train de repenser leurs stratégies, qui ont tendance à s’appuyer fortement sur les marques mondiales, à vendre aux touristes et à expédier des marchandises dans le monde entier. Aujourd’hui, les magasins de Londres, Paris ou Milan s’adressent plus qu’avant à leurs résidents locaux », s’est exprimé Rachid Mohamed Rachid, président de Valentino et de Balmain. Les industries de consommation s’éloignent, elles aussi, de la mondialisation pure et dure.
Des conséquences désastreuses
Depuis deux ans, les entreprises tendent à se concentrer sur les marchés locaux plutôt qu’à agir au niveau mondial. Un changement de stratégie qui ne peut être dissocié de la crise sanitaire qui a justement mis à mal la mondialisation. Une évolution qui pourrait avoir des conséquences économiques désastreuses, a averti Dominik Asam, directeur financier d’Airbus.
« Si une partie importante des gains de productivité réalisés pendant des décennies grâce à la mondialisation devait s’inverser en un court laps de temps, cela provoquerait une flambée de l’inflation et une récession majeure et prolongée », a-t-il déclaré. « C’est précisément la raison pour laquelle je pense que les grandes puissances économiques parviendront à la conclusion qu’elles doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher un tel scénario catastrophe. »