On savait que lutter contre l’inflation serait un combat long et difficile. Mais après des mois de hausse des taux d’intérêt, force est de constater que la Fed n’a pas réussi à influencer l’inflation. Pire : sa politique a créé un monde moins sûr, surtout pour le reste du monde.
Le rapport de l’inflation est tombé ce jeudi. Et il n’est pas bon : l’inflation a rebondi par rapport au mois d’août pour atteindre 8,2% en septembre. En fait, elle est presque revenue au niveau de mars dernier, quand l’indice des prix à la consommation était de 8,5%.
Plusieurs hausses des taux d’intérêt, dont trois hausses de 75 points successives, n’auront donc eu aucune influence sur l’inflation. Et il ne faudrait pas tout mettre sur la tête de l’énergie. Si l’on retire les prix de l’énergie et de l’alimentation, la hausse de l’inflation est encore plus marquée, atteignant son plus haut niveau depuis 1982.
« Le rapport de l’inflation d’aujourd’hui [jeudi] est un désastre total », a écrit Christopher S. Rupkey, économiste en chef de Fwdbonds, une société de recherche sur les marchés financiers. « Il montre que quoi que fassent les responsables de la Fed, cela ne fonctionne tout simplement pas », déplore-t-il dans CNN Business.
Mauvaise méthode ?
Les critiques sont nombreuses. Entre ceux qui estiment que la Fed a agi trop tard, ceux qui pensent qu’elle se base sur des données obsolètes, et les derniers qui pensent que la Réserve fédérale ne sait plus faire de prévisions.
Jeremy Siegel, célèbre professeur de finance de l’école de commerce de l’université de Pennsylvanie, en fait partie. Pour lui, non seulement la Fed a agi trop tard, mais toutes ses prévisions se sont révélées fausses. La Fed se concentre sur l’emploi, qui a de nouveau progressé le mois dernier. Elle le voit comme un signal pour continuer à appuyer sur le champignon, et donc à relever les taux d’intérêt de manière importante.
Les traders se sont d’ailleurs fait une raison et estiment à 98 % les chances de voir une nouvelle hausse de 0,75% en novembre, et à 62 % en décembre. Mais selon Siegel, plusieurs signaux montrent déjà un ralentissement de l’économie : la diminution des prêts hypothécaires (plus bas en 25 ans), la baisse des prix de l’immobilier et une baisse de la consommation. « Je pense qu’ils seront obligés de baisser les taux [d’intérêt] beaucoup plus rapidement qu’ils ne le pensent », a-t-il conclu.
Cathie Wood, célèbre investisseuse, plussoie : la Fed se concentre trop sur les prix de l’énergie et des denrées alimentaires, sur lesquels elle a finalement très peu de poids. C’est l’autre problème de la Fed et des banques centrales de manière générale : l’inflation est surtout un problème d’offre et pas de demande. L’inflation est désormais alimentée par des facteurs externes comme la guerre en Ukraine et les problèmes persistants dans la chaine d’approvisionnement.
Pire que mieux
Aveuglée par son envie de faire baisser l’inflation, et voyant qu’elle n’y parvient pas, la Fed risquerait d’appuyer trop fort sur la montée des taux d’intérêt. C’est d’ailleurs ce qui est ressorti des minutes, le compte rendu de la dernière réunion sur les taux d’intérêt de la Réserve fédérale : « Le coût d’une action insuffisante pour faire baisser l’inflation l’emportait probablement sur le coût d’une action trop importante. »
C’est une prise de risque majeur : faire baisser la température de l’économie pour provoquer un ralentissement pourrait mener à une grave récession. Pas seulement nationale, mais mondiale. Car la Fed, en agissant la première et de manière agressive, a renforcé le dollar par rapport à toutes les autres monnaies. Ce qui pèse sur l’inflation du reste du monde, et met en grave danger les pays en voie de développement dont la dette est en dollars.
Dans ce scénario catastrophe, la Fed se sera trompée sur toute la ligne. En ne relevant pas les taux d’intérêt quand l’économie était en trombe (2021), en évaluant mal l’importance et la persistance de l’inflation (2022), et finalement, en agissant de manière trop appuyée et trop tardive, ce qui pourrait provoquer une récession mondiale (2023).