Pékin semble remettre en ligne des modèles d’avions datant des années 1960, et qu’on n’imaginait pas voir dans un ciel qui risque de s’embraser si la question taïwanaise vire à la guerre ouverte. Il n’est pas exclu que les Chinois testent en fait des avions commandés à distance, destinés à servir de drones pour saturer les défenses de l’île.
Alors que Joe Biden officialisait ce jeudi que les États-Unis prendraient position pour Taïwan en cas de guerre avec la Chine et qu’ils n’hésiteraient pas à utiliser la force, la réaction de Pékin ne s’est guère faite attendre. « Sur les questions liées à ses intérêts fondamentaux, comme sa souveraineté et son intégrité territoriale, la Chine ne laissera aucune place au compromis », a affirmé devant la presse Wang Wenbin, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. « Nous exhortons la partie américaine à agir avec prudence sur la question de Taïwan, et de s’abstenir d’envoyer des mauvais signaux aux militants indépendantistes taïwanais afin de ne pas nuire gravement aux relations sino-américaines. »
Les oiseaux de la Guerre Froide
Pendant que le ton monte dans les salons diplomatiques, les observateurs taïwanais et américains sur le terrain, eux, s’inquiètent des nouvelles stratégies que pourrait mettre en œuvre la Chine pour contourner les défenses de l’île. Alors que des avions chinois pénètrent quotidiennement dans la zone d’identification et de défense aérienne [ADIZ] de Taïwan, depuis des mois, en juin dernier les insulaires ont eu la surprise de reconnaitre des Chengdu J-7, un avion de chasse chinois dérivé du Mikoyan-Gourevitch MiG-21 soviétique, et qui a été mis au point en…1966. Autant dire que dans l’arsenal mondial, ces appareils sont plus de vénérables ancêtres, même si bien modernisés, que des engins destinés à opérer dans une zone de tension qui peut dégénérer à chaque instant en guerre ouverte.
Théoriquement retiré des premières lignes depuis 2011, cet avion sert toutefois toujours pour l’apprentissage des pilotes chinois, ce qui n’explique pas pourquoi, en une unique occasion, on les a observés au dessus du détroit. De même d’ailleurs pour un autre vieil avion, le Shenyang J-6, une version chinoise du MiG-19 produite à 3.000 exemplaires dans les années 1960. Et qui, selon des photographies trouvées sur le compte Weibo (l’équivalent chinois de Facebook) de l’Armée Populaire de Libération, est bien déployé au sein du théâtre oriental d’opération des forces chinoises, celui chargé du front taïwanais. Alors que cet avion ne fait plus partie– du moins officiellement – des escadrons de combat depuis 2005.
Menace sans pilote et zinc sacrifiable
Les experts se perdent en conjoncture sur le déploiement de ces vieilles machines sur le théâtre taïwanais, au vu et au su des défenses aériennes de l’île. Une hypothèse avance que Pékin tient à démontrer à Taipei sa volonté d’aller jusqu’au bout en déployant tout ce qui vole et tout ce qui flotte pour une frappe si massive que les défenses insulaires ne pourraient faire face, mais cela irait de pair avec un coût humain élevé, alors que les pilotes sont toujours précieux et que la société chinoise n’est plus si encline à sacrifier sa jeunesse qu’auparavant.
Autre possibilité : ces vieux avions ont été convertis en drones par Pékin. Une idée qui a fait son chemin dans de nombreux états-majors, et qui a même été appliquée par l’Azerbaïdjan durant sa récente guerre-éclair contre l’Arménie : si un appareil est trop vieux pour assurer la sécurité du pilote face à des moyens modernes, alors autant l’utiliser sans pilote. Cela ouvre de nouvelles options tactiques, comme d’utiliser ces avions-drones pour saturer les défenses ennemies de cibles potentielles. Mais aussi comme appâts, en forçant la réaction des batteries antiaériennes contre une première vague d’avions sans pilote, gâchant ainsi des munitions et surtout révélant leurs positions pour une seconde vague d’attaque, réelle cette fois.
Les drones du pauvre intéressent les riches
On peut même pousser l’aspect sacrifiable à l’extrême et bourrer d’explosifs un avion commandé à distance pour l’écraser sur une cible, comme un véritable missile guidé. Et puis les Soviétiques eux-mêmes avaient déjà eu l’idée de convertir en drones des J-6 dès la fin des années 1960 afin de les utiliser comme cibles aériennes, preuve que ce genre de reconversion n’a rien d’irréalisable.
Pour l’heure l’état-major taïwanais considère comme « peu réaliste » que des Chengdu J-7 auraient subi le même genre de conversion pour voler au dessus du détroit, affirmant que les appareils repérés ne semblaient « a priori » pas pilotés à distance. Toutes les hypothèses restent donc ouvertes. Il n’empêche que le développement de drones « low-cost » voire carrément bricolés a pris de court les armées les plus modernes : elles ne s’attendaient pas à ce qu’on puisse faire mieux que leurs oiseaux sans pilote à bien moindre coût. Une révolution, tant l’usage des « drones de pauvres » semble être à la portée du premier petit pays venu. Il y a fort à parier que les grandes puissances, comme l’Empire du Milieu, se penchent sur ce qu’elles pourraient mettre en œuvre avec une telle doctrine, et des milliers d’avions obsolètes dans leurs hangars. Ce sont plus de 2.400 Chengdu J-7 qui attendent peut-être leur dernier vol vers le soleil levant taïwanais.