Éric Trappier, le grand patron de Dassault Aviation, recadre notre ministre de la Défense, qui défend bec et ongles l’entrée de la Belgique dans le projet SCAF, le fameux « Système de combat aérien du futur » franco-germano-espagnol. Pas si facile de se dire membre d’un club très sélect.
« La Belgique compte-t-elle un jour acheter des avions de combat non-américains ? »
Les mots d’Éric Trappier : « On ne peut pas s’autoproclamer partenaire. Le statut d’observateur est celui qui a été décidé. Après je sais que la Belgique souhaite faire travailler au plus vite ses industriels. [Mais] on ne fait pas un SCAF pour faire travailler des industriels. C’est d’abord un besoin des forces armées et nos pays comptent acheter ces appareils. La Belgique compte-t-elle un jour acheter des avions de combat non-américains ? Je n’ai pas entendu de réponse des autorités belges. En trente ans, ils ne l’ont jamais fait. »
La Belgique en quatrième roue de l’avion
Le contexte : la ministre belge de la Défense avait annoncé en juin dernier un rôle d’observateur pour notre pays dans le cadre du SCAF. Ce programme, mené conjointement par l’Espagne, la France et l’Allemagne, doit mettre au point un ensemble de systèmes d’armes aériens interconnectés, avec un nouvel avion de combat et un logiciel commun à tous les appareils de l’UE.
- Un programme qui est loin d’avancer comme prévu : les retards s’accumulent et le budget, lui, décolle. En outre, les partenaires ne semblent pas tous sur la même longueur d’onde. La France, Dassault en tête, veut tirer à elle les étapes industrielles et les emplois qui vont avec. Tandis que des rumeurs font état des doutes des Allemands, qui seraient tentés de sauter en marche.
- L’arrivée d’un quatrième larron belge avait suscité des remous chez Dassault, notre pays n’achetant pas français, mais plutôt américain. Mais d’autres partenaires, comme Airbus, soulignaient toutefois la qualité de notre expertise en matière de MRO [Maintenance, Repair and Overhaul]. De même, la diplomatie française soulignait récemment que finalement, le voisin du nord pouvait être le bienvenu. À supposer bien sûr que nous nous engagions à acheter l’avion fini.
Bombe américaine pour avion américain
Sauf que fin novembre, coup de théâtre : Dedonder annonce, via un court message posté sur le réseau social LinkedIn, que le royaume aura un statut d’observateur officiel, puis « intégrera officiellement » le programme SCAF comme membre à part entière « en juin 2025 ». D’où la réaction outrée de Trappier, qui fulmine de voir la ministre belge faire entrer son pays par la petite porte à la surprise générale. Y compris d’ailleurs de son propre gouvernement, car le sujet n’a pas été réellement porté sur la scène politique.
- On nuancera toutefois les arguments de l’industriel français : il n’est pas juste de dire que notre composante aérienne n’a volé que sur du matériel américain. Nous avons d’ailleurs été clients d’appareils tricolores, dont le Mirage 5 de chez Dassault, aujourd’hui toutefois retiré du service.
- Ce qui ne lui passe pas, c’est notre décision d’adopter le F-35 américain avant même que cet avion ne fasse vraiment ses preuves, plutôt que de favoriser un constructeur européen – et donc vraisemblablement français.
- Mais c’est le choix qu’a fait la majorité de l’UE ces dernières années. Y compris d’ailleurs Berlin, mais aussi Madrid, ce qui donne l’impression qu’à Paris, on est seul à croire réellement à l’avenir du programme SCAF.
- Un choix dont on peut discuter, mais qui est lié chez nous à l’exigence d’avoir un appareil compatible avec la puissance nucléaire de l’OTAN – en particulier la bombe de nouvelle génération B61-12 de 50 kilotonnes, qui ne peut pas être emportée par n’importe quel appareil. Nos anciens F-16 étaient sur la liste ; le F-35 est donc le remplacement logique, pour que nous puissions accomplir toutes nos missions dans le cadre de l’OTAN. Quand bien même ce n’est pas la Belgique qui choisirait d’employer un tel engin. Mais leur présence sur nos bases aériennes tient du secret de polichinelle.
- Dans ce contexte, un engagement belge à acheter autre chose que du matériel américain – même après la durée de service des F-35 qu’on attend encore – est quand même difficile à considérer comme 100% fiable.