Derrière les soupçons autour de la Smals, une problématique plus grande: que fait-on de nos données ?

‘Une fake news de A à Z’. Hier, Le Soir révélait la création dans les cartons de la Smals, le bras informatique de l’Etat, d’un outil pour profiler les Belges. Un croisement de données personnelles et sensibles (santé, fiscalité, justice, économie) sans aucune surveillance ou même mandat de l’Etat. Le principal accusé, Frank Robben, se défend.

Petit rappel des faits. Le Soir, sur base de plusieurs sources, accuse la Smals de préparer un gigantesque outil de profilage des Belges – ‘Putting data at the center’ – qui croiserait nos données privées. Créé sans intention malveillante, cet outil aurait pour but de faciliter l’échange anonyme d’informations. C’est du moins ce que défend le SPF Bosa (Service public fédéral Stratégie et Appui) qui revendique la paternité du projet, sous un autre nom, ‘Smart Data Services’. Le Soir maintient néanmoins ses accusations, estimant que ‘la Smals est bel et bien partie prenante du projet depuis le début’.

Quel est le problème ? La création d’un tel outil n’aurait été pilotée par aucun politique, ni de l’exécutif ni du Parlement. Il n’est en outre pas très difficile d’imaginer les dérives de ce système orwellien qui mènerait à croiser données sensibles et données d’identité.

Pour Frank Robben, le boss de la Smals, déjà soupçonnés de nombreux conflits d’intérêts, les accusations du Soir sont fausses. Le communiqué de la Smals précise: ‘La Smals et Frank Robben déplorent grandement ce reportage mensonger, qui semble destiné à remettre en cause, voire à saper délibérément la confiance de la population dans la gestion de l’information de nos autorités.’

La communiqué ajoute: ‘En réalité, il existe bel et bien un projet baptisé « Putting Data at the Center » au SPF Bosa. Ce projet n’est pas secret. Ni la Smals ni Frank Robben ne sont les initiateurs de ce projet et ne détiennent le contrôle de son déroulement. Selon des informations publiquement disponibles, ce projet n’a en outre nullement l’objectif qui lui est attribué dans l’article du périodique Le Soir.’

Du côté de SPF Bosa, on explique que le projet s’inscrit dans la loi: ‘Le projet d’ouverture des sources authentiques s’inscrit dans le cadre du rôle légal du SPF Bosa en qualité d’intégrateur de services (loi du 15/8/2012 relative à la création et à l’organisation d’un intégrateur de services fédéral). Nous recherchons constamment des moyens sûrs de rendre les données disponibles dans le cadre des dispositions légales et dans le respect des autorisations. Ce projet s’inscrit dans l’approche « Once Only » qui vise la réutilisation maximale des données déjà disponibles.’

Confiance

La Smals touche un point important: ‘La confiance de la population dans la gestion de l’information de nos autorités.’ Le Big data et les données à caractère privé qu’il renferme suscite tous les fantasmes et donc d’énormes craintes. La gestion de nos données ne peut en aucun cas être laissée à des techniciens qui agiraient ‘en roue libre’.

Le sujet brûlant a d’ailleurs été repris politiquement. Le secrétaire d’État à la Digitalisation et à la Simplification administrative, Mathieu Michel (MR), a réagi aux informations du Soir: ‘Je ne permettrai pas de profilage des citoyens. Il est urgent de leur rendre la transparence sur ces données qui leur appartiennent, qui n’appartiennent pas à des fonctionnaires’, a-t-il prévenu pour l’agence Belga. ‘Dans cet esprit, j’ai l’intention de mettre de l’ordre sur la façon dont les données sont gérées, cela veut dire assurer la transparence et permettre aux citoyens de savoir quelles sont les données que l’État détient sur lui et ce qui en est fait, et renforcer le cadre juridique qui entoure ces données. La façon dont les données semblent aujourd’hui accaparées par certains fonctionnaires n’est pas acceptable.’

Que le principal responsable de l’exécutif sur cette matière tienne de tels propos en dit déjà long sur la problématique soulevée. La lumière doit être faite. C’est aussi l’avis de nombreux autres parlementaires (Ecolo, MR, PTB…), surtout du côté francophone, il faut le dire. Du côté du Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD), et du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit), on préfère connaitre tous les tenants et aboutissants de cette affaire avant de se prononcer.

Au-delà du désastre sanitaire, la pandémie aura révélé la fragilité de nos démocraties. Tant pour les libertés individuelles que pour la préservation de nos données personnelles. Le Big Data fait peur, c’est pourquoi il doit être bien entouré, vérifié et expliqué.

L’Autorité de protection des données dit avoir contacté le SPF Bosa ‘afin de recevoir des clarifications sur le projet Smart Data Services’. Autorité dont fait partie, rappelons-le, Frank Robben.

Frank Robben

À la tête de a Smals, le désormais célèbre Frank Robben, l’homme à tous les étages du traitement des données, décrit par Wilfried l’été dernier comme le ‘despote de l’État’. Il connait tout le monde : des pouvoirs publics aux directeurs de l’INAMI et de l’ONSS. Il chapeaute les réunions des directeurs informatiques des différents Services publics fédéraux. Il fait aussi partie de l’Autorité de protection des données ou est encore administrateur de la Banque Carrefour de la sécurité sociale. La carte SIS, c’est lui. La plateforme eHealth qui permet l’échange d’informations entre les acteurs des soins de santé, c’est lui. Depuis le déclenchement de la pandémie, il est aussi membre de la task force ‘Data against corona’. L’ASBL Smals gère d’ailleurs tout ce qui est tracing, testing et base de données de Sciensano. Joli tableau de chasse.

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