Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a rejoint un groupe de pays d’Europe du Sud et de l’Est. Ensemble, ils se sont fixé pour objectif de contrôler le prix du gaz. Hier, le libéral a rencontré le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, qui est également un fervent partisan de la limitation du marché. La Belgique met sur la table un document informel de l’UE, avec l’idée de bloquer le prix à 120 euros le mégawattheure. Mais l’Allemagne et les Pays-Bas, dont le Premier ministre est libéral, y sont opposés : ils ne peuvent se résoudre à « fausser » le marché. Aujourd’hui, De Croo s’entretient à ce sujet avec le chancelier allemand Olaf Scholz. Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte et le collègue luxembourgeois Xavier Bettel peuvent également s’attendre à un appel téléphonique. Mais l’UE parviendra-t-elle à se faire entendre d’une seule voix jeudi et vendredi ? Tout sauf évident.
Dans l’actualité : “Can I do this in het nederlands?”, demande De Croo à Sánchez, au Lambermont, la résidence officielle belge du Premier ministre, lorsqu’il veut s’expliquer à la presse belge. Sánchez acquiesce et sourit, comme s’il parlait couramment le néerlandais.
Les détails : le Premier ministre belge se sent visiblement à l’aise à côté de « son bon ami » Sánchez : le socialiste espagnol et le libéral belge marchent côte à côte.
- La Belgique mène une offensive diplomatique, au sein de l’UE, pour intervenir sur les marchés de l’énergie. « Les marchés sont devenus irrationnels, et il faut faire quelque chose », a déclaré hier Alexander De Croo, avec Sánchez à ses côtés, lors d’un évènement presse aux portes du Lambermont.
- Le libéral flamand a déjà déclaré la semaine dernière, lors de l’annonce de l’accord sur l’énergie, qu’il « croyait au marché, en tant que libéral », mais que les choses ne pouvaient continuer ainsi. « Lorsque le marché ne fonctionne pas, il faut intervenir et travailler avec des plafonds sur les prix du gaz, par exemple. »
- S’en est suivi, hier, tout un plaidoyer sur le rôle de l’État, de l’UE, pour intervenir. « Si nous constatons que les marchés de l’énergie sont devenus complètement irrationnels, alors nous ne devons pas surpayer chaque jour qui passe, mais intervenir. Vous ne pouvez pas le faire seul en tant que pays. Si nous travaillons ensemble, nous le pouvons », a déclaré De Croo. Le socialiste Sánchez a tout entendu, avec le sourire, même s’il ne comprend pas un mot de néerlandais, bien sûr.
Le contexte : un vent d’Europe du Sud et de l’Est souffle sur l’Europe, voulant intervenir sur le marché de l’énergie.
- C’est sa ministre de l’énergie Tinne Van der Straeten (Groen) qui, il y a quelques semaines, menait déjà le forcing en Europe, au Conseil des ministres européens de l’Énergie. Mais là, l’initiative est tombée comme un cheveu dans la soupe : seule la Grèce semblait soutenir le projet belge d’introduire un prix maximum au niveau européen.
- Aujourd’hui, un certain nombre d’acteurs majeurs de l’UE semblent prendre la proposition au sérieux. Ce n’est pas un hasard si l’Espagne est un allié important dans ce domaine. La coalition espagnole, très à gauche, a déjà pris des mesures fermes sur son propre marché de l’énergie : les surprofits des principaux acteurs du secteur de l’énergie ont été frappés de lourdes taxes supplémentaires pour financer les réductions de prix.
- C’est Sánchez et le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis qui sont passés les premiers à l’offensive : et ils ont mis l’Italie et le Portugal, ainsi que, discrètement, la France de leur côté. Ce n’est pas une coïncidence si les pays dits du Club Med poussent : ils ont toujours été plus favorables à l’interventionnisme sur le marché, l’État est autorisé à avoir son mot à dire selon eux.
- Sánchez effectue une tournée européenne pour convaincre le plus grand nombre possible de dirigeants de l’UE d’ici jeudi et le sommet européen : il faut découpler le prix du gaz et de l’électricité et fixer un plafond solide.
