« Forteresse Russie » : comment le pays tente de se recréer une normalité toute soviétique malgré les sanctions économiques

Depuis 2014 et l’annexion de la Crimée, la Russie était habituée aux sanctions internationales et avait orienté son économie en conséquence. Une blague connue dans le pays, et basée sur une certaine réalité, consiste à dire que l’Union européenne a ruiné ses cultivateurs (belges, entre autres) en les empêchant d’exporter leurs pommes vers l’est, tandis que les Russes n’ont eu qu’à planter des pommiers. Mais depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine le 24 févier dernier, les sanctions ont pris une ampleur inédite, et le pays doit apprendre à vivre avec.

« L’Occident n’a pas l’intention de revenir sur sa politique de pression économique sur la Russie » a récemment déclaré Vladimir Poutine, pour qui chaque secteur de l’économie russe doit « élaborer un plan à long terme basé sur les opportunités internes. » Le président semble percevoir son pays comme la « Forteresse Russie » assiégée, qui ne doit aucunement dépendre de l’extérieur. Et pour parvenir à ce but, mais aussi maintenir le niveau de vie de sa population en assurant une certaine forme de normalité selon CNN, on voit revenir des réflexes fort soviétiques.

Le Retour de la Lada, en mode « voiture brutale du passé »

Emblématique voiture d’Europe de l’est, la Lada est aussi désuète que réputée increvable, mais depuis l’ouverture du bloc soviétique, les véhicules modernes de la marque sont devenus bien plus dépendants au pièces détachées venues de l’étranger.

Avtovaz, qui produit la Lada, appartient au constructeur automobile français Renault et, selon Evgeny Eskov, rédacteur en chef du journal russe Auto Business Review, les deux entreprises partagent un système unique d’approvisionnement en pièces détachées. Le 24 mars, en réponse à l’annonce du retrait de Renault du marché russe, Avtovaz a révélé qu’elle devait rapidement revoir la conception de plusieurs modèles afin qu’ils soient moins dépendants des composants importés. Eskov a déclaré que les modèles redessinés seront des versions plus simples des voitures actuelles, sans caractéristiques supplémentaires telles que l’ABS. « Des voitures brutales du passé », a-t-il écrit dans un courriel adressé à CNN Business.

Vkontakte, l’Instagram du Kremlin

Vkontakte est un réseau social typiquement russe, mais il n’était « que » le deuxième le plus utilisé dans le pays, après Instagram. Jusqu’à ce que le régulateur russe des communications coupe l’accès à Facebook et Instagram le mois dernier, créant de facto une bulle d’air dont Vkontakte espère bien profiter.

La société renonce à sa commission sur tout contenu monétisé jusqu’à la fin du mois d’avril et offre une promotion gratuite sur la plateforme à tout créateur de contenu ayant quitté une autre plateforme, ou réactivé sa page depuis le 1er mars. Elle a également publié un guide étape par étape pour le lancement d’une entreprise sur Vkontakte. Le nombre d’utilisateurs mensuels a passé le record des 100 millions le mois passé, tandis qu’Instagram a perdu près de la moitié de ses utilisateurs actifs de langue russe.

Mir, le système de carte de crédit national

L’isolation la plus terrible pour un pays est financière ; mais pour rebâtir un semblant de normalité alors que la Russie courait déjà le risque d’un isolement croissant depuis 2014, le gouvernement a mis en place un système national de carte bancaire baptisé Mir. Signifiant à la fois « paix » et « monde » en russe, ce mot fait immanquablement penser à l’ancêtre de la Station spatiale internationale actuelle, mais pour les citoyens de la fédération, c’est devenu un outil du quotidien : selon la banque centrale russe, plus de 113 millions de cartes Mir ont été émises en 2021, contre un total de 1,76 million à la fin de 2016. L’année dernière, environ un quart de tous les paiements par carte en Russie ont été effectués avec des cartes Mir.

Quand Visa et Mastercard ont annoncé début mars qu’ils suspendaient leurs transactions et leurs opérations en Russie, il y avait donc une alternative déjà en place. Mais Mir n’est pas une solution de remplacement directe. Elle ne fonctionne qu’en Russie et dans une poignée d’autres pays, principalement les anciens États soviétiques.

Le secteur public pour absorber les emplois perdus

La ville de Moscou tente d’anticiper le problème potentiel du chômage avec un programme de reconversion et d’embauche de personnes qui travaillaient dans des entreprises occidentales, dont beaucoup ont suspendu ou arrêté leurs activités en Russie. Le maire de Moscou, Sergey Sobyanin, estime que jusqu’à 200.000 emplois sont menacés.

La solution, selon un récent article publié sur son blog, consiste à donner aux travailleurs laissés pour compte quelque chose « d’utile » à faire. Parmi les options qu’il présente, citons les emplois liés à la gestion des documents officiels tels que les passeports et les certificats de naissance, le travail dans l’un des parcs de la ville ou dans les centres de santé temporaires que la ville a récemment commencé à mettre en place. Une enveloppe de 41 millions de dollars est prévue pour créer ces emplois et recycler les travailleurs.

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