Notre prospérité future est menacée. Cependant, cela peut changer; il y a peut-être encore de l’espoir. D’autres nations démontrent qu’il est possible d’aborder nos défis avec plus de sagesse, en vue d’accroître significativement notre prospérité dans les années à venir.
Le Belge moyen est inquiet quant à sa situation financière et son avenir économique. Selon plusieurs sondages, les préoccupations concernent le pouvoir d’achat, l’inflation, la capacité à acquérir un logement, la garantie d’une retraite confortable… L’assomption que la génération actuelle vivra mieux que celle précédente semble de moins en moins évidente. Pour la première fois depuis longtemps, les jeunes d’aujourd’hui pourraient ne pas connaître une telle évolution. En moyenne, nous n’avons jamais été aussi bien économiquement parlant qu’aujourd’hui, pourtant un grand nombre d’entre nous sont préoccupés par l’avenir.
Ce pessimisme économique est compréhensible, étant donné les fluctuations économiques récentes. Entre la crise financière de 2008, celle de l’euro de 2009 à 2015, la pandémie de COVID-19, les crises énergétiques et inflationnistes, nous avons enchaîné les bouleversements. Notre économie a su résister à ces crises, mais elles ont laissé des cicatrices. Comme bon nombre de pays occidentaux, nous sommes confrontés à des transitions majeures, qu’elles soient démographiques, écologiques ou numériques. Ces transitions engendrent d’importants changements, dont l’issue demeure incertaine. Cette succession de crises et de grands bouleversements génère une forte anxiété.
De plus, notre croissance économique est désormais plus lente. Entre 1945 et 1980, la croissance économique par habitant en Belgique a augmenté de 3,5% en moyenne par an. Aujourd’hui, depuis les années 2000, cette croissance est d’à peine moins de 1% par an. Alors que les générations précédentes ont vu leur qualité de vie s’améliorer considérablement, les générations actuelles connaissent une progression plus modérée.
De sombres perspectives
Les inquiétudes concernant notre prospérité sont fondées. À l’instar d’autres pays occidentaux, la Belgique fait face à des transitions majeures : vieillissement de la population, transition écologique, et bouleversements géopolitiques remettant en question la mondialisation. Sur ces sujets, les décideurs belges ont une influence limitée, mais il reste essentiel de gérer ces changements du mieux possible.
L’adaptabilité et la flexibilité seront essentielles, des substantifs qui ne s’appliquent pas toujours à la politique belge. D’autres défis persistent : stagnation de la productivité, déclin de la qualité éducative, augmentation du nombre de personnes inaptes au travail, déraillement des finances publiques, et une transition trop lente vers un modèle plus durable.
Certes, nous avons survécu à ces crises et transitions en matière de prospérité, mais à quel coût ? Nous avons stagné tandis que d’autres pays ont progressé. En comparant notre croissance économique à celle d’autres pays de l’OCDE depuis le début du XXIe siècle, la Belgique est à la traîne. Nous avons perdu une croissance économique significative. Aujourd’hui, le Belge moyen est moins prospère qu’il aurait pu l’être en suivant le rythme d’autres nations occidentales.
Si ces tendances négatives se poursuivent dans les années à venir, notre prospérité sera inévitablement mise sous pression. La progression de la prospérité, déjà en ralentissement depuis plusieurs générations, pourrait alors s’arrêter et même s’inverser. Dans un tel scénario, il y a un risque réel que les enfants d’aujourd’hui finissent par être moins bien lotis que leurs parents. Cependant, cette régression possible de notre prospérité n’est pas une fatalité. Si nous restons inactifs et essayons simplement de nous accrocher au statu quo, cette menace deviendra une réalité dans les prochaines décennies. Mais cela n’est pas une certitude. Nous pouvons agir pour éviter ce scénario ; nous pouvons même faire beaucoup. Il y a de nombreux domaines où nous pourrions nettement nous améliorer en suivant les bons exemples d’autres pays, et le potentiel d’amélioration est immense.
Un potentiel énorme
L’économie n’est certes pas une science exacte. Il n’y a pas de laboratoire pour tester l’impact exact de certaines mesures ou réformes sur notre prospérité. Cependant, nous pouvons observer comment certaines mesures fonctionnent dans d’autres pays et simuler leur impact possible chez nous. Bien sûr, nous devons prendre ces simulations avec prudence, mais elles donnent au moins une indication de ce qui pourrait être réalisable. L’OCDE réalise ce type de simulations sur l’impact potentiel des réformes structurelles. Même avec une série de mesures limitées qui ne coûtent rien, compte tenu de notre situation budgétaire précaire, nous pourrions significativement stimuler notre activité économique. Un ensemble de mesures axées sur un soutien plus efficace à la R&D, une politique du marché du travail plus active, un système juridique plus efficace, un climat d’entreprise plus favorable (notamment un processus de permis plus fluide), une meilleure éducation pour les élèves vulnérables, une réduction des charges sur le travail (compensée budgétairement par un transfert de charges) et travailler plus longtemps pourrait augmenter notre activité économique de plus de 7% sur dix ans, soit une augmentation de 42 milliards d’euros en valeur actuelle. Et il ne s’agit même pas de grandes réformes, mais plutôt de petites étapes dans la bonne direction.
Un plan de réforme plus ambitieux pourrait bien sûr produire des résultats encore plus importants. Selon d’autres simulations de l’OCDE, un ensemble de mesures visant à améliorer le fonctionnement du marché, à optimiser le marché du travail, à renforcer les efforts en matière de R&D et à augmenter les investissements publics – en visant à chaque fois les meilleures pratiques des cinq principaux pays industrialisés – pourrait augmenter notre activité économique à long terme d’un tiers. En euros actuels, cela représente environ 190 milliards d’activité économique supplémentaire, soit 16.000 euros par Belge et par an. Ces fonds pourraient être utilisés pour renforcer le pouvoir d’achat, développer davantage les pensions et les soins de santé, lutter contre la pauvreté ou augmenter les investissements.
Alors, qu’attendons-nous ?
La plupart des défis auxquels nous sommes confrontés sont connus depuis longtemps. Et la plupart des faiblesses de notre économie ne sont pas nouvelles non plus. Plus nous attendons pour agir, plus les efforts nécessaires pour redresser la situation seront importants. Et pourtant, nous continuons d’attendre. Presque tous les gouvernements belges des dernières décennies se sont présentés comme des gouvernements de réforme et/ou d’investissement, mais tous ont, à divers degrés, échoué, en raison des divergences politiques au sein du gouvernement, de crises rendant des efforts supplémentaires « impossibles », ou d’un manque de « consensus » pour les réformes. Pendant ce temps, d’autres pays européens ont réussi à mettre en œuvre les réformes nécessaires, notamment les pays scandinaves après leur crise bancaire et immobilière du début des années 90, l’Allemagne avec les réformes Hartz du début des années 2000, et plus récemment les pays méditerranéens sous la pression de la crise de l’euro.
Finalement, nous devrons prendre des mesures. Notre modèle de bien-être est sous pression et cette pression ne fera qu’augmenter. La pression pour une transition durable augmentera également. Et pendant ce temps, notre croissance économique risque de stagner, voire de s’inverser. Nous approchons du point où l’inaction n’est plus une option. Attendre encore signifie que les efforts inévitables à venir seront d’autant plus lourds.
L’auteur Bart Van Craeynest est le chef économiste chez Voka et auteur du livre België kan beter