« Je remarque que le Vlaams Belang est en train d’opérer certains changements. C’est positif, ça va dans la bonne direction. » Par cette phrase, Jan Jambon (N-VA) semble de nouveau entrouvrir la porte, même légèrement, à des coalitions ou à une collaboration avec le Vlaams Belang. Bien qu’il ait immédiatement nuancé ses propos et n’ait pas voulu raviver cette vieille discussion, le « cordon sanitaire » reste inévitablement un élément clé dans la prochaine bataille électorale. D’autant plus que le Belang lui-même insiste fortement sur ce sujet, comme l’a récemment expérimenté la nouvelle présidente de Vooruit, Melissa Depraetere, confrontée à ses anciennes déclarations sur le sujet. Mais un autre facteur pourrait jouer un rôle encore plus important : la situation aux Pays-Bas. Lors des élections de mercredi chez nos voisins, le PVV de Geert Wilders, ancien allié de Tom Van Grieken et surtout de Filip Dewinter, est en tête des sondages. Plus important encore, il a de bonnes chances de participer à la formation d’une coalition. Cela pourrait avoir un impact significatif sur une formation gouvernementale flamande, servant d’argument potentiel.
Dans l’actualité : Aux Pays-Bas, le PVV est en tête des sondages.
Les détails : En Flandre, Jambon laisse une fois de plus la porte entreouverte à une collaboration avec le Vlaams Belang, notant une évolution « dans la bonne direction ». Cependant, il souligne que les « attaques personnelles » ont leur poids : « Si vous voulez séduire quelqu’un, vous ne devez pas l’attaquer aussi violemment en permanence ».
- « Si la N-VA est appelée à faire partie du prochain gouvernement flamand et en est le parti le plus important, alors je suis prêt à reprendre le mandat de ministre-président. » Une demi-semaine après avoir été désigné tête de liste pour le Parlement flamand, Jambon confirme qu’il est le chef de file de la N-VA pour le gouvernement flamand.
- Sur le plateau de Zevende Dag, il a pratiquement mis fin aux spéculations sur d’éventuels successeurs, tels que Zuhal Demir (N-VA) ou Matthias Diependaele (N-VA), à la tête du prochain gouvernement flamand : il n’a même plus été interrogé à ce sujet. « Je suis disponible là où vous avez le plus besoin de moi. J’aimerais vraiment le faire. C’est un honneur d’occuper la fonction de ministre-président flamand », a déclaré Jambon.
- Mais ce sont surtout ses déclarations sur le Vlaams Belang qui vont compter dans la future campagne électorale. Car Jambon n’a pas complètement fermé la porte à Tom Van Grieken et son parti. Après avoir déclaré la semaine précédente dans De Tafel Van Gert qu’il connaissait « assez bien Van Grieken » et que « celui-ci était ami avec l’un de ses fils pendant leurs études », il a laissé hier une déclaration notable.
- « Je constate que le Vlaams Belang effectue certains changements. C’est positif, ça va dans la bonne direction, selon moi », a déclaré Jambon, sans préciser quels étaient ces changements.
- Puis, il a immédiatement mis le holà : « Mais il y a aussi des questions de fond. Et puis, il faut regarder les attaques personnelles et les situations », a-t-il ajouté.
- « Si vous voulez séduire quelqu’un, vous ne devez pas l’attaquer aussi violemment en permanence », a-t-il mentionné, faisant notamment référence à la frustration profonde au sein de la direction de la N-VA face aux attaques, notamment en ligne, que l’on pense orchestrées par le Vlaams Belang.
- « Nous avons déjà dit à plusieurs reprises que la balle est dans le camp du Vlaams Belang. Mais avec le Belang qui se présente aujourd’hui, c’est no pasaran », a finalement clarifié Jambon.
- Cependant, c’est un exercice d’équilibre délicat, en particulier pour le ministre-président. Car bien que le président Bart De Wever (N-VA) considère presque comme une impossibilité physique de collaborer avec le Vlaams Belang, le groupe autour de Jambon et aussi Theo Francken (N-VA) adopte une approche plus pragmatique et n’a jamais complètement fermé cette porte dans le passé.
