Ces dernières semaines, de nombreux médias se sont esbaudis de la décision japonaise de rejeter – durant l’été, mais à une date qui n’a pas encore été décrétée – l’eau qui a servi à refroidir le réacteur depuis la catastrophe de 2011. Mais cette décision ne sort pas de nulle part : l’enjeu est sur la table depuis des années.
Zoom arrière : 11 mars 2011, la centrale nucléaire de Fukushima est frappée par un tremblement de terre, puis par un tsunami qui se répand jusqu’à dix kilomètres à l’intérieur des terres. Cela met hors service les systèmes assurant le refroidissement des réacteurs et des piscines de stockage du combustible irradié, ce qui entraîne la fusion des cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 ainsi que la surchauffe de la piscine de désactivation du réacteur 4. C’est la seconde catastrophe de centrale nucléaire de l’histoire classée au niveau 7, le plus élevé. L’autre, c’était Tchernobyl.
- Pour éviter toute réaction en chaine, Tepco, l’exploitant de la centrale noie les installations à l’eau de mer, ce qui permet d’éviter la surchauffe. Car sans refroidissement électrique, l’eau des cuves à déchets radioactifs avait déjà atteint l’ébullition, rien que par le rayonnement dégagé par les conteneurs.
- Chaque jour, 200 m3 d’eau sont déversés sur la centrale, où cette eau se charge de particules radioactives et s’accumule dans les parties basses des bâtiments et les galeries souterraines.
- Durant la crise, plusieurs fuites massives provoquent des rejets dans l’océan d’eau contaminée. Le gouvernement japonais impose à Tepco le stockage et le traitement de ces eaux.
- Après le 21 mars, le retour progressif de l’électricité permet le refroidissement progressif des installations, et le pire a été évité : le carburant nucléaire n’a pas fondu. Si le couple séisme-tsunami a causé plus de 18.000 morts et disparus, l’accident nucléaire en lui-même n’a provoqué aucun décès identifié causé par la radioactivité dans un rayon de 200 km autour de la centrale. Mais Tepco se retrouve à devoir gérer et traiter plus de 750.000 tonnes d’eau contaminée en mars 2016.
62 des 63 isotopes radioactifs éliminés
Zoom avant : l’enjeu de la gestion de l’eau. En 2019, un million de m3 d’eau sont stockés à Fukushima, mais selon l’exploitant du site, celui-ci allait atteindre sa capacité maximale en 2022 car des eaux souterraines s’y infiltrent encore. Une décision qui suscite un vif débat. Pourtant, cette eau n’a plus rien à voir avec celle, contaminée, de 2011. Ni donc avec les rejets accidentels précédents.
- Depuis 2014, Tepco a fait installer des usines de traitement des eaux capables de retirer 62 des 63 éléments radioactifs retrouvés dans l’eau pompée dans les réacteurs. Il ne reste que le tritium, un isotope de l’hydrogène, et dans des concentrations inférieures aux limites légales japonaises.
- Toutes les autres centrales nucléaires de la région en rejettent aussi, mais ce qui fait peur au grand public, c’est la quantité que cela représente d’un coup. Au Japon et dans les pays voisins, c’est l’opinion publique en général et les pécheurs en particulier qui s’inquiètent. Vendredi, les autorités douanières chinoises ont annoncé qu’elles interdiraient les importations de produits alimentaires en provenance de dix préfectures japonaises, dont celle de Fukushima, et qu’elles renforceraient les inspections afin de contrôler la présence de substances radioactives.
Pourtant, l’Agence de l’énergie atomique (IAEA) a donné son accord au gouvernement japonais, celui-ci estimant depuis 2019 qu’il n’y avait « pas d’autres options », car il n’y a plus assez d’espace pour confiner l’eau qui est encore pompée du réacteur et qui doit être traitée elle aussi.
Une pratique en fait… Normale
- Le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique Rafael Grossi a fait le déplacement au Japon spécialement pour l’occasion. Il se veut rassurant au micro de CNN : cette est n’est plus dangereuse, et c’est la meilleure chose à faire.
« Nous examinons cette politique de base depuis plus de deux ans. Nous l’avons évaluée à l’aune des normes les plus strictes qui existent. Nous sommes tout à fait sûrs de ce que nous disons et du système que nous avons proposé. […] Lorsque l’on visite Fukushima, il est assez impressionnant, je dirais même inquiétant, de voir tous ces réservoirs, plus d’un million de tonnes d’eau contenant des radionucléides, et d’imaginer qu’ils vont être déversés dans l’océan. Toutes sortes de craintes se manifestent, et il faut les prendre au sérieux, les aborder et les expliquer. C’est pourquoi je suis ici, pour écouter tous ceux qui, de bonne foi, ont des questions, des critiques et des points d’interrogation, et pour y répondre. »
Rafael Grossi auprès de CNN
Ces eaux usées représentent aujourd’hui 1,32 million de tonnes, soit suffisamment pour remplir plus de 500 piscines olympiques. Cela parait énorme, mais on parle d’une dilution dans l’océan Pacifique.
Peur pour le thon
- « Ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’autres méthodes » rappelle Grossi. « Le Japon avait envisagé cinq options au total, dont le rejet d’hydrogène, l’enfouissement sous terre et le rejet de vapeur, qui aurait consisté à faire bouillir les eaux usées et à les rejeter dans l’atmosphère. »
- « Mais toutes ces méthodes présentent des inconnues et des défis techniques ; elles sont « industriellement immatures » selon l’IAEA, tandis que le rejet est simple à mettre en œuvre et « sans danger ».
- Un dernier point sur lequel toutefois il y a d’autres sons de cloche : la Commission canadienne de sûreté nucléaire rappelle que le tritium peut augmenter le risque de cancer s’il est consommé en « quantités extrêmement importantes » D’où les craintes des pécheurs, bien que cette substance soit omniprésente dans notre environnement sans nous causer de dommages. À voir toutefois si ces quantités ne vont pas s’accumuler tout en haut de la chaîne alimentaire, soit dans les poissons dont nous sommes très friands, comme le thon.
- Il reste, il est vrai, des inconnues à long terme sur l’impact sur l’écosystème, mais il convient de se rappeler que les rejets d’eau au tritium font partie de notre industrie nucléaire depuis le début. Si l’on fait tant attention à cette annonce-ci, c’est parce qu’elle est marquée du nom de Fukushima.