La situation alimentaire mondiale n’a pas viré à la crise biblique, mais elle reste des plus tendues. Car la production des engrais, aussi stratégiques que le pétrole ou le gaz, reste concentrée dans les mains d’un trio de pays peu accommodants, et qui semblent bien vouloir profiter de la situation.
Après le gaz en 2022, voici le plus gros risque qui pèse sur 2023
Pourquoi est-ce important ?
En cas de crise d'approvisionnement, la mondialisation exacerbée peut devenir un fléau. On l'a vu en 2020 avec les médicaments les plus utilisés venus de Chine, puis en 2021 avec les puces électroniques, et puis encore en 2022 avec le gaz et le pétrole de Russie. Et la pire des pénuries, celle de nourriture, reste une des menaces les plus graves qui planent sur 2023.Dans l’actualité : la situation de l’approvisionnement alimentaire mondial reste des plus fragiles : selon le Fonds monétaire international, 48 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine sont sous la menace d’une hausse drastique du prix des denrées alimentaires de base. Une situation largement aggravée par la guerre en Ukraine, mais aussi les sanctions à l’égard de la Russie et de la Biélorussie.
L’engrais : un marché à 250 milliards de dollars
- Les perturbations sur les exportations de céréales cultivées en Ukraine dues à la guerre jouent un rôle dans cette situation. En théorie, les Russes sont censés respecter les accords pour la circulation de ces denrées essentielles pour la sécurité alimentaire mondiale, mais dans les faits, un nouveau retournement de veste reste possible, ce qui ne rassure pas les compagnies de fret. En outre, de nombreux champs ont été rendus impraticables par les combats, ce qui ne présage rien de bon pour les prochaines récoltes.
- Plus graves à moyen terme sont les perturbations sur le commerce des engrais, dont les plus grands producteurs et exportateurs sont la Russie et son alliée la Biélorussie, grande productrice de potasse. Ces deux pays fournissent à eux seuls près d’un quart de tous les éléments nutritifs des cultures mondiales, et la Chine arrive en troisième position. Une véritable dépendance stratégique, qui s’avère vitale pour de nombreuses populations, car sans engrais, pas de récoltes suffisantes pour maintenir des prix bas.
- La Banque africaine de développement a prévenu que la réduction de l’utilisation des engrais risquait d’entraîner une baisse de 20 % de la production alimentaire, et qu’elle frappera en particulier les petits producteurs des pays défavorisés.
« Les Russes des sauveurs, les Occidentaux des affameurs »
« Le rôle des engrais est aussi important que celui des semences pour la sécurité alimentaire du pays. Si votre estomac est plein, alors vous pouvez défendre votre maison, vous pouvez défendre vos frontières, vous pouvez défendre votre économie. »
Udai Shanker Awasthi, directeur général de l’Indian Farmers Fertiliser Cooperative, auprès de Bloomberg
Une situation que la Russie ne va pas manquer d’utiliser à son profit. Alors que les accords sur la libre-circulation des céréales concernent aussi les engrais, et que des cargaisons russes bloquées aux Pays-Bas et en Belgique ont finalement pu être exportées, le régime compte bien mettre en scène ces « dons » à des pays dans le besoin, en particulier en Afrique.
- Bloomberg cite le cas du Malawi, où le groupe russe Uralchem-Urakali cède depuis février des cargaisons qui étaient en fait jusqu’ici bloquées dans l’UE dans l’attente d’un accord. Une manière bien pratique de présenter les Russes comme des sauveurs, et les Occidentaux comme des affameurs. Alors que techniquement, c’est la Russie qui a d’abord perturbé l’approvisionnement mondial en céréales en attaquant l’Ukraine, l’un des greniers à blé du monde.
- De son côté, la Chine limite ses propres exportations afin d’assurer avant tout son approvisionnement interne, ce qui contribue à maintenir des prix élevés. Un refus d’exporter qui pourrait se maintenir sur la première moitié de l’année à venir.
La quête d’alternatives
Si les engrais chimiques – une production très polluante, au passage – des Russes, Biélorusses, et Chinois, n’arrivent plus qu’au compte-gouttes sur le marché, il va falloir leur trouver des alternatives. Une situation qui n’est guère différente de la crise de l’énergie, en somme.
- L’une des pistes les plus évidentes est de retourner aux méthodes pré-industrielles, et d’utiliser nos déchets biodégradables capables de faire de bons fertilisants. Et en premier lieu les excréments humains, une matière première dont nous ne manquerons jamais, nulle part sur la planète. Une alternative qui suscite toutefois quelques inquiétudes sur un risque de contamination via notre usage de médicaments – et quelques réticences culturelles.
- Plus classiquement, le monde va probablement se trouver de nouvelles sources privilégiées d’approvisionnement. Un rôle que le Maroc occupe partiellement en Afrique, alors que le royaume couvrait déjà 40% des importations de phosphate de l’Europe avant la guerre.
- Le Moyen-Orient et l’Afrique du Sud peuvent fournir du phosphate, tandis que le Canada et l’Algérie possèdent de l’ammoniac en suffisance.