- Les autres partis le savent et mettent la pression. Cela a donné lieu à une déclaration remarquée dans la Gazet van Antwerpen, ce week-end, de Caroline Gennez (Vooruit), qui affrontera directement le ministre-président flamand à Anvers pour le Parlement flamand : « Je vois un Jan Jambon qui pourrait bien dire à un moment donné : ok, alors formons un gouvernement avec le Vlaams Belang. »
L’essentiel : Le cordon sanitaire va-t-il revenir sans cesse dans la campagne électorale ?
- « Pour moi, le cordon sanitaire peut disparaître, c’est la pire invention jamais créée. » C’est Filip Brusselmans, un jeune député du Vlaams Belang et membre de la ligne dure du parti, qui a ressorti ce week-end sur X une ancienne citation de la nouvelle présidente de Vooruit, Melissa Depraetere. « J’espère que tu resteras fidèle à tes positions antérieures », lui a lancé Brusselmans.
- Cela a immédiatement prouvé que X, bien que restant un réseau social relativement mineur en Flandre, reste influent parmi les journalistes qui le consultent : Depraetere a aussitôt été interrogée à ce sujet lors de ses premières interviews.
- « J’ai dit un jour que je ne trouvais pas le cordon sanitaire judicieux, c’était une expression un peu abrupte », a-t-elle nuancé ce week-end dans De Standaard.
- « J’avais participé à une série de débats scolaires et les jeunes me demandaient si nous gouvernerions avec le Vlaams Belang. Les autres politiciens renvoyaient alors au cordon sanitaire et c’était réglé. Affaire classée. »
- « Les jeunes de seize, dix-sept ans n’ont aucune idée de la raison d’être du cordon sanitaire. Cela remonte à avant leur naissance. Ils voient un parti qui attire de nombreux électeurs. Ce succès les séduit. »
- « C’est pourquoi il est essentiel de continuer à leur expliquer pourquoi nous ne voulons pas gouverner avec le Vlaams Belang. Partout où l’extrême droite a gouverné ou gouverne, la prospérité et la liberté des citoyens reculent. »
- Ainsi, Depraetere ne s’écarte pas beaucoup de la ligne adoptée depuis longtemps par la N-VA : avec le Belang, c’est la seule formation politique qui n’a pas officiellement signé l’accord politique du cordon sanitaire et ne se sent pas liée par celui-ci. La ligne de conduite chez De Wever et consorts est qu’ils « n’ont pas besoin du cordon pour savoir qu’ils ne peuvent pas gouverner avec le Belang ». C’est précisément ce que Depraetere a déclaré dans son autre interview à Het Nieuwsblad concernant toute la question du cordon.
- Il s’agit donc en partie d’une discussion sémantique sur le respect ou non du cordon sanitaire, qui réapparaît constamment chez certains partis centristes du nord du pays. La question est de savoir si cela suffit encore, à une époque où effectivement toute une génération d’électeurs s’apprête à voter sans connaître l’historique d’un accord politique signé en 1989.
- Le fait que deux interviews télévisées de Jambon en une semaine aient généré des gros titres sur les sites d’actualités, donnant l’impression que la porte n’est pas complètement fermée et que Jambon évoque le Belang, marque clairement les défis de la N-VA pour la campagne.
- En 2014, l’isolement du Belang et l’argument qu’il représentait « un vote perdu » étaient l’un des moteurs derrière la victoire électorale de De Wever, qui a alors grignoté l’électorat du Vlaams Belang.
- Mais cet argumentaire est beaucoup moins convaincant en 2023. Tant sur les réseaux sociaux que dans la presse traditionnelle, Van Grieken et son parti sont omniprésents. C’est pourquoi même une légère ouverture de la porte par Jambon est systématiquement source de nouveaux gros titres sur lui et le Belang.
Le contexte : En Europe, la présence de l’extrême droite dans les gouvernements est de moins en moins taboue. Toutefois, la situation aux Pays-Bas est un cas très concret qui pourrait influencer la politique flamande, et par ricochet la politique belge.