- Mais cette fois-ci, la pression ne vient pas seulement du sud ; le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a également soutenu une forme d’intervention sur le marché. En Europe de l’Est, les citoyens croulent de plus en plus sous la pression des prix de l’énergie. Dans certains pays, l’impact sur le prix du carburant est même plus important qu’en Europe occidentale. La part du budget destinée à l’énergie étant plus importante.
Concrètement: la Belgique met un document informel sur la table, en guise de compromis.
- « De Croo, en tant que libéral et en tant que Premier ministre du pays le plus ‘nordique’ de cette coalition bigarrée, est peut-être le mieux placé pour trouver un compromis plus tard, au sein de l’UE. Parce que tout le monde veut faire quelque chose à propos des prix et chacun se rend au sommet de l’UE en grande pompe, mais il faut que quelque chose de concret », déclare un diplomate européen.
- La résistance dans un certain nombre de pays d’Europe du Nord est considérable, les Scandinaves et les États baltes, mais surtout les Pays-Bas, sont opposés à ce projet : imposer des prix maximums pourrait bien se retourner contre l’Europe et l’exclure du marché.
- L‘Allemagne aussi a des réserves : elle ne veut pas renoncer à l’ensemble du système européen actuel, dans lequel les prix du gaz sont également liés aux prix de l’électricité. Car c’est, selon eux, la meilleure garantie pour les producteurs d’électricité en Europe de ne pas faire faillite en cas de fluctuations importantes des prix.
- La Belgique et sa coalition de centre-gauche de la Vivaldi a donc présenté un document informel (« non-paper »), une proposition qui pourrait être approuvée par un certain nombre de pays. Politico a pu y jeter un coup d’oeil. Que propose De Croo ?
- Un plafond strict et temporaire pour les prix de gros du gaz à 120 euros par mégawattheure. Ce plafond serait lié aux marchés américain et asiatique, afin de ne pas se priver du marché.
- Achats groupés de gaz pour l’ensemble de l’UE, comme cela a été fait pour les vaccins contre le covid, afin de peser plus dans les négociations et de remplir 90% des stocks de gaz d’ici septembre. En vue de l’hiver prochain.
- De facto, De Croo proposera de découpler le prix du gaz de celui de l’électricité. La question est donc de savoir si la Belgique parviendra à faire passer son projet lors du sommet européen de jeudi et vendredi. Ce sera un véritable thriller. Qui paiera les achats groupés ? L’UE ou les États membres ? Une question sans réponse pour le moment: il a d’abord été question d’un nouveau plan de sauvetage de l’UE comme pour faire face à la crise sanitaire, mais ces plans semblent politiquement irréalisables. Les pays « frugaux » du Nord n’aiment vraiment pas contracter de nouvelles dettes européennes.
La réalité du marché : les pays européens se précipitent pour conclure des accords, chacun de leur côté. Et ces accord ne sont pas toujours très « propres ».
- L’UE peut faire autant de plans qu’elle veut, dans la pratique, il s’agit de trouver de nouveaux fournisseurs maintenant que l’approvisionnement en Russie est rejeté. Dans ce sens, une annonce allemande a été très importante. Lors d’un voyage au Moyen-Orient, le ministre allemand de l’Économie Robert Habeck a annoncé à Doha qu’il avait conclu un accord avec les Qataris pour fournir du gaz à l’Allemagne à long terme. L’Allemagne construit actuellement deux terminaux GNL flambant neufs (comme celui de Zeebruges) pour importer du gaz par la mer.
- Cela a immédiatement fait baisser les prix. Alors qu’ils ont culminé à 345 euros par mégawattheure il y a quelques semaines, ils sont maintenant tombés à un peu moins de 100 euros. Avec une baisse 6 % dans les dernières 24 heures. Les Allemands et les Qataris peuvent donc déjà faire beaucoup, par eux-mêmes.
- Il y a de fortes chances pour que d’autres pays de l’UE trouvent bientôt leur voie. Car la pression reste forte pour faire encore plus mal à la Russie en se passant de ses énergies fossiles. Sur le pétrole, moins sensible que le gaz, la pression s’intensifie à l’approche du sommet. Immédiatement, le prix du baril de pétrole brut a rebondi ce matin à 115 dollars, soit 7 dollars de plus en une journée.
