« On ne peut pas voir l’histoire européenne depuis le XVIIe siècle sans la Russie. Exclure la Russie n’est pas conforme à ma vision de l’Europe. Cela ferait de la Russie un allié de la Chine ». C’est ce qu’a déclaré l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger dans une interview accordée à l’hebdomadaire allemand Stern.
Kissinger n’est pas n’importe qui. Il a été secrétaire d’État américain dans les gouvernements des républicains Richard Nixon et Gerald Ford. Il est l’un des principaux géostratèges de ces six dernières décennies. Il y a des bibliothèques à remplir uniquement de biographies de cet homme.
Realpolitik
Kissinger est connu pour son discours modéré, qu’il aime à qualifier de « realpolitik ». Aujourd’hui, il plaide également en faveur de la prudence géostratégique, en particulier face à l’agresseur Poutine.
Kissinger défend également le chancelier allemand Scholz. Ces dernières semaines, ce dernier a souvent été accusé de duplicité, disant une chose et en faisant une autre. Mais selon l’ancien secrétaire d’État américain, les intérêts allemands ne sont pas identiques à ceux de l’Ukraine.
« Les Ukrainiens se sont comportés héroïquement jusqu’à présent et jouent un rôle important dans la défense de leur propre liberté. Mais d’autres États ont leurs propres intérêts historiques et actuels. Ceux-ci ne doivent pas nécessairement être identiques à ceux de l’Ukraine. C’est l’essence même de la politique. »
« Un traité de paix avec Poutine devra probablement être conclu »
En outre, Kissinger conseille de ne pas essayer de mettre Poutine à genoux: « La Russie restera un facteur important dans les relations internationales. Si la Russie devait s’effondrer à la suite de la guerre, cela entraînerait le chaos en Asie centrale et au Moyen-Orient. »
L’Américain de 99 ans ne pense pas non plus que la paix ne sera possible qu’après le départ de Poutine: « Il faudra probablement conclure un traité de paix avec Poutine. » C’est pourquoi il conseille à l’OTAN de ne pas poursuivre la délocalisation de ses activités à la frontière occidentale de la Fédération de Russie. Il voit une solution possible dans les restrictions sur les armes le long des frontières entre l’UE et la Russie. « Cela devrait ensuite être combiné à un engagement de retenue mutuelle », a-t-il déclaré.
« Diaboliser Vladimir Poutine n’est pas une politique, mais un alibi pour l’absence de politique »
Malgré la cruauté presque insupportable de cette guerre, Kissinger conseille donc de ne pas rompre avec la Russie.
Ce qui donne à réfléchir lorsque l’on relit aujourd’hui l’essai sur le problème ukrainien qu’il a écrit il y a huit ans.
« L’Occident doit comprendre que l’Ukraine ne pourra jamais être un simple pays étranger pour la Russie. L’histoire de la Russie commence dans la ‘Rus de Kiev‘. De là, la religion russe s’est répandue. L’Ukraine fait partie de la Russie depuis des siècles et l’histoire des deux pays était déjà entrelacée avant cela. »
« Pour l’Occident, diaboliser Vladimir Poutine n’est pas une politique, mais un alibi pour l’absence de politique », avait-il déjà avancé à l’époque.
(OD)