Martin Ruby, responsable de la politique pour le Benelux et la Scandinavie chez Facebook, était auditionné en commission de la Chambre ce mardi. On débriefe tout cela avec le parlementaire Gilles Vanden Burre (Ecolo), président du groupe de travail ‘agenda robonumérique’.
Le comité présidé par Gilles Vanden Burre (Ecolo) effectue actuellement une série d’auditions sur le thème des discours haineux, des fake news et de la publicité électorale sur les réseaux sociaux et le Net de manière plus générale. C’est dans ce contexte que Martin Ruby était présent, en visioconférence, à la Chambre et qu’il a répondu aux questions des parlementaires présents. Le groupe de travail s’est fixé pour objectif de parvenir à élaborer un texte législatif sur le sujet pour le mois de septembre.
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‘Des pistes se dégagent’
‘Il y a déjà des pistes qui se dégagent’, nous explique Gilles Vanden Burre. ‘La loi allemande, dite NetzDG, est une source de potentielle inspiration pour nous en Belgique, même si elle va très loin. Elle impose notamment aux plateformes de retirer les contenus haineux sous 24 heures, et les autres contenus problématiques endéans la semaine. Nous recevons d’ailleurs en septembre un représentant de l’Allemagne pour qu’il nous explique cette loi plus en détail. La députée française Laeticia Avia, qui a élaboré un texte de loi assez similaire, et qui allait même encore plus loin, sera également invitée.’ Le texte a toutefois été récemment recalé par la Cour constitutionnelle en France.
Des législations sur les discours haineux commencent donc à voir le jour en Europe, mais celles-ci ne sont pas forcément au goût des plateformes qui estiment qu’elles vont trop loin et qu’elles les obligent à supprimer trop de contenus. ‘Pour reprendre l’analogie du représentant de Facebook, les plateformes sont obligées d’enlever ‘à la grosse louche’, ce qui selon elles pose des problèmes par rapport à la liberté d’expression’, explique le député vert.
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Modifier la Constitution
Pour tenter d’enrayer la haine en ligne, Ecolo formule plusieurs propositions d’action politique à propos desquelles le parti écologiste espère pouvoir débattre prochainement avec les autres groupes politiques:
- Traiter toutes les procédures contre les discours de haine devant le tribunal correctionnel, et modifier la Constitution en ce sens. À l’heure actuelle, seuls les messages à caractère racistes ou xénophobes sont traités en correctionnelle. Les messages de haine liés à l’homophobie, à la discrimination religieuse, au handicap, etc. relèvent de la Cour d’assises, une procédure complexe et onéreuse. Ce qui signifie que dans la pratique, ils ne sont jamais poursuivis.
- Obliger les plateformes numériques à rendre compte régulièrement des signalements de discours de haine auxquels elles ont donné suite et communiquer de manière transparente sur le déroulement de leur processus de modération. ‘Il faut exiger de la part des plateformes un reporting très précis, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle’, estime Gilles Vanden Burre. ‘Savoir pourquoi elles ont retiré des contenus? En quelle quantité? Est-ce que c’est en augmentation? Les messages de haine proviennent souvent des mêmes groupes spécifiques? Etc. Bref, il faut de la transparence pour pouvoir comprendre et agir.’
- Et enfin, contraindre les plateformes à retirer tout contenu punissable dans les 24h.
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‘Une bonne comm’ en ligne peut faire gagner des scrutins’
Un autre volet de la réflexion entreprise par le groupe de travail ‘agenda robonumérique’ porte sur la publicité électorale sur les réseaux sociaux.