- Quand il pleut à La Haye, il bruine à Bruxelles. Si cette maxime s’applique moins au nord du pays – les Flamands ne regardant plus la NOS comme les Belges francophones regardent TF1 ou France 2 –, politiquement, les Pays-Bas maintiennent une « relation spéciale » avec de nombreux politiciens flamands.
- Il n’est par exemple pas surprenant que Kristof Calvo (Groen) se soit tourné vers GroenLinks aux Pays-Bas, avant de revenir en Belgique, ou que Sammy Mahdi (cd&v) ait soudainement mis en avant ses positions sur l’agriculture, inspiré par l’ascension du BBB lors des dernières élections néerlandaises. Bart De Wever entretient de longue date des relations avec le VVD, et Zuhal Demir (N-VA) est même une amie personnelle de Dilan Yeşilgöz, figure de proue du VVD. Mahdi et De Wever ont également des relations cordiales avec Pieter Omtzigt, nouvelle étoile montante de la politique néerlandaise.
- C’est pourquoi mercredi soir, toute la rue de la Loi sera attentive aux développements aux Pays-Bas, et plus encore aux conséquences potentielles en matière de formation de coalition.
- Selon le dernier sondage de Maurice de Hond, le PVV de Geert Wilders, allié de longue date du Vlaams Belang, remonte en tête : Van Grieken et son équipe ont relayé cette nouvelle tout le week-end.
- Wilders a également adouci les aspects les plus tranchants de son programme électoral, comme il l’a clairement exprimé dans Nieuwsuur sur la NOS : « Notre position sur l’Islam est dans notre ADN, ça ne changera pas. Mais les grands problèmes ne concernent pas seulement l’asile, mais aussi la santé, ou le manque d’argent dans les portefeuilles. Et si nous sommes invités à la table des négociations, ce que je crois, ce seront nos priorités. »
- Les Pays-Bas ont déjà expérimenté une coalition incluant l’extrême droite en 2010, lorsque Mark Rutte (VVD) a formé son premier gouvernement avec le soutien du PVV. Cette expérience s’est terminée de façon chaotique, avec une défaite électorale pour le PVV qui a été exclu des nouvelles coalitions.
- Plus de 10 ans après, le scénario semble se répéter. Dès l’été dernier, le PVV a rejoint le gouvernement provincial de Flevoland, faisant de grandes concessions par rapport à son programme, mais surtout, ni le VVD ni le NSC d’Omtzigt n’ont opposé de veto au PVV. Le BBB ne s’y est pas opposé non plus depuis longtemps. La porte est donc ouverte des deux côtés.
- En outre, Omtzigt pousse même pour un nouveau scénario de gouvernement minoritaire. « Nous sommes prêts à aller au-delà de nos propres limites », réitère Wilders. « Nous sommes prêts à faire des concessions. »
- Au Vlaams Belang, on ne souhaite pas anticiper les événements. Mais « cela fait partie d’une tendance plus large à travers l’Europe », analyse la direction du parti, citant le Danemark, l’Estonie, la Finlande, l’Italie, la Pologne, la Hongrie… comme exemples de pays où l’extrême droite a rejoint des coalitions.
- Et dans l’entourage de Van Grieken, on souligne subtilement qu’une victoire de Wilders, suivie d’une participation à une coalition, « influencera surtout la N-VA ». C’est précisément le genre d’opportunité que le Vlaams Belang espère saisir.
- Au niveau fédéral, une participation du Vlaams Belang semble impossible, car les partis du sud du pays appliquent un cordon sanitaire très stricte vis-à-vis de l’extrême droite. Mais une participation du Belang en Flandre aurait une influence. Car plusieurs compétences sont partagées. Pensons par exemple au climat : la ministre Zakia Khattabi (Ecolo) a déjà bien du mal à trouver un accord avec la N-VA pour mettre en place une politique climatique au niveau belge et adopter une position commune à l’international.
- En outre, mais c’est aussi vrai pour le PTB, le nombre de sièges que pourraient récolter les extrêmes rend la mise en place d’une coalition fédérale plus compliquée, obligeant un plus grand nombres d’acteurs aux idéologies différentes à se mettre ensemble. En conséquence, les décisions politiques franches deviennent impossibles à mettre en place. La Vivaldi l’a bien démontré ces dernières années