Départ russe de la Station spatiale internationale : une menace crédible, ou pas ?

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans les milieux de l’astronomie et de l’ingénierie spatiale, ce mardi : Roscosmos, l’agence spatiale russe, a confirmé le retrait de son pays de la Station spatiale internationale. Iouri Borissov, le tout nouveau directeur de l’agence spatiale russe, en poste depuis le 15 juillet dernier après avoir occupé le poste de vice-président du gouvernement pendant quatre ans, confirmé son intention de se retirer du programme, au sein duquel collaborent l’Europe, les États-Unis, la Russie, le Canada et le Japon, dès 2024.

Voici donc l’épilogue d’une situation tendue qui dure depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et qui fut marquée tant par des gestes d’apaisement de part et d’autre pour continuer à travailler ensemble en orbite, que par les provocations de Dmitri Rogozine, le précédent directeur de Roscosmos, depuis démis de ses fonctions par Vladimir Poutine sans qu’on sache avec certitude si le président russe compte lui confier un nouveau poste. Mais qu’implique exactement cette annonce de retrait de ce programme qui réunissait les puissances spatiales depuis des dizaines d’années ? Et concrètement, quelles seront ses conséquences ?

Plus de Russes après 2024 ?

L’ISS se fait vieille, ce n’est pas un scoop ; or la station, qui devait terminer sa carrière en 2024, a vu son usage prolongé jusqu’en 2030, en accord avec la NASA, l’ESA, et les autres partenaires. Sauf donc la Russie : M. Borissov a assuré que son pays remplira ses obligations jusqu’en 2024, mais pas au delà. Pour John Logsdon, historien de l’espace et analyste politique à l’université George Washington, c’est là un signe de plus que la Russie compte bien (re)prendre son autonomie dans l’espace. « Ce qu’ils veulent nous dire, c’est que la décision russe de ne plus participer à la station d’ici 2024 se confirme » estime-t-il auprès de Space.com.

Pour lui, la Russie compte consacrer son personnel et ses ressources financières au développement d’une station spatiale indépendante, qui ne serrait pas l’instant qu’une première esquisse sur la table à dessin. Mais il ne faut pas faire de la déclaration de Borissov un séisme pour les autres partenaires, pour qui tout ceci n’a rien de nouveau, et qui ont très probablement pris leurs dispositions. « Je veux dire, ce serait un manquement à leur devoir s’ils n’ont rien fait » ajoute Logsdon.

Le divorce, mais sans claquer la porte

Les Russes veulent le divorce donc, mais pour l’instant ils n’ont ni entamé la moindre démarché légale, ni pris de dispositions pour bouger leurs meubles. Bill Nelson, l’administrateur de la NASA, a relevé qu’il n’avait pour l’instant reçu aucune annonce formelle de retrait de la part de Roscosmos. Comme si l’agence russe se gardait bien tout geste trop définitif.

Quant à une séparation complète des parties russes de l’ISS en vue de servir de premier point d’ancrage à une hypothétique future station nationale, cela relève de la science-fiction, malgré les déclarations en ce sens qu’avait assénées Rogozine en son temps. Si les modules russes comprennent bien les systèmes de propulsion de l’ISS, chaque partie de la station est bien trop interconnectée pour envisager ce genre de départ radical.

En mai dernier, la NASA a souligné que la station spatiale ne peut pas être séparée, physiquement parlant. « Les interdépendances actuelles entre chaque segment de la station empêchent le segment orbital américain et le segment russe de fonctionner indépendamment », a déclaré la NASA, ajoutant qu’une séparation poserait « des défis majeurs en matière de logistique et de sécurité » en raison des difficultés à contrôler le vaisseau spatial, de l’interdépendance des logiciels et des nombreuses connexions entre les segments.

Les autres pays sont prêts à prendre le relais

Selon Logsdon, les manœuvres de propulsion de l’ISS sont dirigées par le contrôle de mission de Moscou, ce qui rendrait difficile pour d’autres partenaires de prendre le relais depuis le segment de contrôle au sol. Toutefois, un vaisseau spatial privé américain Cygnus a effectué le mois dernier la première propulsion américaine de la station spatiale, ce qui montre qu’il existe peut-être une autre voie, même si la puissance de ces engins reste moindre.

En d’autres termes, si le nouveau directeur de Roscosmos marque sa volonté de partir, cela ne pourra se faire que via un divorce à l’amiable afin que tout le monde s’occupe de ses responsabilités jusqu’au bout sans laisser les autres parties dans l’embarras.

Quant à l’échéance de 2024, elle ne veut pas dire grand-chose tant que rien n’est acté ; c’est au mieux une estimation, voire une date lancée un peu au hasard. D’ici-là, beaucoup de choses peuvent se produire, en orbite, comme sur Terre ; à Washington comme au Kremlin.

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