‘Tout le monde se rend compte du moyen que sont en train de devenir les réseaux sociaux et de leur impact majeur sur les élections dans les démocraties. Et qu’avoir une bonne comm’ en ligne peut faire gagner des scrutins’, affirme Gilles Vanden Burre. Cette importance accrue se reflète dans les dépenses des partis pour de la publicité sur les réseaux sociaux, et sur Facebook en premier lieu. Rien qu’au mois de mai, le Vlaams Belang a par exemple dépensé 107.347 euros en pubs sur le réseau social de Marc Zuckerberg, affirme Ecolo, sur base des chiffres de Facebook. Et son président, Tom Van Grieken, 18.795 euros. La NVA a dépensé ces 30 derniers jours 37.836 euros. Le PTB-PVDA, plus de 50.000 euros sous différentes appellations. Et la liste s’allonge.
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‘Un terrain de jeu ultra favorable aux partis populistes et racistes’
Tous les partis en profitent mais ‘les partis les plus populistes, les plus haineux, les plus racistes en profitent allègrement, car il y a actuellement très peu de filtres par rapport aux messages qui y sont diffusés’, estime encore le parlementaire Ecolo. ‘Si c’est ouvertement raciste, les publicités seront retirées. Mais à côté de cela, il y a toutes les zones grises, comme les fakes news sur l’immigration, etc. Bref, la campagne du Vlaams Belang lors des dernières élections. Tout cela n’est pas possible en télévision, radio ou dans les journaux, mais les réseaux sociaux bien. C’est donc un terrain de jeu ultra favorable aux partis populistes et racistes.’
Gilles Vanden Burre concède que la situation s’améliore quelque peu, notamment grâce aux chartes éthiques qui commencent à être mises en place par les plateformes. ‘Mais je préfère une législation, plutôt qu’une charte’, défend-il. ‘Sinon, nous serons entre les mains des GAFAM pour siffler les règles. C’est pour ça qu’il est fondamental d’établir assez rapidement des règles en la matière.’
Âge minimum et plafond de dépenses?
Facebook s’apprête également à mettre en place, aux États-Unis dans un premier temps, une option dans les paramètres afin que l’utilisateur puisse bloquer les publicités politiques.
‘Martin Ruby nous l’a confirmé’, se félicite Gilles Vanden Burre. Mais Ecolo aimerait aller plus loin et propose pour cela plusieurs pistes de réflexion:
- Un âge minimum: ‘Actuellement, l’âge minimum fixé par Facebook pour avoir un compte est de 13 ans. Mais selon nous, il n’est pas concevable qu’un jeune de cet âge puisse être inondé de publicités politiques, en particulier du Vlaams Belang, c’est-à-dire des messages racistes et populistes. Nous pensons que 16 ans serait un bon équilibre.’
- Ecolo plaide également pour système de plainte plus efficace afin que l’utilisateur puisse plus facilement signaler les abus.
- Plafond de dépenses: ‘Le débat s’annonce compliqué, mais nous pensons qu’il faudrait pouvoir en discuter. Il existe bien des plafonds concernant le financement des partis. Nous pourrions imaginer un montant maximal absolu, un pourcentage de la dotation, etc.’
- Groupe tiers: Enfin, Ecolo plaide pour des règles plus strictes concernant les acteurs tiers qui véhiculent des idées depuis l’extérieur du pays. ‘Il faudrait un cadre, et certainement en période électorale. Par exemple, on pourrait imaginer que durant cette période, les messages à caractère politique ne puissent être envoyés que par les partis politiques. On pourrait imaginer un système d’inscription dans le pays, etc.’
‘Pas brimer la liberté d’expression, mais encadrer le débat démocratique’
Gilles Vanden Burre ne nie pas l’intérêt des réseaux sociaux pour la politique, en particulier dans les pays non-démocratiques. ’Mais soyons de bons comptes, dans nos pays, les démocraties occidentales, les règles ou plutôt les non-règles favorisent les pays extrémistes.’
Et le parlementaire de conclure: ‘Démocratiquement, il faut se saisir de ce sujet, pas pour bâillonner, mais pour cadrer. Pas pour brimer la liberté d’expression, mais pour encadrer le débat démocratique sur les réseaux sociaux. C’est ça l’enjeu aujourd’hui.’