- D’autres « accords » sont en préparation : ce n’est pas un hasard si les contacts diplomatiques avec l’Iran sont nombreux. Si un nouvel accord nucléaire peut être conclu, l’Iran pourra à nouveau vendre son pétrole sur le marché mondial. La Russie serait alors soigneusement échangée contre ce fournisseur réhabilité.
- Et l’Espagne est en train de prendre des contacts avec l’Algérie, car ce pays est aussi un grand fournisseur de gaz. Mais cela entraîne des tensions avec le Maroc : ils se chamaillent avec l’Algérie au sujet du Sahara occidental, une région qui aspire à l’indépendance mais qui est sous contrôle marocain. Le pétrole et le gaz sont toujours mêlés à un côté sombre.
À suivre également : Joe Biden se joint aux dirigeants européens. « Sleepy Joe » va-t-il y passer la nuit ?
- Ça doit piquer un peu : Boris Johnson, le Premier ministre britannique, n’est pas le bienvenu à l’UE, au sommet européen des chefs de gouvernement, jeudi et vendredi. Johnson vient à Bruxelles pour le sommet de l’OTAN et le G7, mais pour l’UE, il n’a reçu aucune invitation. Le fait qu’il compare le « combat des Ukrainiens pour la liberté » avec « le combat des Britanniques pour la liberté pendant le Brexit » n’a pas été apprécié à Bruxelles. Johnson reste persona non grata au sein de l’UE.
- Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, ne participera pas non plus au sommet européen. Mais Trudeau aura son moment de gloire avec l’UE : il peut s’adresser au Parlement européen, ce qui est tout à fait dans les cordes du Canadien.
- Et puis il y a l’arrivée de « Sleepy Joe », le président américain de 79 ans, qui participera au Conseil européen, une première absolue. Cela suscite quelques sourires: doit-il vraiment assister à ce genre de réunions marathoniennes de l’UE ? Parce que les dirigeants européens ont l’habitude de se réunir pendant des heures pour discuter de questions épineuses. Mais avec le décalage horaire dans les jambes, et à un âge avancé, ce ne sera pas facile pour le président américain.
- Parce qu’il y a des questions cruciales à l’ordre du jour. Non seulement l’énergie, mais aussi la question de savoir si l’Ukraine peut désormais devenir membre de l’UE. À Versailles, lors d’un autre sommet de l’UE il y a une quinzaine de jours, la question a été soigneusement noyée dans un compromis, et mise au placard. Mais toute une liste de pays d’Europe orientale fait à nouveau pression, remettant la question à l’ordre du jour.
- Et il reste aussi la question des réfugiés. De nouveaux chiffres parlent déjà de 10 millions d’Ukrainiens en fuite : 3,5 millions de personnes sont déjà dans l’UE, mais 6,5 millions d’autres se trouvent dans l’ouest du pays, autour de Lviv et d’autres villes qui ne subissent pas encore la pression des Russes.
- La question est de savoir combien de temps les Ukrainiens pourront tenir et si le pays ne devrait pas également entrer dans l’UE. La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a formulé une proposition ambitieuse : un pont aérien pour amener ces millions de réfugiés en Europe (occidentale). Avec beaucoup de volontarisme, la ministre allemande veut faire passer le projet, la question est de savoir si l’UE suivra.
- La probabilité que le sommet dure des heures, traditionnellement après le dîner, est très élevée : il n’y a pas de consensus sur de nombreux dossiers. C’est un bon contexte pour Biden, qui voit de l’intérieur la salle des machines turbulente de l’UE.
- Dans le même temps, l’UE peut faire un grand pas : cette semaine, un autre tabou a été brisé. L’UE va enfin mettre en place sa propre « force de réaction rapide ». Jusqu’à 5 000 soldats, qui seront immédiatement prêts à être déployés par l’UE partout dans le monde. De cette manière, le club se transforme en un véritable acteur géopolitique qui peut montrer les dents. Pour Biden, c’est très bien : les Européens font leur part du boulot.