Depuis la première vague de sanctions en 2014, suite à l’annexion de la Crimée, la Russie a amassé 640 milliards de dollars en or et en devises étrangères. Les nouvelles sanctions occidentales la privent de la moitié de ces réserves. Pour contourner le problème, Moscou compte sur Pékin.
« Je pense que notre partenariat avec la Chine nous permettra toujours de maintenir la coopération que nous avons obtenue, et non seulement de la maintenir, mais aussi de l’accroître dans un environnement où les marchés occidentaux se ferment », ce sont les dernières déclarations du ministre russe des Finances, Anton Siluanov.
Entretemps, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Jake Sullivan, a prévenu Pékin: « Une intervention directe de la Chine en termes d’évasion ou de soutien à la Russie aura des conséquences ». Lundi, des diplomates américains et chinois se sont rencontrés pour des discussions qui auront duré 7 heures, rapporte CNBC.
La Chine s’en défend: « Nous ne faisons pas partie de la crise, mais nous ne voulons pas que les sanctions affectent la Chine. Nous nous donnons le droit de sauvegarder nos droits et nos intérêts légitimes », a déclaré dans la foulée le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi.
Alors que la Russie est au bord du défaut de paiement de sa dette souveraine, dans quelle mesure peut-elle faire appel à la Chine ?
Les pour et les contre
Dans les faits, si la Chine acceptait le rouble comme moyen de paiement pour tout ce que la Russie a besoin d’acheter – semi-conducteurs, pièces détachées nécessaires aux technologies – elle contournerait les sanctions occidentales.
- Mais la question est de savoir si la Chine a un réel intérêt à le faire. Comme nous l’avons déjà écrit, la deuxième économie mondiale est le premier partenaire commercial de la Russie, et représente 16% de son commerce extérieur. L’inverse est beaucoup moins vrai: le commerce entre les deux pays ne représente que 2% du volume total des échanges chinois. L’Europe et les États-Unis sont des partenaires beaucoup plus importants pour la Chine.
- En outre, la Chine n’est pas dans sa meilleure période sur le plan économique et fait face à 9 défis majeurs. Ses prévisions de croissance sont en baisse, l’inflation en hausse, et le retour du Covid-19 confine des villes entières de plusieurs millions d’habitants, dont la très lucrative Silicon Valley chinoise.
- D’un autre côté, Moscou et Pékin se sont rapprochés ces dernières années et ont même annoncé un partenariat stratégique « sans limites », juste avant l’invasion. Ce rapprochement est le résultat d’une guerre économique enclenchée par Donald Trump et poursuivie par Joe Biden. La Chine ne peut compter uniquement sur les Occidentaux.
« Quel que soit le péril du paysage international, nous maintiendrons notre orientation stratégique et promouvrons le développement d’un partenariat global Chine-Russie dans la nouvelle ère », a déclaré Wang depuis Pékin le 7 mars dernier.
Ce partenariat se matérialise bien sûr par le transport de combustibles depuis la Russie vers la Chine, avec la construction d’un nouveau pipeline et un accord de plusieurs dizaines de milliards de dollars.
Avec l’intention de l’Europe de se passer de deux tiers des importations de gaz russe d’ici l’année prochaine, la Russie n’a pas le choix et doit trouver des alternatives. Il y a aussi la volonté de Pékin et de Moscou de contourner le système interbancaire Swift par leur propre outil, le Cips, même si celui-ci reste pour l’heure très peu convaincant.
La bataille dollar-yuan
Des sanctions occidentales qui toucheraient la Chine auraient beaucoup plus de répercussions dans le monde que pour la Russie. La Chine est la 2e puissance économique mondiale et le coeur de la chaine d’approvisionnement. Sa perturbation durant la pandémie – que nous subissons toujours – nous indique combien l’Empire du Milieu est un rouage essentiel de l’économie mondialisée. Cela joue bien sûr en faveur de la Chine qui privilégiera sans doute une 3e voie, entre le choix binaire de soutenir la Russie ou de lui imposer des sanctions.
À commencer par sa permission donnée à la Russie de continuer à accéder à la réserve de yuans et de commercer avec elle. Cette réserve est estimée à 90 milliards de dollars actuellement.
Mais quid, si la Chine autorisait soudainement la banque centrale russe à vendre des actifs libellés en yuans contre des dollars ou des euros ? Ce serait sans doute aller trop loin: n’oublions jamais que le yuan représente 3% des paiements dans le commerce international contre 40% pour le dollar. Même entre la Chine et la Russie, 88 % (!) des exportations russes sont toujours facturés en dollars ou en euros.
Ce qui se joue derrière, c’est un « véritable séisme monétaire », selon certains analystes. Le dollar donne aux États-Unis un avantage concurrentiel de plus en plus remis en cause. Avec les sanctions occidentales qui poussent à trouver des alternatives, mais aussi face à l’inflation galopante, certains y voient le moment idéal pour briser cette hégémonie. Nous n’en sommes pas encore là, mais on assiste déjà à quelques escarmouches. L’Arabie saoudite envisage par exemple d’accepter les yuans au lieu des dollars pour les ventes de pétrole à la Chine.